Dès le 1er septembre 2010, de nouveaux standards et objectifs finaux interdisciplinaires entrent en vigueur dans l’enseignement secondaire. Ils ont été approuvés sous le précédent ministre de l’enseignement, Franck Vandenbroucke. (Arrêté du Gouvernement flamand, MB du 3 juillet 2009). Les écoles sont à la recherche de matériel didactique adapté pour mettre ces leçons au point. KBC y voit une opportunité et propose ‘gratuitement’ des kits didactiques. Allons-nous permettre à des entreprises privées telles KBC et Assuralia de déterminer le contenu de notre enseignement ? Un appel aux enseignants et organisations pour ne pas céder de terrain et proposer une alternative progressiste.
Les ‘compétences terminales’ actualisées (voir annexe 1) comprennent un large éventail de thèmes nécessaires à l’acquisition d’une formation de base pertinente. Par ce biais, les élèves devraient pouvoir acquérir une compréhension et un point de vue critiques sur le monde et participer ainsi en tant que futurs citoyens, à une société sociale, équitable et durable.
Autonomie et pouvoir de décision des écoles.
Un des objectifs de l’actualisation des compétences terminales est: “plus d’autonomie pour les écoles. Les compétences terminales interdisciplinaires doivent également stimuler le pouvoir décisionnel des écoles »
« Ceci revient à dire que l’équipe éducative réfléchit à l’élaboration et l’organisation de son offre d’enseignement, partage les tâches au sein des différents degrés et entre ceux-ci et se met d’accord sur la manière dont les objectifs finaux doivent être poursuivis, en se basant sur le contexte. A cette fin, toutes sortes d’activités d’enseignement et d’orientations sont adaptées : activités sportives, projets, leçons, travaux de groupe, ateliers, évaluations, représentations théâtrales ou films, excursions scolaire, etc. tout ceci dépendant des choix et des possibilités qui s’offrent aux écoles ».
(Agence pour le contrôle de la qualité dans l’enseignement et la formation (AKOV), 2009, VOET@2010)
Des parlementaires flamands se posent des questions
Il y a quelques mois de cela, le secteur de l’assurance a fait savoir qu’il proposait ses services pour atteindre les compétences terminales. « Assuralia, en collaboration avec les ministres, étudie tout à la fois la possibilité de fournir des kits didactiques aux écoles, selon les compétences terminales actuelles, et celle d’adapter celles-ci. Un groupe de travail a déjà été mis sur pied pour formuler des propositions concrètes ». (De Standaard, 24 février 2010)
Ceci a provoqué une certaine inquiétude chez les parlementaires flamands. Chokri Mahassine (SP.a) : « Il est naturel que tout secteur commercial se vende et se protège. Assuralia est-il, à tous points de vue, un partenaire objectif? A-t-il un regard suffisamment critique sur l’assurance pour fixer des compétences terminales ? J’aimerais faire part de ma préoccupation à ce sujet». (Questions et réponses, Commission enseignement, 9 mars 2010)
Réponse de Pascal Smet: “Nous n’allons pas fixer de nouvelles compétences terminales. Les standards interdisciplinaires laissent assez de marge aux écoles pour qu’elles puissent elles-mêmes mener cette tâche à bien. Si les écoles décident de traiter le sujet des assurances, par exemple dans le cadre de la compétence ‘savoir gérer son propre budget et son administration personnelle’, ça me semble envisageable. Mais ceci doit être réalisé en tenant compte de la vision qui a prévalu à l’établissement de ces compétences, qui comprend des éléments tels le contexte socio-économique, couplé à l’esprit critique, la compréhension des médias, la responsabilité, l’indépendance, etc. »
A la question de savoir pourquoi dans ce cas il y a une consultation entre Assuralia et le cabinet, Pascal Smet répond : « Ils ont demandé une concertation. Si l’on veut proposer un kit, il ne me semble pas mauvais que des membres de l’administration et du cabinet se penchent dessus. Ils donneront les mêmes signaux que ceux que vous donnez et expliciteront la politique ».
