2012-2022 : au devant des catastrophes

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Yves Cochet, Jean-Pierre Dupuy, Susan George, Serge Latouche, Où va le monde ? 2012-2022 : une décennie au devant des catastrophes, Mille et une Nuits, 2012, 76 p.

Trois spécialistes de la catastrophe (considérée ici comme objet philosophique), ainsi que l’altermondialiste Susan George se lancent, chacun avec un article, dans un court essai de prospective à la lumière des heurts et malheurs du monde actuel. On constate que le temps se comprime : il y a dix ans, les catastrophistes voyaient se poindre les problèmes majeurs à la fin du XXIème siècle ; aujourd’hui, ces auteurs rapprochent considérablement l’échéance – d’ici dix ans –, avec, bien sûr, ce que ce genre de pari recèle d’incertitude. Mais leur mérite est de « rajeunir » le futurible catastrophique pour éveiller plus sûrement les consciences. Cela marchera-t-il ? Qui vivra verra…

Yves Cochet est le héraut de la décroissance chez les Verts français. En se basant sur l’hypothèse « discontinuiste » et récessionniste, il avance la certitude d’une déflagration globale dans laquelle le paradigme énergétique aura le dernier mot. Convergence du pic des énergies fossiles, des dérèglements climatiques et des crises sociales et financières, connectés par la mondialisation, engendreront guerres, famines et épidémies, qui feront baisser dramatiquement les effectifs de l’humanité. Dès lors, le but de la politique est de limiter les dégâts humains de la catastrophe annoncée, et le temps est compté.

Jean-Pierre Dupuy a théorisé les conditions de la prise de conscience de la catastrophe dans un essai qui fera date, Pour un catastrophisme éclairé. Quand l’impossible est certain (Seuil, 2002). Il en reprend ici la substantifique moelle et son paradoxe apparent : l’homme doit nécessairement croire à l’inéluctabilité de la catastrophe pour mettre en œuvre les actions qui éloigneront de lui ce destin funeste. « […] La survenue de la catastrophe est une surprise, mais le fait que ce soit une surprise, lui, n’est pas ou ne devrait pas être une surprise » (p. 31). Il faut donner un poids de réalité suffisant à l’avenir et le rendre rétroactivement solidaire avec le passé, qui est donc notre présent : « […] L’avenir a besoin de nous, gens du présent, la raison en étant l’irréversibilité du temps » (p. 29). Bref, nous devons nous munir de concepts nouveaux pour affronter la situation inédite que nous vivons.

Susan George insiste sur les impasses génocidaires (et suicidaires, à terme) du capitalisme financier et spéculatif, qui érige en principe absolu le règne de l’argent (ce qu’elle appelle le « premier cercle ») et qui soumet aujourd’hui les autres cercles à sa loi d’airain : l’économie réelle (deuxième cercle), la société, incluant l’État (troisième cercle) et la nature (quatrième cercle). Elle propose d’inverser l’ordre de priorité de ces cercles, en formant une alliance la plus large possible contre la « classe de Davos ».

Premier théoricien de la décroissance en France, Serge Latouche développe l’hypothèse originale selon laquelle « la chute de l’Empire romain n’aura pas lieu, mais l’Europe de Charlemagne va éclater ». Qu’est-ce à dire ? Qu’il est plus facile d’anticiper le long terme et le très court terme que le moyen terme, précisément la scène où se déroule l’essentiel du drame. La longévité des périodes de décadence s’explique par deux phénomènes, la routine et la résilience, qui l’emporteront largement sur le volontarisme politique. À court terme, Latouche voit la fin de l’euro, et de l’idée européenne par la même occasion. Heureusement, restent les mouvements anti-systémiques pour tenter d’infléchir les transformations inéluctables dans le bon sens.

Bernard Legros