HEINE Sophie, Oser penser à gauche. Pour un réformisme radical, Aden, 2010, 190 p.
Ce petit essai veut contribuer à une refondation de la pensée de la gauche – de gouvernement comme radicale – durablement désorientée par la crise. La chercheuse Sophie Heine parle de philosophie politique par le biais d’une écriture claire et rigoureuse. De quelle(s) façon(s) la gauche peut-elle reprendre des forces et des couleurs dans un monde devenu néolibéral depuis maintenant trois décennies ? Le matérialisme dialectique lui est-il encore d’un quelconque secours ? Quel rôle l’idéologie doit-elle jouer ? Quelle importance respective doit-on donner aux valeurs et aux intérêts de classe bien compris ? Faut-il laisser le monopole de la construction de la liberté individuelle à la droite ? Quel sens donner au réformisme ? Faut-il jeter le bébé du libéralisme politique avec l’eau du libéralisme économique ? Marx était-il individualiste ? Comment circonscrire le rôle de l’État de droit face à la société civile ? Autant de questions auxquelles l’auteure apporte des réponses argumentées. Elle prêche ouvertement pour l’universalisme contre le patriotisme et le nationalisme, en précisant, toujours dans un sens dialectique, que « la souveraineté économique, même sous la forme du protectionnisme peut en effet très bien se justifier dans une approche pourtant universaliste. » (p. 80) Par contre, elle démontre les travers de la doctrine du cosmopolitisme officiel qui, d’une part cache mal un projet politique souvent réactionnaire opposé à la souveraineté des Etats et des peuples, et d’autre part confond les dimensions descriptives et prescriptives. Bien qu’opposée aux traités constitutionnels européens successifs, miroir des intérêts d’une élite néolibérale, Heine se prononce en faveur d’une autre politique européenne qui permette l’application des droits civils, politiques, écologiques et sociaux, sans pour autant négliger l’action des Etats-nations. Le dernier chapitre redéfinit le contenu du réformisme dans un sens progressiste, qui tiendrait compte de la réalité de la lutte des classes ; le « réformisme » conciliant par rapport aux contraintes de la réalité sociale est à rejeter. Ce nouveau réformisme doit récuser toute forme de matérialisme économiciste (défendu par les marxistes et les néolibéraux) et réaffirmer la liberté des êtres humains de construire leur propre histoire. C’est pour cette raison qu’il se dégage finalement de ce livre un parfum d’optimisme, ce qui n’est pas négligeable en ces temps moroses.
Bernard Legros