En d’autres termes, le secteur de l’assurance veut savoir jusqu’où il peut aller dans sa promotion sans rentrer en conflit avec la décision de la Commission ‘administration prudente’.
KBC saisit sa chance
KBC est la première banque qui répond aux besoins des écoles en proposant du matériel didactique tout prêt pour répondre aux nouvelles compétences. « KBC propose deux nouveaux kits didactiques en néerlandais, qui ont trait à l’éducation financière : un pour les élèves du troisième degré de l’enseignement primaire et un autre pour les élèves du premier degré du secondaire. Toutes les écoles et les enseignants de la communauté flamande peuvent demander ces kits gratuitement via le réseau dense de bureaux de KBC en Flandre et à Bruxelles ».
La KBC a collaboré avec la maison d’édition Van In (spécialisée dans le secteur éducatif) et a pu par ce biais s’épargner beaucoup de difficultés et diminuer les frais, tout en proposant des produits professionnels et attractifs. « Le matériel didactique comprend, outre un fascicule d’exercices et un jeu éducatif pour les élèves, un cd rom avec des petits films informatifs, un texte à destination de l’enseignant et un corrigé des exercices. »
Selon ses propres dires, KBC n’a absolument aucune visée commerciale. « KBC répond par cette initiative à une demande de plus en plus importante du monde de l’enseignement pour du matériel didactique portant sur des thèmes financiers (Communiqué de presse KBC, kit didactique En avant la banque ! Un regard clair sur ton argent et tes assurances, 1er juin 2010)
Ce communiqué de presse a été envoyé à toutes les écoles flamandes. S’en est suivi une ruée vers les bureaux KBC pour obtenir ces kits gratuits. KBC a été gravement touchée lors de la crise financière, avec les ‘crédits pourris’ qu’elle proposait et les investissements risqués qu’elle réalisait, ce qui a amené les autorités à devoir sauver la banque. Peut-être KBC veut-elle polir son image, qui en a pris un coup, et regagner la confiance de l’opinion publique.
Alors que Test-Achats et le CRIOC critiquent la publicité de KBC, Pascal Smet ignore l’interdiction de publicité
Les associations de consommateurs Test-achats et Crioc ne sont pas satisfaites de l’initiative de la KBC. Test-Achats : « sur les couvertures des kits didactiques apparaît non seulement le logo de KBC, mais également un dessin très matérialiste. Il s’agit de marketing à destination des petits enfants. L’argent coule à flots, est aisément accessible et semble n’offrir que des avantages. Test-Achats aurait apprécié un angle d’approche critique ». « La banque est mise en vitrine. Les problèmes éventuels ne sont pas mentionnés. Ainsi, dans le recensement des produits d’assurance, je ne lis rien sur le fait que les assureurs ne remboursent pas toujours, loin s’en faut, tous les dommages, ni pourquoi il en est ainsi». (De Standaard, 2 juin 2010)
« Publicité déguisée” selon le CRIOC (Centre de recherche et d’information des organisations de consommateurs). Le CRIOC a fait parvenir une plainte écrite au ministre de l’enseignement. « Mais dans la circulaire du ministre, il est bien écrit que toute initiative doit être exempte de publicité et que nous pouvons introduire une plainte à la commission administration prudente »
Réaction de Jeroen Janssens, porte-parole du ministre Pascal Smet: “ah, il y a beaucoup d’entreprises qui tentent d’amener l’enseignement à prêter attention à leur secteur d’activités. Je pense au bus Colgate qui passe dans toutes les écoles flamandes pour promouvoir l’hygiène dentaire. Les écoles ont la responsabilité de décider si elles intègrent ou non cette sorte d’initiatives dans leur pédagogie. Le ministre n’intervient pas à ce niveau. Cette décision relève de l’esprit critique des enseignants. » (De Standaard, 2 juin 2010)
Pourquoi le ministre n’intervient-il pas et ne dénonce-t-il pas la publicité de KBC ? Dans les faits, le ministre néglige les déclarations claires de la Commission Administration prudente (voir annexe 2) concernant l’interdiction de publicité dans l’enseignement.
