Plusieurs personnes, parmi lesquels des professeurs, des parents, des directeurs sont convaincues que la composition des classes vient à déterminer la qualité pédagogique et le niveau atteint par les élèves et par ces mêmes classes.
Ces personnes considèrent d’un côté la composition des classes, examinant le niveau de préparation atteint par les élèves – bons, moins bons – et pensent d’un autre côté au surnombre d’élèves dans les classes. La question qui se pose est : faut-il réduire la composition hétérogène des classes ? Ou doit-on la gérer ?
Aujourd’hui, je me penche sur la première variable : la composition des classes.
Cet article a été publié in Verifiche – Périodique de culture et politique de l’éducation, n°3, juin 2007, Mendrisio. Traduction de l’italien par Géraldine Nutile
Parmi les diverses opinions professées, il y a celle de la « pénalisation des meilleurs élèves, contraints à rester avec les plus mauvais ». En bref, un souhait, celui de créer dans la scolarité obligatoire des filiales spéciales uniquement pour les meilleurs élèves, ce qui en soi n’est pas une nouveauté. Souhait qui est présent un peu partout dans le monde occidental (et non) accompagné de désirs de financement public des écoles privées. Un souhait vieux et jamais éteint.
Somme toute, les modèles scolaires intégratifs (te le modèle tessinois) sont attaqués, les considérant peu efficaces et injustes. Modèles qui mettent tout le monde ensemble – « bons » et « moins bons » élèves – dans l’enseignement obligatoire. Cette attaque dit à peu près ceci : « le niveau des écoles est en train de baisser (voir les résultats PISA). Les raisons résident dans le fait que tous, les meilleurs et les plus mauvais, sont ensembles dans les mêmes classes. Cela fait baisser le niveau et le rythme des meilleurs ».
En somme, toute la faute est à chercher dans l’intégration scolaire. La solution se trouverait dans la ségrégation, créant des classes séparées pour les élites.
A ce propos, que nous dit la recherche en éducation ?
Nous voulons savoir ainsi quels sont les effets supposés et réellement bénéfiques, neutres ou nuisibles des classes hétérogènes et des classes homogènes.
A) Par classes hétérogènes, on entend les classes où tous les élèves – bons et moins bons – sont ensembles.
On parle de classes à niveaux, ou de classes homogènes (opposées aux classes hétérogènes) en faisant référence à une différenciation du programme d’étude qui voit les élèves séparés entre une élite (les meilleurs) avec une classe spéciale pour eux et une masse (les plus mauvais) avec une autre classe.
A vrai dire, il serait plus correct de parler d’écoles « ségréguées ». Les écoles hétérogènes sont celles qui existent par exemple dans le Canton du Tessin : une seule école obligatoire pour tous, sans distinction (encore que notre enseignement secondaire de premier cycle avec ses niveaux en 3e et 4e, ne propose pas intégralement des classes homogènes).
B) Chez nous (dans le Tessin), le taux d’inscription à des classes spéciales est très bas, contrairement à Bâle, où il n’existe pas un principe d’intégration de tous les élèves. Les élèves qui fréquentent les écoles spéciales y dépassent abondamment les 10% de la population scolaire. Là-bas, la classe spéciale y est de fait une classe à niveaux, une classe homogène, mais à bas niveaux …
C) Les recherches sur les écoles séparées sont de 2 ordres/types.
Les premières concernent les classes à niveaux sans tenir compte des variables structurales, organisationnelles et pédagogiques. On compare les classes sans en contrôler les variations et les conditions …
Les secondes cherchent à construire un cadre expérimental ou quasi expérimental tentant à neutraliser l’effet de divers paramètres, tels les opportunités offertes, l’argent investi, la quantité et la qualité de l’enseignement, les attentes des enseignants, etc. … dans ce cas on procède à des comparaisons, à contenu d’enseignement et qualité pédagogique équivalents.
Les résultats des recherches sont clairs.
En ce qui concerne le premier type de recherche, celles qui confrontent les classes sans en contrôler les variables, on observe que la constitution des classes homogènes comporte divers types d’effets (cf. les meta analyses de Dupriez, Draelants qui ont fait une critique de ce premier type de recherche).
Avec les classes faibles :
– les élèves subissent des effets négatifs sur le plan socio-affectif,
– les professeurs engagés adoptent une tendance fataliste,
– les élèves reçoivent un enseignement de moindre qualité,
– le nombre d’heures consacré à l’enseignement diminue, augmentant par contre les exercices répétitifs,
– enfin, les élèves reçoivent des encouragements moindres.
