Éducation au développement durable : du tsunami pédagogique à la fusion dans le capitalisme vert

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Les dirigeants de l’économie capitaliste de marché globalisé sont prêts à tout pour (tenter de) passer le cap difficile des limites écologiques planétaires désormais de plus en plus flagrantes aux yeux d’une frange grandissante de la population. Prêts à tout, notamment en montrant leur bonne volonté aux citoyens via des partenariats a priori sympathiques, mais, à y regarder de plus près, fondamentalement douteux. Nous apprenons ainsi que le nouveau fonds « Goodplanet.be » est le fruit commun de l’asbl Green, de la Fondation Roi Baudouin et de Goodplanet.org. Comme toujours dans les projets de « développement durable », les intentions sont irréprochables, « sensibiliser et éduquer le public belge à la protection de l’environnement et valoriser les actions de terrain », est-il précisé sur la page d’accueil.

Les choses se gâtent quand on apprend plus bas que le parrain du projet est le photographe Yann-Arthus Bertrand qui, après avoir couvert le rallye Paris-Dakar dans sa jeunesse, s’est reconverti dans les photos de la Terre vue du ciel. On se souvient de Home, son long documentaire dépolitisé faisant l’apologie des technologies vertes promues par ses amis des multinationales, et dont il a mieux valu taire l’empreinte carbone sous peine de faire crier au scandale. Mais il a sûrement « compensé » en versant une obole pour les projets de « développement durable » dans les pays pauvres. La liste des déclarations mi-angéliques mi-tapageuses de YAB est longue, mais en ces sales temps fukushimiesques, on peut d’abord rappeler celle-ci, à Nice-Matin le 29 mai 2010 : « On ne peut pas s’en passer [du nucléaire] et le problème des déchets n’est pas si grave. » Avec des « écologistes » pareils, nous sommes dans de bonnes mains !

On croyait avoir touché le fond de ce fonds de protection de la nature (sic), mais en bas de la page d’accueil, on est carrément achevé en lisant que le partenaire officiel de celui-ci n’est autre que… JCDecaux, l’inventeur du concept de mobilier urbain publicitaire et le n° 1 mondial de la communication extérieure ! Ou dit plus simplement, JCDecaux, le principal afficheur de nos villes, l’abêtisseur des citoyens-consommateurs et le gaspilleur de ressources à grand renfort de panneaux éclairés la nuit, de sucettes déroulantes et de « publicyclettes », tout cet attirail incitant en permanence à la surconsommation. On nage dans ce que le sociologue Bertrand Méheust appelle la politique de l’oxymore, titre éponyme de son dernier ouvrage (La Découverte, 2009). Pour lui, « une forme nouvelle et inquiétante de folie collective couve sous la gouvernance rationnelle » (p. 77). La com’ de ce système économique en bout de course est obligée de multiplier les oxymores en direction des citoyens dans un but dilatoire et pour leur faire avaler des décisions politiques de plus en plus irrationnelles : « La montée actuelle des tensions fournit donc un terrain propice à la prolifération des figures de conciliation ou de dénégation susceptibles d’égarer toujours plus les esprits » (p. 139). Politique de l’oxymore toujours dans la petite accroche du site reproduite ci-dessous, qui aurait également plu à George Orwell :

« Depuis plus de quarante-cinq ans, le groupe JCDecaux s’engage de façon volontariste aux côtés des villes, des compagnies de transport, des aéroports, des annonceurs, des agences médias et de publicité pour améliorer l’environnement urbain, en réduisant l’impact de la publicité, en améliorant son intégration, et en proposant des services novateurs en faveur notamment de l’environnement. »

Commentaires.
« Groupe JCDecaux », ça fait tout de suite moins inquiétant que « multinationale JCDecaux ». Nous ne doutons pas que celui-ci « s’engage de façon volontariste », puisqu’il est devenu une entreprise géante au chiffre d’affaire pharamineux (2.350.000.000 € en 2010). « Améliorer l’environnement urbain » ? En le « pubtréfiant » toujours davantage par la prolifération de messages consuméristes ? Lorsqu’on lit que JCDecaux « réduit l’impact de la publicité en améliorant son intégration », on comprend qu’il ne s’agit certainement pas de l’impact commercial – ce serait contre-productif pour lui –, mais bien de l’impact (in)esthétique. Le cas échéant, la sagesse et le bon sens nous dictent de supprimer la pub dans l’espace public pour en réduire tous les impacts ; nul besoin de parler de « complexité », l’idée est tellement simple qu’un enfant la comprendrait. Quant aux « services novateurs en faveur de l’environnement », on voit l’allusion aux installations de vélos en libre-service dans de nombreuses grandes villes, y compris à Bruxelles. En contrepartie de ses publicyclettes, JCDecaux a, depuis 2009, augmenté ses capacités de pollution publicitaire et d’espionnage des consommateurs (voir http://www.respire-asbl.be/Publicyclettes-JCDecaux-a-signe-le?var_recherche=jcdecaux).

Venons-en à l’aspect le plus dérangeant pour nous les éducateurs. Que vient faire l’asbl Green dans cette galère ? Quand on sait que chaque année elle est en contact direct avec 2.000 écoles, 100.000 enfants et jeunes pour promouvoir la sensibilisation à l’environnement, il y a de quoi s’inquiéter pour la formation de nos jeunes têtes à l’esprit critique. Cela fait longtemps que nous le disons : l’« éducation au développement durable » (EDD) est le terreau de ce capitalisme vert qui se met en place insidieusement, dont le but est la perpétuation de l’économie prédatrice de ressources et génératrice d’inégalités sous de nouvelles formes qui tiendraient compte cette fois des contraintes écologiques et naturelles. Une véritable éducation à l’environnement supposerait avant tout une conscientisation politique des rapports de force qui régissent l’humanité. Ça ne risque pas d’arriver dans l’EDD qui vise, peut-être à son corps défendant, à produire des individus soumis comme jamais aux lois de l’économie néolibérale mais désormais attentifs à la « protection de l’environnement », qui prennent leurs responsabilités personnelles mais sont ignorants des rapports de classe, qui ont mentalement intégré la double contrainte consistant à accélérer et freiner à la fois – la définition même du « développement durable ». Allons, les amis de Green, ouvrez les yeux, ressaisissez-vous ! N’acceptez pas n’importe quels caution médiatique et sponsor vénéneux, préservez au contraire votre autonomie d’action. Vous en sortirez grandis, à vos yeux et à ceux des enseignants.

Bernard Legros