Les assauts contre l’Education (ex Nationale) française ne datent pas d’hier. Si, au cours de ces trente dernières années, les attaques frontales s’étaient souvent soldées par des échecs, dans le même temps, l’institution n’en a pas moins souffert de stratégies de déconstruction systématiques. Patrick Toro
Sous les vocables de modernisme, de modernisation, d’adaptation de l’école au défi du 21e siècle, une première série de mesures ont été prises, portant atteinte aux Ecoles Normales d’instituteurs, à la carte scolaire, à l’enseignement professionnel, etc.
Dans le même temps, le syndicalisme s’est transformé. Malgré quelques avancées notables, vite remises en cause au nom du réalisme économique, l’appellation de “partenaires sociaux”, acceptée par toutes les organisations, a signé un glissement de l’activité syndicale vers deux priorités : l’emploi et le pouvoir d’achat.
Depuis 2007, sous le gouvernement Sarkozy – Fillon, les attaques se sont multipliées et durcies. Avec de nouveaux alibis : la crise, la dette de l’Etat (qui justifierait la réduction du “déficit public”) et l’adaptation à la nouvelle économie mondiale. L’ère des coupes sombres était arrivée. Elles frappent maintenant sans relâche et à un rythme effréné.
Suppression de postes d’enseignants
Moins 150.000 postes, c’est ce qui est prévu au total, 50.000 déjà effectifs, 14.000 pour la rentrée prochaine. Ces suppressions entrainent des surcharges de classes considérables : en primaire, les effectifs atteignent souvent 30, 32, voire 35 élèves. En collège, on atteint aisément les 35, 38, parfois 40 élèves. Est-il besoin d’en décrire les conséquences sur la qualité de l’enseignement, mais aussi sur la qualité des relations entre les élèves, les enseignants et les parents ?
Suppression des réseaux d’aide spécialisée à l’enfance en difficulté
Les Rased disparaissent. Mais aussi les structures de scolarisation d’enfants en situation de handicap (hôpital de jour, Institut Médico Educatif, et bien d’autres). Tous ces enfants sont dès lors scolarisés en milieu “normal”, sans mesure d’accompagnement, ou alors avec des mesures bricolées, inadaptées, les enseignants n’ayant aucune formation spécifique en la matière.
Suppression du collège unique
Le collège unique permettait à la fois la mixité sociale et l’accès au lycée pour un plus grand nombre. Sa suppression favorise le retour d’un collège d’ ”autrefois ”, dont la vocation était de sélectionner une élite (républicaine ?), et d’orienter les autres vers des filières professionnelles ou préprofessionnelles.
Suppression de la carte scolaire
Les résultats de la suppression de la carte scolaire ne se sont pas fait attendre : une inégalité accrue, une polarisation effective entre les plus défavorisés, qui sont concentrés dans des ghettos, et les autres, qui “fuient” ces zones, dévaluées sur leurs résultats et n’offrant pas ou peu de perspectives de poursuite des études. L’ascenseur social est désormais bloqué. L’heure est à la concurrence entre les établissements, entre les villages, les villes et les quartiers et, plus grave sans doute, entre les individus eux-mêmes, les enfants, les parents et les enseignants.
Suppression de l’enseignement professionnel
Déjà fort dévalorisé dans son image et son statut, l’enseignement professionnel se voit supprimer progressivement. Ça avait commencé par un glissement sémantique, le Lycée d’enseignement professionnel –LEP- devenant Lycée professionnel –LP-, la notion d’enseignement étant ainsi biffée. Il laisse maintenant la place à des structures gérées par les Chambres de Commerce et d’Industrie ou les Chambres de Commerce et des Métiers (donc sous l’égide du patronat !!!) Les Centres de Formation des Apprentis (CFA), aujourd’hui devenus Centres de Formation des Métiers (CFM), offrent des formations “qualifiantes”, pour lesquelles cependant aucun diplôme reconnu n’est délivré. Sachant qu’en France tout diplôme correspond à une grille statutaire et à une grille indiciaire qui définissent le salaire, on peut aisément imaginer les conséquences de telles formations.
Des systèmes d’évaluation plus que douteux
La mise en place du système des évaluations nationales suscite aussi un grand émoi. Sans véritable justification pédagogique, il est essentiellement d’ordre binaire et mécanique. Il suffit d’en lire quelques extraits, ou de voir le principe de notation, pour s’en convaincre. Un exemple parmi tant d’autres : la notation se fait par 0 ou 1. En mathématiques, pour les évaluations CM2 (dernière année avant le collège), les enfants ont à calculer 10 divisions. S’ils réussissent les 10, ils sont notés 1 ; s’ils n’en réussissent que 9, ils sont notés 0. Le reste des évaluations est de la même eau.
Autre exemple : en maternelle, répondant au doux nom de GROUPI, ces évaluations se sont vues adjoindre des critères plutôt curieux. Jugez plutôt. Outre les items scolaires, il était demandé aux enseignants de définir le profil des enfants sous trois codes : 1- RAS, 2- enfant à risque, – 3 enfant à très haut risque. Face à la levée de boucliers que cette évaluation a provoquée, ces 3 points ont été retirés, ou du moins suspendus jusqu’à nouvel ordre.