La comparaison entre « classes fortes » et « classes faibles » permet de mettre en évidence comment dans les premières, les élèves progressent de manière importante par rapport aux autres. Les classes faibles font plutôt du « sur place », quand elles ne régressent pas carrément. L’effet du regroupement des élèves, selon leurs compétences, serait donc positif pour les élèves des classes fortes.
En ce qui concerne le second type de recherche, les meta analyses développées aux Etats-Unis par Slavin (1987) dans les écoles primaires ont fait la critique de 14 recherches pour les écoles primaires, et 15 pour les écoles secondaires (Slavin 1990). Toutes les deux conduisent aux conclusions suivantes :
A qualité pédagogique égale et à contenus d’enseignement et d’apprentissage équivalents, les résultats entre classes « fortes » et classes « faibles » ne différent pas de manière significative. Cela, que ce soit pour le secteur primaire ou secondaire. L’effet de la composition des classes est donc nul en ce qui concerne les résultats des élèves, placés dans une classe plutôt que dans une autre.
D) En particulier, dans une recherche effectuée à Genève (cf. Rastoldo, Bain, Davaud, Favre, Hexel, Lurin, Soussi), on sait aussi que, dans les divers systèmes de regroupement des élèves (classes homogènes et hétérogènes), la réussite des élèves est similaire. C’est-à-dire que les meilleurs élèves des classes hétérogènes parviennent aux mêmes résultats que ceux des meilleurs élèves regroupés dans des « classes fortes ». Et les élèves moyens, atteignent des résultats analogues dans les deux types de structures …
Ainsi : à conditions équivalentes, la constitution de classes séparées a un effet nul. En somme, le différent degré de formation au sortir de l’école, le niveau atteint par les élèves à la fin du programme d’étude ne dépend pas de la façon de réunir les élèves.
E) Malheureusement, il y a un décalage entre les opinions des acteurs et les faits observés. Pour les parents, les enseignants et les directions la classe hétérogène véhicule l’idée d’une baisse de niveau (cf. Rastoldo, Bain, Davaud, Favre, Hexel, Lurin, Soussi). Les professeurs expriment ensuite constamment une insatisfaction à travailler avec les classes hétérogènes et une préférence pour celles homogènes.
Peut-être est-ce parce que, dans les classes hétérogènes, on observe un climat plus tendu ? Peut-être est-ce parce que les difficultés à gérer des situations toujours plus complexes font rêver à des oasis de paix ?
F) Le contraste entre les deux types de recherche est intéressant et en soi très clair. Et il constitue aussi un avertissement.
1) L’idée des classes homogènes tire son origine d’une vérité de la Palice : les compétences acquises des élèves, les rythmes de croissance, le potentiel de croissance, etc. … comportent des variations individuelles, qui sont difficilement réductibles à des organisations pédagogico-didactiques spécifiques.
Les partisans des classes homogènes disent : « les élèves sont hétérogènes, les résultats sont différents, créons des classes homogènes pour donner à tous ce à quoi il ont droit ». Mais ce sont justement les classes homogènes qui créent des structures et des programmes d’étude inégaux, perpétuant et accentuant les différences.
Là, l’enseignement qualitativement et quantativement supérieur/inférieur sont dispensés comme l’effet d’une hiérarchisation cognitive, c’est-à-dire la résultante d’un processus sélectif et (théoriquement) méritocratique qui dit : « nous donnerons plus aux meilleurs et moins aux plus mauvais ». En vérité, une telle hiérarchisation qui organise, théorise et pratique la création de structures à niveaux devient une structure qui diffuse des dispositifs scolaires inégalitaires.
La création de classes homogènes, n’est pas un processus de démocratisation, ni même un processus de création de justice et de meilleure répartition des ressources.
2) La composition des classes devient ainsi une composante de l’inégalité de l’école. On peut croire que, une fois accepté le principe de structures à niveaux, la création de classes homogènes, sert plutôt (bon gré mal gré) à la réalisation de programmes d’étude différents, avec des investissements personnels et financiers différents.
L’enseignement ainsi proposé deviendra alors en proie au prestige social accordé à chaque niveau.
3) La création de classes homogènes pose des problèmes complexes :
des problèmes d’emploi à des problèmes salariaux, des problèmes formatifs à des problèmes motivationnels. Parmi de nombreuses questions, en voici deux : les conditions salariales des professeurs seront-elles « fortes », comme les classes ? La formation des professeurs sera-t-elle aussi ségréguée, à savoir une formation pour professeurs de classes faibles et une formation pour professeurs de classes fortes ?