Go! : “ne laissez pas ce matériel de côté»
Dans les coupoles de l’enseignement, jusqu’ici, seul l’enseignement de la Communauté prend ouvertement position sur les nouveaux kits de la KBC.
“A côté de sa visée éducative, cette sorte d’initiative comporte indubitablement un aspect commercial pour les entreprises. Les enseignants, lors de l’utilisation des kits, doivent de préférence pointer cet aspect des choses. Mais ne laissez pas pour autant ce matériel de côté. Ce serait un gaspillage, et grâce aux connaissances acquises, les élèves pourront par la suite mieux comparer les produits financiers des différentes banques ». (GO ! Communiqué de presse, 9 juin 2010)
Peut-être doit-on comprendre ce point de vue par le fait que les services d’encadrement pédagogique ne disposent ni des moyens financiers ni de la main-d’œuvre nécessaires à la réalisation de kits didactiques professionnels. Souvenez-vous que le nouveau gouvernement flamand a raboté l’an passé 5% du budget de fonctionnement et 2,5% des salaires des services d’encadrement pédagogique…
Besoin de kits didactiques alternatifs
Ci et là, des écoles et enseignants sont à la recherche de kits didactiques alternatifs ou en réalisent eux-mêmes. Un inventaire du matériel didactique adapté est nécessaire, et il faut par la suite rendre cette information accessible. L’APED aimerait y participer. Toute personne désireuse d’apporter sa contribution peut nous contacter.
Quelques exemples :
- Netwerk Vlaanderen propose un kit didactique : Cours sur l’investissement socialement responsable pour le troisième degré de l’enseignement secondaire http://www.netwerkvlaanderen.be/nl/…
- “Story of stuff” (Histoire de choses) est une impressionnante présentation de 20 minutes, qui suit le parcours de la matière première vers le produit jusqu’aux déchets et au traitement de ceux-ci. Cette présentation apporte un éclairage sur les problèmes que provoque notre mode de production et montre les effets de la société de consommation. http://www.stopdeoven.be/inhoud/sto…Cliquez ensuite sur « French-Français » pour les sous-titres en français
- Les textes traduits peuvent être consultés à l’adresse suivante: http://www.storyofstuff.com/international/pdfs/script_french.pdf
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Annexe 1
Compétences terminales interdisciplinaires
« Chaque élève a droit a une formation de base adéquate. La formation de base prépare les apprenants à fonctionner de manière critique et créative dans la société et leur vie personnelle ». (1) Cette vision de la formation de base est opérationnalisée en partant d’une source commune (une liste des compétences et compétences-clefs essentielles), de Apprendre à apprendre et de sept contextes ou secteurs d’application.
Les compétences terminales dans le contexte socio-économique traitent d’aspects sociétaux de l’économie. Il s’agit ici de thèmes comme :
– le rôle de l’autorité, des entreprises, des organisations d’employeurs et de travailleurs;
– le bien-être et la prospérité
– le travail, les activités économiques, les biens et services
– la connaissance de la pauvreté: caractéristiques, causes et conséquences (par exemple vivre dans la pauvreté peut être vécu comme un obstacle à une participation complète à la société) ;
– les aspects de l’éducation des consommateurs avec entre autres une attention pour les droits et devoirs de ceux-ci
la gestion du budget dans le cadre du comportement de consommation, l’indépendance et la résistance morale. (1)
(1) http://www.ond.vlaanderen.be/dvo/se…
Vous trouverez les compétences terminales dans le contexte socio-économique à l’adresse suivante: http://onderwijs.vlaanderen.be/dvo/…
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Annexe 2:
La commission pour une administration prudente sur les messages publicitaires dans le matériel didactique
« La publicité signifie ici toute communication de quelque forme que ce soit en lien avec le commerce, l’entreprise, l’artisanat ou les professions visant à promouvoir la vente de biens et services. L’objectif des messages publicitaires est le maintien ou l’augmentation du chiffre d’affaires ou des bénéfices ».
