La taille des classes est bel et bien un facteur de réussite !

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S’il est vrai que le nombre d’élèves par classe n’est pas le seul élément, ni même sans doute le plus important, dans la détermination de l’efficacité et de l’équité de notre système scolaire, on ne peut pourtant laisser M. Martin François affirmer (dans la rubrique «Opinions» de La Libre Belgique du 2 janvier 2012), que «l’impact d’un petit nombre d’élèves est faible» et que «les scientifiques montrent que la diminution du nombre d’élèves dans la classe est préjudiciable aux enfants issus de milieux défavorisés». Car, en vérité, la recherche scientifique a désormais pu établir sans le moindre doute l’impact positif d’une réduction des effectifs scolaires, au moins dans les premières années d’enseignement, et particulièrement pour les enfants des milieux populaires.

Déjà, le plus élémentaire bon sens s’insurge devant la thèse de M. François. Celui-ci n’a pas dû souvent enseigner dans des classes surpeuplées pour oser affirmer que le nombre d’élèves importerait peu. A moins, bien sûr, que le verbe «enseigner» ne soit entendu comme synonyme de «réciter», «dicter», «énoncer», «déverser»… et que le mot «élève» ne signifie rien de plus que «oreille» ou «enregistreur».

On se demande également pourquoi les entreprises dépensent des sommes folles pour assurer à leurs cadres des formations en langues ou en marketing dans des institutions privées qui leur promettent que «les apprenants ne seront jamais plus de huit par groupe, afin que chacun puisse participer activement» (extrait d’une publicité). Qu’ils sont donc bêtes ces patrons, de perdre tant d’argent, puisqu’à en croire M. François, un bon cours frontal à trente participants par classe serait tout aussi efficace.

Mais que nous dit la science à ce sujet ? L’étude la plus célèbre et de loin la plus sérieuse est la recherche expérimentale américaine STAR (Student/teacher achievement ratio). Entre 1985 et 1990, un peu moins de 8000 élèves ont été répartis pendant 5 ans, pour moitié dans des classes de 13 à 17 élèves et pour moitié dans des classes de 22 à 26 élèves [[Un troisième groupe consistait en classes normales avec un assistant enseignant; ce dispositif n’a démontré aucune efficacité et nous n’en parlerons plus ici]]. Les cinq années couvraient le «Kindergarten» (notre dernière année maternelle) et les quatre premières primaires. Ensuite les élèves furent à nouveau mélangés et l’on a pu suivre leurs performances pendant toute leur scolarité, jusqu’à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Les résultats de cette étude ne laissent guère de place au doute. Non seulement les élèves scolarisés en petites classes obtenaient de meilleurs résultats que les autres aux tests en mathématique, lecture et science. Mais surtout, cet effet bénéfique persistait et augmentait même après la cinquième année, c’est-à-dire une fois que les enfants étaient à nouveau tous regroupés dans les mêmes classes[[Finn, Jeremy D. and Achilles, Charles M.,Tennessee’s Class Size Study : Findings, Implications, Misconceptions, Educational Evaluation and Policy Analysis, Summer 1999.]]. Par exemple, en quatrième primaire, les enfants des petites classes avaient en moyenne une avance de 5,9 mois sur les autres pour les tests de math. En sixième primaire, cette avance était passée à 8,4 mois. Et en huitième année (notre deuxième secondaire) les enfants initialement scolarisés en petites classes (mais qui ne l’étaient donc plus depuis quatre ans) affichaient en moyenne 13 mois d’avance en mathématique !
STAR a également montré que ce sont les élèves issus des minorités noires et hispaniques (donc les enfants des familles les plus pauvres) qui bénéficient le plus de la réduction du nombre d’élèves. Ceci contredit formellement ce que prétend M. François, en se basant sur une unique étude de cas datant de 1979. Ainsi a-t-on pu observer, lors des examens d’entrée au College (le premier cycle d’enseignement supérieur aux USA), que l’écart entre blancs et noirs se trouvait réduit de moitié chez les élèves de l’étude STAR qui avaient été scolarisés en petites classes… douze ans plus tôt ! [[Krueger, Alan B. ; Whitmore, Diane M.,The Effects of Attending a Small Class in the Early Grades on College Attendance Plans, Princeton University, April 9, 1999.]]

Dans l’un des districts du Tennessee ayant participé à l’étude STAR, des chercheurs ont également pu observer, en dixième année d’étude (notre quatrième secondaire), que les élèves initialement scolarisés en petites classes étaient deux fois moins souvent absents, trois fois moins souvent en retard scolaire et cinq fois moins souvent en décrochage scolaire.[[Pate-Baine, Helen et.all, STAR Follow-up studies 1996-1997, Tennessee State University, 1997.]]
M. François a certes raison de douter de l’efficacité des mesures que vient de prendre le gouvernement de la Communauté française. Passer de 27 à 25 élèves par classe dans le secondaire ne changera pas grand chose. Mais ce n’est pas parce que la taille des classes ne serait pas un facteur important. Plutôt parce que seule une réduction beaucoup plus drastique (jusqu’à 15 élèves) et concentrée sur les premières années de scolarité a démontré son efficacité.

D’autres inexactitudes sont à relever dans cet article. Ainsi le savant raisonnement destiné à démontrer qu’une réduction des effectifs des classes entraînerait une perte d’emploi n’a vraiment aucun sens. L’emploi est déterminé par le système du NTTP qui associe un nombre fixe d’heures-professeur à chaque élève. Dès lors, si des glissements sont possibles d’un établissement à l’autre, le volume total de l’emploi ne peut en aucune façon être modifié par une redistribution des élèves. Certes, il pourrait y avoir une diminution de l’emploi dans le secondaire si d’aventure une mesure de lutte contre l’échec scolaire devait enfin réduire efficacement les taux de redoublement et d’orientation précoce vers les sections qualifiantes (plus gourmandes en NTTP). Mais craindre cela serait un peu cynique, d’autant que les moyens ainsi libérés pourraient alors être réinvestis dans l’encadrement pendant et en dehors des heures de cours, dans les subventions de fonctionnement, dans la formation des professeurs,…

Enfin, M. François cite l’étude Mc Kinsey qui montrerait que «la qualité du professeur importe plus que la taille des classes». Cette étude se fonde notamment sur le cas de la Finlande, où la formation des maîtres (en cinq ans, contre trois chez nous) est effectivement supérieure et où les classes sont aussi peuplées que chez nous. Du moins lorsqu’on considère une moyenne pour toute la durée de l’enseignement obligatoire. Car Mc Kinsey — qui est aux entreprises et services publics ce que Moody’s ou Standard & Poors sont aux finances — «oublie» opportunément de prendre en compte le fait que dans la même Finlande, les classes des premières années ne comptent en moyenne que… 14 élèves.

C.Q.F.D.

Nico Hirtt est physicien de formation et a fait carrière comme professeur de mathématique et de physique. En 1995, il fut l'un des fondateurs de l'Aped, il a aussi été rédacteur en chef de la revue trimestrielle L'école démocratique. Il est actuellement chargé d'étude pour l'Aped. Il est l'auteur de nombreux articles et ouvrages sur l'école.