Les Luddites en France. Résistance à l’industrialisation et à l’informatisation, L’Echappée, 2010, 334 p.
« Si les différents épisodes luddites doivent aujourd’hui être exhumés des limbes de l’Histoire, c’est précisément parce que, pour advenir, le capitalisme industriel nécessitait un accord généralisé sur la question des machines – c’est-à-dire qu’il fallait exclure du champ politique et démocratique la question technologique, exclusion que le 19ème siècle progressiste et positiviste a massivement opéré. » (pp. 40 & 41). Le propos engagé de cet essai collectif* est ici résumé en une phrase. Le luddisme fait historiquement référence aux mouvements d’artisans, nés en Angleterre au début du 19ème siècle, qui s’opposaient à l’introduction des machines dans les fabriques, tant pour des raisons économiques (pertes d’emplois ou chute des revenus), professionnelles (dévalorisation des savoir-faire artisanaux, baisse de la qualité) que culturelle (destruction des modes de vie traditionnels par la nouvelle discipline de travail et la concentration des forces vives en des lieux précis, aboutissant à la prolétarisation dans la seconde moitié du siècle). Les Luddites avaient intuitivement compris que les nouvelles techniques (comme la machine Jacquard) n’étaient pas neutres en soi, mais portaient en elles, indépendamment des mains qui pouvaient les gérer, les germes d’une société d’aliénation et de domination. Cependant, ils ne s’opposaient pas par principe à toutes les machines, mais à celles qui leur étaient imposées par les patrons et qui menaçaient précisément leurs emplois, leurs savoir-faire et leur mode de vie. Leur démarche n’avait rien de passéiste ou d’irrationnel, mais était le fruit d’une réflexion politique. Elle était également radicale dans la mesure où les artisans n’hésitaient pas à détruire les machines. Dans la seconde moitié du siècle, le luddisme a fini par battre en retraite face à l’idéologie du progrès, portée à la fois par les libéraux et les marxistes. Les auteurs explorent comment ce mouvement, au départ britannique, s’est manifesté en France : à Lyon, résistance à Jacques de Vaucanson, pionnier du capitalisme industriel ; bris de machines textiles à Rouen en 1789 ; refus du chemin de fer (de « se laisser ferrer ») dans la première moitié du 19ème siècle. De ces faces plus ou moins cachées de l’Histoire, le lecteur en arrive finalement à deux formes contemporaines du luddisme, qui sont restées plus ou moins fidèles à l’esprit d’origine : primo, la lutte contre les OGM entre autres par le sabotage des champs par les faucheurs volontaires; secundo, le vif débat de société, « entre mises à feu et résignation », autour de l’informatisation du travail à partir des années 1970, jusqu’au début de la décennie suivante. L’ouvrage se termine par quelques textes du 19ème siècle qui réagissent en sens divers au luddisme (dont ceux de Say, Sismondi, Considérant, Bastiat, etc.)
*Cédric Biagini, Guilllaume Carnino, Olivier Serre, Jean-Pierre Alline, Frank E. Manuel, Michelle Perrot, François Jarrige, Christophe Bonneuil et Célia Izoard.
Bernard Legros