La commission indique ceci en matière de messages publicitaires dans le cadre scolaire: les directions d’écoles doivent conserver un matériel didactique vierge de tous textes et images publicitaires. « Matériel didactique » signifie ce qui est utilisé dans l’enseignement et l’éducation pour les programmes obligatoires : livres, cartes géographiques, magazines, agendas, photos, folders, brochures et le matériel comme entre autres les films, les ordinateurs, le matériel audio-visuel.
Toute publicité (texte, photo) dans le matériel didactique dans le cadre des programmes obligatoires qui dirigent directement ou indirectement l’attention sur certaines entreprises, produits ou marques est en contradiction avec l’interdiction décrétale sur les messages publicitaires. (CZB/V/GZ/2003/27-3 novembre 2003)
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Annexe 3
Anton Maertens (ACW):
“Ne laissez pas les leçons d’économie aux économistes”
Le 3 mars, Anton Maertens, philosophe et secrétaire de rédaction du mensuel de l’ACW De Gids, a réagi dans De Standaard à un plaidoyer de Febelfin, la coupole des institutions financières.
“Les jeunes belges ne doivent-ils pas acquérir de toute urgence plus de connaissances économiques et de leçons d’économie ?, demandait rhétoriquement Febelfin hier. La question n’est pas seulement fausse mais également trompeuse. On fait reposer la responsabilité sur les (petits) investisseurs, les emprunteurs et les autres clients de la banque. ‘Le consommateur ne comprend pas, nous devons l’éduquer ‘
Au lieu de demander combien un taux d’intérêt de 2 % rapporte sur cinq ans sur un compte de 100 euros, Febelfin devrait peut-être plutôt clarifier combien de frais de fonctionnement cachés la banque comptabilise, combien de fois elle adapte ses tarifs et en même temps bénéficie de tarifs bon marché à la BCE.
Ils ont fait des bêtises, et puis on attend que l’homme de la rue les répare.
L’élite économique est fautive, mais ce sont les jeunes qui doivent améliorer leurs connaissances? La CBFA (commission bancaire, financière et des assurances, ndlr) échoue mais c’est elle qui va corriger les leçons qui devront être données dans l’enseignement secondaire ? Un peu fort, non ?
Est-il inutile de savoir ce qu’est un taux variable ? Naturellement pas. Mais: c’est un puits sans fond. Le secteur bancaire rend les choses difficiles pour le consommateur. Des enquêtes juridiques de Test-achats mettent le doigt dessus. Mais il ne faut pas chercher si loin. Il faut une demi-heure et un microscope pour savoir quel intérêt on perçoit vraiment sur un compte après avoir pris connaissance des petits caractères d’une publicité bancaire. Ou bien ne connaissez vous pas cette publicité qui propose une bonne affaire, mais rajoute dans un tempo très rapide que « la banque ne peut garantir le rendement proposé »
Mais l’idée de leçons économico-financières ne doit pas être abandonnée prématurément. Ces cours peuvent être utiles s’ils comprennent des éléments critiques. La science économique –si elle mérite encore cette appellation- a failli. Ceci peut faire partie du cursus. Certains économistes vont rouler des yeux mais nous pouvons citer sans difficulté certains courants philosophiques critiques, comme le scepticisme. Quelqu’un qui connaît les concepts développés par David Hume, comprend rapidement que ce n’est pas parce que la valeur d’une action grimpe pendant quatre mois qu’il en sera encore ainsi au cinquième mois.
Et une portion de stoïcisme aurait pu lutter contre la cupidité – cause importante mais peut être oubliée de la crise financière. Et on pourrait continuer comme ça. Qui a peur de l’économie behaviouriste? De Keynes ? De Marx ? Mettrons nous aussi dans le cursus qu’il y a des fonds d’épargne pension qui tirent leur rendement des crises alimentaires et de la destruction des paysages africains pour les matières premières ? Démarrons le débat là-dessus »
(Anton Maertens, « Ne laissons pas les leçons d’économie aux économistes », tribune libre dans De Standaard, 3 mars 2010)