Mythologie du portable

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ALLARD Laurence, Mythologie du portable, Le Cavalier bleu, 2009, 87 p.

La sémiologue Laurence Allard nous renseigne ici sur l’essor du téléphone portable dans les pays pauvres et émergents. Nous apprenons ainsi qu’en Afrique, pour un milliard d’habitants, trois cent millions d’Africains ont accès au portable, avec un taux de 30 à 90% de pénétration selon les pays ; que grâce à lui les paysans améliorent leurs rendements agricoles et les pêcheurs, leurs rendements halieutiques ; que tous peuvent grâce à lui contracter plus facilement des micro-crédits ; que grâce à lui les femmes africaines s’émancipent de la tutelle familiale et masculine, bref, qu’il est une efficace technologie d’individuation… Et du côté de l’enseignement ? Bingo aussi, grâce à des grands prêtres visionnaires (sic), technophiles et affairistes comme Mark Prensky et Steve Vosloo, ce dernier étant l’inventeur du « mLearning ». Prenant acte que désormais les adolescents sont tous des « natifs digitaux », il ne servirait plus à rien d’aller contre la force de l’évidence : « Prensky suggère d’inscrire le mobile dans le processus éducatif et d’en utiliser toutes les fonctionnalités : la voix pour l’apprentissage des langues ou pour des audio-guides ; le SMS pour des questions-réponses ou des quiz ; les caméras vidéo pour la collecte de données, d’enquêtes, de scénarisations, de captations pour les exposés, des live […] le GPS pour les jeux d’orientation, de piste, en histoire ou en architecture […] ; Internet et enfin les programmes téléchargeables […] » (p. 69). Le portable va bientôt ringardiser les enseignants puisqu’ils « ne sont plus les seuls interlocuteurs légitimes et garants de ce qu’il faut connaître pour grandir et être éduqué. Ce sont bien souvent les pairs qui font fonction d’éducateur […] » (p. 70). À nouveau cette inversion des rôles générationnels typique de l’hypermodernité. Mais autre chose encore me dérange dans ce genre de livre : en feignant d’adopter une posture « neutre » et informative qui prend simplement acte des évolutions en cours, l’auteur en vient à décerner implicitement un satisfecit à l’usage invasif du portable dans les pays de la périphérie, au nom des multiples bienfaits (sic) exposés plus haut ; ne pas critiquer ce qui est pour la simple raison que cela est. En complément (ou à la place) de cette prose crypto-dithyrambique (mais bien documentée), je conseille au lecteur un essai bien plus lucide et critique : Le téléphone portable, gadget de destruction massive, par le collectif Pièce et Main d’œuvre (L’Echappée, 2008).

Bernard Legros