Serge Latouche, Sortir de la société de consommation, Les liens qui libèrent, 2010, 208 p.
Ce nouvel opus du professeur émérite d’économie de l’Université d’Orsay part de la réalité de la société de consommation globalisée pour en arriver à l’éloge d’une société de décroissance qu’il appelle de ses vœux depuis longtemps. Puisque les nations riches surconsomment, elles doivent diminuer drastiquement et rapidement le niveau de prélèvement des ressources naturelles non renouvelables, si elles veulent éviter le chaos écologique. Mais il n’y a pas que cela. Le chaos social menace également. La poursuite de la croissance économique appauvrit l’être, détruit la socialité dans ses aspects solidaires et conviviaux et ne parviendra jamais à réduire les inégalités, bien au contraire ! L’auteur choisit ici quelques accroches originales, ce qui distingue ce présent essai, par exemple, du Pari de la décroissance (Fayard, 2006). Il voit dans le mouvement zapatiste, qui a mis en place un ensemble de communes autonomes du pouvoir central de Mexico, certaines des conditions du changement de système. On retrouve aussi les piliers habituels de sa pensée. La « pédagogie des catastrophes » est toujours envisagée comme un aiguillon pour aider à sortir du « totalitarisme productiviste » qui rapproche l’humanité de son effondrement global. Quelles catastrophes ? « Celles de l’anthropocène, c’est-à-dire celles engendrées par la dynamique d’un système complexe, la biosphère, en co-évolution avec l’activité humaine et altérée par elle. » (p. 35). Autres thèmes chers à l’auteur, tous nécessaires pour aborder la transformation de la société vers l’« après-développement » : la décolonisation de l’imaginaire, la critique du « développement durable » et la sortie de l’économie. Latouche voit en Ivan Illich et Cornélius Castoriadis des précurseurs de la décroissance, à leur corps défendant. Le chapitre intitulé « Utopie méditerranéenne et décroissance » explore les possibles historiques et anthropologiques qui feraient s’engager les pays riverains de la Méditerranée dans un cercle vertueux vers la décroissance. Cependant, l’auteur en reste aux spéculations philosophiques pour souhaiter un processus qui n’a encore aucune réalité tangible et qui risque même de rester, hélas !, dans les limbes. Le chapitre « Le défi de l’éducation à la décroissance » nous interpellera particulièrement. Latouche est le premier à avoir théorisé les possibilités d’intégrer à l’École le procès de la décolonisation de l’imaginaire. Et la tâche sera rude, puisque l’institution scolaire « enseigne la religion de la croissance et inculque la foi dans le progrès » (p. 128) et « participe malheureusement à l’entreprise de désinformation » (p. 120). Ainsi, dans l’enseignement espagnol, un manuel de biologie et de géologie affirme froidement que « la biodiversité actuelle sur la planète est la plus grande qui ait jamais existé » ! (p. 120) Quant à la fameuse « éducation au développement durable », elle apparaît comme le marchepied pédagogique du nouveau capitalisme éco-compatible, soit le capitalisme vert. Latouche précise que « la tâche du vrai pédagogue consiste à former des citoyens capables de penser par eux-mêmes et susceptibles de devenir les grains de sable qui bloqueront la mégamachine » (p. 130). Mais il plaide aussi pour laisser la possibilité aux hommes d’apprendre en dehors du système scolaire, rejoignant par là les thèses d’Illich. Dans sa conclusion, il en appelle à une « déprise de la religion de la croissance. Elle [la décroissance] implique la nécessité d’une décroyance. Il faut abolir la foi dans l’économie, renoncer au rituel de la consommation et au culte de l’argent » (p. 208). On ne saurait mieux dire.
Bernard Legros