Elisabeth Roudinesco, Mais pourquoi tant de haine ?, Seuil, 2010, 88 p.
On peut désormais classer Michel Onfray (né en 1959) comme le plus éminent représentant de la seconde génération des « nouveaux philosophes » français, dans la catégorie libertaire et « nietzschéienne de gauche » (sic). L’homme est parvenu à occuper le champ philosophique, ses nombreux bouquins se vendent comme des petits pains, les médias l’encensent, bref, il a « réussi ». Nous ne sommes pas obligés d’en être jaloux, mais force est de constater que le succès lui monte à la tête. Il pense aujourd’hui avoir un avis autorisé sur tout et n’hésite pas à retourner sa veste : thuriféraire de la psychanalyse il y a dix ans, contempteur de Freud aujourd’hui ; de quoi faire monter au créneau Elisabeth Roudinesco, gardienne du temple, avec l’aide de quelques amis, Guillaume Mazeau, Christian Godin, Franck Lelièvre, Pierre Delion et Roland Gori. Mais pourquoi tant de haine ? est une réponse argumentée au Crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne, copieux pamphlet paru chez Grasset. Selon Roudinesco, Onfray a multiplié les erreurs, les approximations et même les mensonges, le tout sur un ton hargneux, tant sa volonté (de puissance ?) d’en découdre avec le père de la psychanalyse est forte. Il rejoint ainsi la cohorte de ceux qui veulent en finir avec l’exploration de l’inconscient au profit des thérapies brèves cognitivo-comportementales, tellement plus adaptées au capitalisme triomphant. Cette lame de fond antipsychanalytique s’inscrit dans ce contexte ; il faut lui résister, du moins si l’on veut résister à la normalisation sociale et à l’idéologie sécuritaire, symptômes de la mise en place de cette nouvelle phase du capitalisme depuis quelques années. Et il ne s’agit plus de tergiverser en déplorant que la psychanalyse serait misogyne, bourgeoise, réactionnaire, excessivement onéreuse, etc., clichés véhiculés par Onfray mais battus en brèche par les auteurs de cet essai, dont Christian Godin : « La mise à l’écart de la seule force de résistance qui puisse faire échec à la fiction et aux illusions du sujet néolibéral qui gère son existence et ses plaisirs comme un chef d’entreprise, c’est à cela que servira le livre d’Onfray, s’il sert à quelque chose. » (p. 74). On peut par contre reconnaître que la psychanalyse n’est pas une discipline scientifique, sans pour autant accuser Freud d’anti-scientisme. Et alors ? Freud « a fondé la psychanalyse à partir d’une autre rationalité qui n’est pas du même ordre que celle des sciences de la nature » (p. 43). Face à tant de remous, le fondateur de l’université populaire de Caen a déjà préparé sa réplique habituelle : tous ceux qui le critiquent sont des « derniers hommes » rongés par le ressentiment nietzschéien. Moi y compris, donc.
Bernard Legros