Dans tout pays qui se respecte, y compris ceux qui sont organisés sur une base fédérale, il existe, au sein du gouvernement central, un ministre national de l’Education. C’est le cas, même dans des pays où les régions jouissent pourtant d’une grande autonomie en la matière, comme en Espagne, en Allemagne ou aux Etats-Unis…Dans tous les Etats qui se veulent démocratiques, les citoyens ont donc l’occasion, au moment des élections, de se prononcer collectivement sur la politique éducative de leur pays. Même si, par la suite, la mise en oeuvre détaillée de cette politique sera laissée aux soins d’autorités régionales.
Dans tout pays qui se respecte, le parlement vote, chaque année, le budget des dépenses publiques, en ce compris le budget de l’Education. Et même si, par la suite, les parlements régionaux peuvent moduler ces budgets et en affiner l’affectation précise, les grandes lignes auront été déterminées au niveau de la Nation et l’égalité de traitement des citoyens et des travailleurs de l’enseignement d’un pays aura ainsi été garantie.
Tout cela est vrai et semble aller de soi dans le monde entier, sauf en Belgique. Nous sommes l’unique pays sur la planète Terre — à l’exception toutefois de la fort bien nommée confédération helvétique — à n’avoir pas de ministre national de l’Education, ni de budget national de l’Education. Nous sommes le seul pays de l’Union européenne à être représenté aux réunions du Conseil des ministres de l’Education, non pas par un ministre, mais par deux, et en alternance s’il vous plaît. Bonjour la cohérence et la continuité des travaux. Imaginez, si l’Allemagne devait être représentée alternativement par les seize ministres de ses Länder… Heureusement, les Belges sont plus braves que les Germains : ils n’ont pas peur du ridicule.
Le 13 juin vous voterez. Mais votre vote n’aura officiellement aucun impact sur les politiques d’éducation, ni sur les budgets alloués à l’enseignement. Les députés que vous enverrez au Parlement n’auront aucune influence sur la nomination d’un ministre belge de l’Education puisque celui-ci n’existe pas. En Belgique, l’éducation échappe au processus démocratique.
Certains nous rétorqueront que nous pouvons néanmoins exercer notre contrôle démocratique des politiques d’enseignement au moment des scrutins régionaux. L’argument est ridicule et fallacieux. Premièrement parce que les moyens de l’enseignement sont fixés une fois pour toutes dans une loi de financement bien particulière, qui exige, pour être modifiée, les mêmes conditions qu’une révision de la constitution. Les Communautés, qui gèrent l’enseignement, n’ont donc pas et ne pourraient en aucune manière avoir le contrôle des moyens qu’elles y alloueront (comment, sur quelle base et auprès de qui une Communauté linguistique pourrait-elle lever des impôts ?). Quant au parlement fédéral, il ne peut modifier la loi de financement qu’à des conditions quasi-impossibles, donc antidémocratiques.
Deuxièmement et surtout, depuis la Communautarisation, les lieux où se décident les politiques d’éducation, se trouvent ainsi singulièrement éloignés du parlement central où se discutent pourtant d’innombrables autres politiques qui dépendent de l’enseignement ou dont dépend celui-ci.
N’y aurait-il pas de lien entre l’enseignement d’une part, les ministères de l’Intérieur et de la Justice d’autre part, lorsqu’ils affrontent les problématiques de jeunes en décrochage scolaire, en manque cruel d’éducation et de socialisation ?
N’y aurait-il pas de lien entre l’enseignement et le ministère des Finances ? C’est pourtant bien de ce dernier que dépendra la volonté de prélever, auprès des grandes fortunes, sur les bénéfices des entreprises, par la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, les moyens qui font cruellement défaut à nos écoles.
N’y aurait-il pas de lien entre l’enseignement et la politique de l’emploi, entre la validation des qualifications et l’accès au marché du travail ? On ne cesse pourtant de nous rebattre les oreilles avec le discours contraire ! S’il est vrai que l’école ne peut pas grand chose pour lutter contre les taux de chômage élevés, elle peut au moins faire en sorte que ce ne soient pas toujours les mêmes qui en soient les victimes.
N’y aurait-il pas de lien entre l’enseignement et les besoins en formation et en qualifications des administrations publiques, des entreprises publiques, qui dépendent pourtant du gouvernement fédéral ?
N’y aurait-il pas de lien entre l’enseignement et l’assurance maladie ? Où se forment donc les médecins, les infirmiers, les kinésithérapeutes et les dentistes de ce pays ?
N’y aurait-il pas de lien entre l’enseignement et le ministère des Réformes institutionnelles ? C’est pourtant bien de l’école que dépendra la formation d’une génération de citoyens réellement bilingues, particulièrement à et autour de Bruxelles, une génération capable de pacifier ce pays, sa capitale et sa périphérie.
Et que dire de la constitution belge, qui nous impose sa prétendue liberté d’enseignement ? Croyez-vous que l’on puisse mettre fin à la ségrégation sociale produite par le libre marché scolaire, sans toucher un jour à ce sacro-saint article 24 de la Constitution ?
Parcourez les annales parlementaires d’un pays choisi au hasard. Vous y découvrirez de virulents débats sur les objectifs et les moyens de l’éducation de la jeunesse, sur les besoins en formation, sur la validation des qualifications… Des débats qui mêlent politiques éducatives, politiques fiscales, politiques économiques, politiques sociales, politiques de sûreté, politique intérieure, justice… Vous y lirez de belles intentions généreuses et de folles inepties, des idées révolutionnaires et d’imbuvables préjugés réactionnaires. Qu’importe, au moins y a-t-il débat. Chez nous, c’est le néant. Aux parlements des Communautés, on ne peut que gérer l’enseignement sans jamais le penser dans sa globalité. On y parle de pédagogie et de pilotage, de recrutement et d’austérité, mais jamais d’éducation ou d’instruction. Quant au parlement fédéral, le mot enseignement y est banni. Tous les nécessaires et stimulants débats sur la place de l’Education dans la Nation, qui enflammèrent jadis les hémicycles de la rue de la Loi, seront interdits aux hommes et aux femmes que vous élirez le 13 juin. Ils sont donc, de facto, interdits aux citoyens de ce pays.
Faut-il donc, au nom de l’enseignement, boycotter ces élections ? Au contraire. L’Aped vous appelle à voter le 13 juin pour des hommes et des femmes politiques…
– qui refusent d’enfoncer davantage le pays dans l’ineptie institutionnelle où l’ont plongée la communautarisation et la régionalisation; qui réclament au contraire un retour à davantage de pouvoir fédéral, particulièrement dans le domaine de l’enseignement.
• qui estiment qu’un élève flamand et un élève francophone ont droit à un enseignement de même qualité, donc financé de la même façon; qu’un professeur flamand et un professeur francophone ont droit au même statut et au même traitement.
– qui plaident pour que l’on fasse de Bruxelles et de sa périphérie une zone réellement bilingue, ce qui passe par la fusion des écoles flamandes et francophones en un unique réseau d’enseignement bilingue
– qui exigent une politique fiscale capable de donner aux services publics, et à l’enseignement en particulier, les moyens dont ils ont besoin.