Des recherches citées émergent que les professeurs affectés aux structures « inférieures » risquent facilement de verser dans l’effet Pygmalion et dans des dynamiques de marquage social. Cela signifie que les professeurs des classes faibles risquent de tomber dans une dynamique fataliste et de moindre investissement, qui, outre à se déverser sur les élèves va aller investir tous les champs de la formation continuée et de la formation. Comment maintenir haut le niveau de motivation des professeurs et des élèves, exclus tous deux des canaux de la promotion sociale ?
4) Enfin, mais pas en ordre d’importance, il faut encore relever :
– comment poser l’accès aux écoles de niveau supérieur. S’agit-il d’un numerus clausus (pour un nombre X parmi seulement les meilleurs élèves dans l’absolu) ou d’un examen d’entrée (tous ceux qui réussissent peuvent s’inscrire au niveau supérieur) ?
– comment éviter alors que la formation ne vienne aplatie sur la réussite des examens d’entrée aux classes fortes ?
– comment considérer la création de classes à niveaux dans l’enseignement obligatoire ? Un tel objectif n’apparaît-il pas totalement comme un avilissement de l’obligation scolaire qui, déplaçant et diminuant les objectifs communs pour tous, masquera pleinement un raccourcissement de l’obligation scolaire ?
Postulats
A) Une observation attentive de l’école et de ses acteurs – professeurs, élèves, parents – met en lumière beaucoup d’insatisfactions.
– Certains parents sont insatisfaits ou effrayés par la présence de cas difficiles (intimidation ou vandalisme).
– D’autres parents sont préoccupés par le destin scolaire de leurs enfants, trop peu suivis selon leur manière de voir.
– Certains professeurs sont frustrés par la difficulté croissante à gérer la grande hétérogénéité des élèves (alloglottes, soutien pédagogique, etc.).
– Certains membres du personnel du service de soutien pédagogique déplorent la charge croissante de travail.
– Etcetera …
Envisageons chaque insatisfaction avec sa raison d’être particulière spécifique. Une réponse générique est celle de la création de classes différenciées. Une réponse commune à beaucoup de questions différentes. Une réponse générique qui (si seulement !) donnera satisfaction à certains : les classes d’élite.
La réalité de la ségrégation sera alors évidente parce que se serait la majorité des élèves qui seraient exclus.
B) Au lieu de se baser sur des désirs élitaires inavoués ou inavouables, les personnes qui se battent pour une école à niveaux devraient clarifier leur manière de répondre aux questions suivantes :
– Veulent-ils donner moins d’opportunités aux élèves en difficulté ?
– Veulent-ils offrir une formation réduite et bon marché aux élèves moins doués, et peut-être aussi de « basse classe » ?
– Veulent-ils assurer une main-d’œuvre bon marché ?
– Veulent-ils offrir des légions de jeunes à la précarité et au travail « à la demande » ?
– Veulent-ils une sélection sociale optimalisée et précoce dans l’enseignement obligatoire ?
– Enfin, veulent-ils deux, trois niveaux ou plus ? Dans le Canton du Tessin, avec les écoles spéciales et l’enseignement secondaire de premier cycle à niveaux, nous en comptons déjà trois. Sans tenir compte du cours de pratique (professionnelle) … mais alors nous en avons déjà quatre. Et si ensuite, nous tenons compte des récentes classes pour enfants difficiles, nous arrivons à cinq. Faisons-nous aussi ensuite un niveau particulier pour les dyslexiques ? Mais alors, nous en aurions six.
– Ou alors, nous gardons seulement un niveau pour l’élite et mettons tous les autres dans un seul même sac ?
Brissago, mars 2007
-Références bibliographiques
BAIN D., FAVRE., HEXEL D., LURIN J., RASTOLDO F., Hétérogénéité et différenciation au Cycle d’orientation. Le débat dans le contexte national et international: pratiques et recherches, Département de l’instruction publique, SRED, Genève, 2000.
DUPRIEZ V., DRAELANTS H., « Classes homogènes versus classes hétérogènes: les apports de la recherche à l’analyse de la problématique », In : Cahier de recherche du GIRSEF, Louvain-la-Neuve, n° 24, 2003.
DURU-BELLAT M., MINGAT A., « La constitution de classes de niveau par les collèges et ses incidences sur les progressions et les carrières des élèves », In : Cahiers de l’IREDU, 1997, p.59.