Un rapprochement s’impose avec les fichiers mis en place dans l’Education, qui suivent les enfants tout au long de leur scolarité, et dans lesquels figurent des renseignements qui n’ont rien à voir avec leur scolarité (leur profil comportemental, leur origine sociale et ethnique) et sur la base d’un archivage d’une durée de 35 ans. Un rapprochement plausible : ces évaluations auraient beaucoup à voir avec un rapport parlementaire (le rapport Benisti) et la loi qui en découle : la Loi sur la Prévention de la Délinquance. Leur lecture laisse à penser que tout individu est potentiellement un délinquant, d’où la nécessité d’identifier au plus tôt les individus « à risques ». Les fichiers Education en question sont tellement dangereux qu’ils ont fait l’objet de trois recommandations de l’ONU et d’un arrêt du conseil d’état (instance juridique suprême du pays), rendant ce fichier pour partie illégal.
Une boucherie sans issue ?
Cette surabondance d’attaques bien orchestrées, le chômage et la précarité grandissant, l’absence de débats et de projets au sein d’une « gauche » qui laisse ces terrains totalement en friche, contribuent de façon alarmante à la souffrance que l’on rencontre, et ce, à tous les niveaux. Les inégalités s’accroissent, les pressions se développent, la violence prend bien des formes et se manifeste partout, les conséquences de l’intensification du travail touchent tout le monde. Les cas de dépression profonde affectant les salariés conduisent certains à des extrêmes. La vague de suicides à France Telecom a défrayé la chronique, mais on retrouve les mêmes effets dans tous les secteurs, publics comme privés. Certains mêmes deviennent exemplaires et emblématiques de cette souffrance. Tel le cas de cette jeune collègue, professeur dans un lycée de Béziers, qui s’est immolée par le feu dans son établissement, en prononçant ces derniers mots vers des élèves présents : « C’est pour vous que je le fais… ». Folle, dépressive et suivie médicalement, comme le ministère l’a prétendu ? Certainement pas ! Fragilisée par les pressions, par les missions contraires à l’éthique professionnelle, par un autoritarisme exacerbé visant à briser toute velléité de résistance, voilà ce qui l’a détournée de son métier et conduite à ce geste. Tous les cas recensés se ressemblent, tant par les conséquences que par les causes qui les ont générées.
Dans tout ce marasme, il existe quelques voix, quelques flammes qui s’élèvent. Elles disent simplement :
« En conscience(s), je résiste, donc je désobéis. »
Conscience(s) au pluriel. En tant qu’être humain, j’ai conscience de ma pensée, et je réfléchis. En tant qu’être social, j’ai ma conscience de classe et j’agis. Malgré le vent de la répression et des sanctions qui s’abattent, la détermination persiste et se renforce. Partout se développent des mouvements collectifs regroupant des parents, des enseignants et de simples citoyens, qui refusent que la loi des marchés soit au-dessus des lois des hommes et des citoyens. Bien que minoritaires, ces collectifs pèsent dans les débats et les combats en cours, et leur convergence, qui s’organise, embrasera, on l’espère, les consciences.
« Celui qui se bat prend le risque de perdre, celui qui ne se bat pas a déjà tout perdu ».
Bref bilan provisoire
- L’Education Nationale n’est plus, nous avons un Ministère de l’Education (“Nationale” a disparu – mars 2003) ;
- GAPP, groupe d’aide psychopédagogique : supprimés ;
- RASED, réseau d’aide spécialisée à l’enfance en difficulté : en voie de disparition ;
- E.N., école normale (formation des instituteurs) : supprimée ;
- IUFM, institut de formation des maitres : supprimé ;
- LP: lycée professionnel, anciennement LEP: lycée d’enseignement professionnel : en voie de disparition ;
- BNIE : base nationale identifiant élève (fichage des enfants dès 3 ans et sans garantie de limite dans le temps et dans les interconnexions avec d’autres fichiers : police et autres) ;
- SCONET/PRONOT/POST-BAC : continuité du fichier BNIE ;
L’Education (ex nationale) française dans la tourmente
Vos propos sont justes puisque vous les estimez ainsi et qu’ils parlent à beaucoup, à tous ceux qui voient en le changement actuel une destruction de leur école idéale ou de l’idéal « école ».
Mais nous ne pourrons pas revenir en arrière et puis à quoi bon ?
L’école n’a jamais fait que nous asservir : nous aliéner à l’idée de démocratie représentative et au salariat. Alors oui elle a permis à quelques générations dans les années 50 et 60 de grimper socialement mais avant. Faut il rappeler les cursus sociaux qui existaient ? Et depuis les années 70, cet ascenseur social est mort…
Alors à quoi bon cette nostalgie d’une école qui aura été utile au peuple tout au plus deux décennies sur près de 130 ans d’existence (1880-2010).
L’école, telle que la république démocratique représentative l’envisage, est inutile au peuple.
Arrêtons notre passéisme rêveur, envisageons là pour demain, pour les générations futures. Et si l’alternative ultra-libérale ne nous convient pas, il nous faut faire d’autres propositions…