Jacques Testart, Agnès Sinaï, Catherine Bourgain, Labo planète. Ou comment 2030 se prépare sans les citoyens, Les Mille et une nuits, 2010, 171 p.
Que les citoyens conquièrent le droit de se mêler tant des innovations scientifiques que de la recherche fondamentale, tel est le message principal de cet essai écrit par deux scientifiques et une journaliste versée dans les questions d’environnement. Jacques Testart – le père du bébé éprouvette –, Agnès Sinaï et Catherine Bourgain constatent que la science et la technique, devenues entre-temps technoscience en s’interpénétrant, ont été confisquées à la fois par l’économie de marché et par la caste des scientifiques eux-mêmes, du moins la majorité d’entre eux, qui s’exonèrent trop facilement de toute responsabilité sociale. « [Or,] les acteurs de la technoscience, c’est-à-dire surtout les chercheurs et les industriels auxquels ils sont liés, n’ont pas de légitimité pour définir seuls les domaines d’intervention et les solutions à rechercher » (p. 13), et « […] il n’existe pas d’intérêts propres de la science qui justifieraient qu’on leur aliène les valeurs de la civilisation » (p. 25). « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », le vieil adage de Rabelais est toujours d’actualité. Depuis la révolution industrielle, le monde est rentré dans l’anthropocène, une nouvelle ère dans laquelle l’homme est capable d’intervenir directement dans les processus naturels à grande échelle, pour le meilleur, parfois, mais bien souvent pour le pire. C’est ainsi qu’après avoir dilapidé trop rapidement les énergies fossiles et émis de trop grandes quantités de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, il a généré le dérèglement climatique. Les auteurs avancent des solutions : revoir le métabolisme urbain pour en arriver à des villes post-carbone à l’empreinte écologique allégée ; sortir de l’agriculture productiviste industrielle pour aller vers un plus grand respect de la terre et de la biodiversité ; réorienter la recherche vers les énergies renouvelables (alors que l’armée, le nucléaire, l’aéronautique et le spatial absorbent 40% de la dépense publique de recherches) ; remplacer le système actuel des brevets sur le vivant, qui concentre le pouvoir dans les mains de quelques multinationales semencières et pharmaceutiques, par une recherche publique, une « science ouverte » en copyleft soucieuse du bien commun ; refuser l’avènement de l’« homme augmenté » par les artifices NBIC (nanotechnologiques, biotechnologiques, informatiques et cognitifs) ; rétablir l’équilibre entre la recherche fondamentale et l’innovation, ainsi que l’indépendance et la pluralité dans les sciences et l’expertise. Bref, réinjecter de la démocratie dans la recherche scientifique, à partir du moment où la société a de plus en plus souvent affaire à des « objets hybrides » (catastrophes nucléaires, OGM, sida, amiante, sang contaminé, vache folle, problèmes environnementaux globaux, pollutions chimiques, etc.) qui mêlent données scientifiques, décisions politiques et enjeux économiques.
Les auteurs rappellent – et on ne le fera jamais assez – que les techniques ne sont jamais « socialement neutres », mais que « elles contribuent à cristalliser les rapports sociaux et à créer les conditions matérielles de leur maintien en les diluant dans des normes, des outils et des modes d’organisation qui ne sont que rarement questionnés sous l’angle de leur impact social » (p. 138). La crise de l’idéologie du progrès vient du constat d’un monde fini qui appelle une politique de décroissance dans les pays riches, bien loin de l’actuel processus d’éco-blanchiment et de « développement durable » dans l’économie capitaliste. Hors marchandisation, quel nouveau sens les citoyens doivent-ils démocratiquement donner à la recherche ? Avec quelle éthique ? À quoi sert-il, par exemple, de reconstituer en laboratoire le virus de la variole, qui avait été éradiqué depuis des décennies ? Le propos de cet essai est assez semblable à celui de l’Histoire populaire des sciences de Clifford D. Conner (cf. https://www.skolo.org/spip.php?breve589)
Bernard Legros