ARIÈS Paul, La simplicité volontaire contre le mythe de l’abondance, La Découverte, 2010, 298 p.
La thèse centrale de ce nouvel essai de Paul Ariès, figure majeure de la décroissance en France et auteur prolifique, est la suivante : il a toujours existé une gauche antiproductiviste – dans le socialisme utopique, dans l’anarchisme et dans le marxisme hétérodoxe –, mais elle a rapidement été étouffée, tant par le capitalisme que par le marxisme officiel. La crise écologique est un kairos pour la réactiver, mais il faut éviter un double écueil. Primo, et en toute évidence, celui d’une gauche productiviste et optimiste (celle de Marx, Lafargue, Saint-Simon, pour ne pas parler des partis socialistes européens aujourd’hui). Secundo, celui d’une gauche antiproductiviste et pessimiste (celle de Leroux, Kropotkine, Bakounine, Reclus, Proudhon, Adorno, Horkheimer, Benjamin, Gramsci, Sartre, Gorz, etc.). Ariès est donc à la recherche d’une (nouvelle) gauche qui serait à la fois antiproductiviste et optimiste. À tout saigneur tout déshonneur, il commence d’abord par nous décrire, dans le premier chapitre, ce capitalisme vert qui est en train de se substituer au néolibéralisme et de montrer son visage hideux, après la parenthèse faussement rassurante du « développement durable ». Parmi ses projets funestes figure la convergence NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, sciences de l’information et de la cognition), qui annonce l’avènement d’une posthumanité très peu démocratique ! L’auteur s’attèle ensuite à déciller les yeux d’une certaine gauche qui continue à prêcher ce productivisme prélude à la société d’abondance, qui met pourtant la nature à sac et les travailleurs à genoux. Il la met en garde, elle qui croit toujours au progrès et au sens de l’Histoire qui déboucherait nécessairement sur le communisme, question de temps : « Pour la première fois de l’histoire, ce qui est le plus probable n’est pas le communisme mais l’hypercapitalisme vert, c’est-à-dire un monde totalement soumis à la marchandisation, n’ayant même plus besoin de réaliser des compromis sociaux, un univers matériel et mental totalement adapté aux besoins du productivisme. » (p. 202).
Après un constat aussi déprimant, y aurait-il des raisons d’espérer ? Oui, nous dit l’auteur, déjà en regardant la face cachée de l’Histoire que furent les révoltes populaires contre le machinisme, le taylorisme et les cadences infernales (Luddites, Canuts, CGTistes, etc.) ; en remettant en cause la centralité du travail dans notre vie ; en nous penchant sur les travaux de William Morris, Henri Lefebvre et Jean Baudrillard, qui ont dénoncé l’emprise des objets et des erzats sur notre vie quotidienne ; en choisissant la simplicité volontaire – démarche individuelle – et l’objection de croissance – démarche collective et politique – pour se donner un projet de société aussi solide, mais tellement plus désirable que celui de la droite croissanciste. Les axes de cette simplicité volontaire sont divers : la revalorisation des différences et même des identités, la grève de la consommation pour retrouver la maîtrise de nos usages, la convivialité, l’autonomie contre l’hétéronomie, la resymbolisation de la société, la redécouverte du corps et de la nature, le refus de la vitesse, la relocalisation de l’économie et de nos modes de vie, et surtout la gratuité des usages raisonnables et déterminés démocratiquement, thème qu’Ariès avait déjà développé dans Le mésusage (Parangon, 2007).
Bernard Legros