C’est reparti ! A l’occasion de l’ouverture des procédures d’inscriptions dans l’enseignement secondaire, nous avons pu assister à un nouvel échange de mauvais arguments entre les tenants de l’ultra-libéralisme scolaire et de bien faibles défenseurs de la régulation dans le camp gouvernemental.
Du côté de l’UFAPEC (l’association des parents du réseau catholique), de certains directeurs d’écoles et de bon nombre de journalistes, on s’est plu à souligner le nombre d’enfants qui, derechef, n’obtiendront pas de place dans l’école de leur premier choix. Comme si c’était là le résultat du décret inscriptions ! Croient-ils donc que jadis tous les enfants pouvaient s’inscrire librement là où leurs parents le souhaitaient ? C’était, au mieux, le principe du «premier arrivé, premier servi». Au pire, c’était les passe-droits accordés aux amis. Pour avoir assuré les inscriptions de vacances pendant trente ans dans une école libre, je peux témoigner que je passais le plus clair de ce temps à annoncer aux parents dépités que nous étions «complets». Le décret tant décrié n’a fait que révéler au grand jour cette réalité d’un marché scolaire polarisé et saturé.
Les opposants au décret ont, en revanche, beau jeu d’affirmer que ce dernier ne résout nullement le problème de l’inégalité des chances au nom desquelles il avait pourtant été inventé. L’origine de cette inégalité est complexe, multiple. Les pratiques pédagogiques et les programmes portent une part de responsabilité. De même que les taux d’encadrement déficients, surtout dans les premières classes de maternelle et de primaire. Ou encore notre sélection précoce en filières hiérarchisées. Mais il est désormais établi que si notre pays est le champion du monde incontesté de l’inégalité scolaire, cela provient avant tout de ce que son enseignement est organisé, de la maternelle jusqu’à l’université, sur le principe d’un «libre marché». Les systèmes éducatifs où les inscriptions sont gérées de façon planifiée, au lieu d’être laissées à la seule initiative des parents, présentent beaucoup moins d’inégalités que le nôtre, sans pour autant souffrir d’un «nivellement par le bas». Les statistiques démontrent que 50% des écarts entre pays européens sur le plan de l’équité de l’enseignement s’expliquent par le caractère plus ou moins libéral du marché scolaire.
Jusque là, chacun devait jouer des coudes sur ce marché. Maintenant, le décret inscriptions a placé des distributeurs de tickets devant les étals des vendeurs d’instruction. Cela apporte certes un peu de sérénité, mais cela ne supprime pas le marché et ses effets de ségrégation sociale et académique.
Voilà pourquoi l’Aped propose, dans le cadre d’une formation générale et polytechnique, commune pour tous les enfants de 5 à 15 ans, un système d’affectation prioritaire en lieu et place de l’anarchie actuelle. Dès l’entrée d’un enfant dans l’enseignement obligatoire, ses parents se verraient proposer un établissement scolaire. S’ils acceptent cette proposition, ils sont certains d’avoir une place : plus besoin de faire la queue ou de stresser. L’affectation se ferait selon des critères de proximité et de regroupement familial, mais elle répondrait aussi, tant que faire se peut, à une recherche de mixité sociale.
Les parents auraient toujours le droit de préférer chercher une autre école. Mais la mixité des établissements rendrait ce choix peu attrayant.
L’école est un bien public. C’est collectivement et non individuellement que nous — élèves, parents, enseignants, directeurs ou chercheurs — devons être responsables de sa qualité et de son équité.