RASTOLDO F., BAIN D., DAVAUD C., FAVRE B., HEXEL D., LURIN J., SOUSSI A., Classes hétérogènes et classes à sections au 7e degré: carrières d’élèves et discours d’acteurs, 1 Synthèse des résultats et résumés des six volets de recherche, SRED, Genève, 2000.
RASTOLDO F., BAIN D., DAVAUD C., FAVRE B., HEXEL D., LURIN J., SOUSSI A., Classes hétérogènes et classes à sections au 7e degré: carrières d’élèves et discours d’acteurs, 2 enquêtes et analyses de référence, SRED, Genève, 2000.
SLAVIN R.E., « Ability grouping and student achievement in elementary schools: A best evidence synthesis », In : Rewiew of educational research, 1987, 57, pp. 293-336.
SLAVIN R.E., « Achievement effects of ability grouping in secondary schools: A best evidence synthesis », In : Rewiew of educational research, 1990, 60, pp. 471-499.
Classes homogènes et classes hétérogènes
Il me semble que cet article postule que les élèves sont, au moins très majoritairement, d’un même niveau, bon ou mauvais, dans toutes ou la plupart des matières. A la base de la réflexion pour feu l’enseignement rénové existait la conviction que beaucoup, peut-être la plupart des élèves sont ou pourraient être de niveaux contrastés, selon les matières. Revenir là-dessus devrait n’être accepté que si des recherches honnêtes et importantes infirmaient ce postulat.
L’enseignement rénové souhaitait la constitution de classes plutôt homogènes, mais par matière, de telle manière que le même élève puisse être dans une classe « élitaire » pour une matière où il peut la suivre et dans une classe « de remédiation » pour une autre matière … Cela posait le problème, objectivement difficile, de la taille des établissements, obligatoirement importante pour réaliser l’objectif. Le système actuel, qui n’est pas l’héritier mais le liquidateur des ambitions de l’enseignement rénové, produit probablement de la polarisation, vers le mieux ou vers le moins bien, de beaucoup d’élèves, ou bien encouragés, ou malheureusement le contraire.
Classes homogènes et classes hétérogènes
Bonjour, aucune part je postule que les élèves sont d’un même niveau. Les différences exixtent, et bien … Je ne connais pas les réalisations didactiques concrètes en France ou Belgique, j’écris de Suisse italienne (où le 98% des élèves suit la filière « normale ») … mais quelque faits doivent nous faire réféchir:
1) il faudrait controler si un élève est bon/mauvais dans toutes les matières ou selectivement. Pour ce qui concerne la vaste population des élèves de bas niveau social il parait que une certaine homogénéité soit de règle (mon impression est que l’idée de l’hétérogénéité interne est une bonne voie de travail, masi elle risque de devenir une illusion, car pour une bonne partie des élèves cela ne change rien …)
2) les recherches montrent que le nombre d’élèves signalés pour des difficultés scolaires croit avec le niveau scolaire, cela du 6% au 20% et même plus,.
Le difficultés spécifiques d’apprentissage sont bien évidemment constantes, et se situent environs sur le 5% de la population. Comment expliquer la différence croissante avec le élèves signalés?
3) Le QI définit (courbe de Gauss) une normalité environ pour le 95% de la population (considérée la moyenne de 100 points plus deux déviations standard de 15 ponts). Certainement dans ce 95 sur 100 la variété est grande.
4) Les recherches démontrent par contre que la création de classes différenciées n’apporte de bénéfice, comme décrit dans mon article.
5) Par contre la littérature sur la differenciation des programmes et l’individualisation, devient de plus en plus critique.
– Il y a une corrélation entre niveau différencié et origine socio culturelle de l’élève.
– la différenciation devient une pratique qui cristallise les différences (par le fait de isoler les élèves dans leur processus de constructions des connaissances)
– la recherche montre bien de meilleurs résultats avec des apprentissages cooperatifs (petits groupes)
– l’idée de la différenciation et individualisation n’est pas mauvaise en soi, sauf que historiquement elle est née dans la relation un à un – préceptorat (chose qui n’est pas possible avec des classe nombreuses).
6) Une idée du constructivisme domine le panorama pédagogique moderne, et semble indiquer des approches individualistes du développement (l’apprentissage suit le développement interne du sujet).
Qu’en est- il de la sociogenèse?
Merci pour votre intéressante observation Giovanni Galli