Autant l’annoncer d’entrée : nous n’aimons pas, mais alors pas du tout, la Déclaration de politique communautaire rédigée par le CDH, Ecolo et le PS. Nous y trouvons bien quelques intentions de nature à nous réjouir, mais aussi bien le lexique que le contenu du projet – et (peut-être surtout) ce qui ne s’y trouve pas -, nous font penser que les fruits de l’olivier seront amers. A mille lieues de nos désirs d’Ecole commune.
Il n’est jamais inutile de rappeler ce que nous entendons par « école démocratique ». Notre association se bat afin que tous les jeunes – quelle que soit leur origine sociale ou ethnique – accèdent aux savoirs et aux compétences qui permettent de comprendre le monde et de participer à sa transformation (vers plus de justice sociale). Nous sommes notamment convaincus que tous les jeunes peuvent accéder à cette citoyenneté critique.
Ce qui nous préoccupe dès lors, c’est la catastrophe scolaire belge : ses inégalités et le sort des jeunes les plus fragiles. Autre source de préoccupation (et les deux sont liées) : la marchandisation de l’école, soumise de plus en plus à la logique économique.
Depuis quelques années, nous portons un programme d’école démocratique, une alternative progressiste que nous avons appelée « école commune ». Rien, ou si peu, dans la Déclaration ne nous en rapprochera. Au contraire, de nombreux indices annoncent des reculs graves en termes de démocratie.
Des déclarations d’intentions floues et aux relents … libéraux
Que voulez-vous opposer à une formule telle que celle-ci : « une énergie partagée pour une société durable, humaine et solidaire », mise en exergue du projet de la coalition ? Ou encore quand elle affirme que l’enseignement est « un secteur très important », qu’elle vise « une école qui émancipe en amenant chacun à la réussite » ? Partout dans le texte, il est question de « plans ambitieux ». Il est vrai que les déclarations d’intentions ne coutent rien. Au contraire de leur mise en œuvre (dont on ne nous dit pas grand chose).
La précédente coalition avait au moins eu le mérite de commencer par un diagnostic assez précis de certains problèmes (dont l’inégalité de notre système scolaire) et d’affirmer sa volonté de les résoudre, par des méthodes certes imparfaites, mais déjà annoncées tout de même (la régulation des inscriptions, par exemple).
Ici, rien de tel. Pire : le texte regorge d’expressions révélatrices de l’idéologie qui le sous-tend. Les termes « excellence » (employé de manière incantatoire sans jamais être défini), « capital humain » (capital !), « investissement dans la jeunesse » (investissement !), « synergie », ou encore le concept de « démarche qualité », fleurent à plein nez la gestion managériale et le libéralisme.
Quelques motifs de satisfaction … sans la moindre garantie
Nous relevons néanmoins quelques intentions intéressantes : entre autres, une volonté de favoriser la réussite de tous, par la remédiation immédiate, l’encadrement différencié, le contrôle du cout de l’école, etc. (mais où sont les moyens concrets ?) ; une volonté d’inciter les parents à scolariser leurs enfants dès l’âge de trois ans (mais comment procéder ?) ; une formation initiale de cinq ans pour tous les enseignants (mais avec quels contenus et quel budget pour aligner les instits et les régents sur le salaire des licenciés ?) ; dans le supérieur, un accès facilité par une diminution des barrières financières et la suppression de quelques examens d’entrée …Il est aussi question d’autres thématiques qui nous plaisent : la participation des élèves, le bien-être des enfants à l’école, y améliorer l’alimentation, les liens entre culture et éducation, la promotion de l’activité physique, etc…. Mais où sont les plans opérationnels et les moyens ? Les Centres PMS sont mis en avant et se voient confier des missions supplémentaires : combien d’agents va-t-on engager en plus pour ce faire ?
Des projets théoriquement intéressants, mais pas dans un contexte de quasi marché scolaire
Prenons l’exemple du TESS, cette idée de faire passer le même test à tous les étudiants au terme du secondaire supérieur. Nous n’avons pas de problème avec ça, a priori. Car, pour mieux piloter l’Ecole, il faut pouvoir s’appuyer sur une vue objective de la situation. Et qu’il importe d’harmoniser les résultats scolaires. Mais, dans le contexte actuel, avec la concurrence que se font les établissements, et la dualisation qui en résulte, le TESS ne ferait que confirmer les inégalités et stigmatiser les école où se concentrent les élèves les plus fragiles. Face à ce TESS, il y aurait aussi inégalité entre enseignants : avant la mise en place de moyens de remédiation sérieux, il reviendrait à mettre la charrue avant les bœufs. Et puis, dans un système où compte tant l’image de marque de l’établissement, il y a toujours le risque de fuites des résultats et classements savamment orchestrées.
Autres exemples de projets ambigus dans la Déclaration : les synergies à créer entre écoles, très timides et partielles ; la création de « bassins de vie », limités désormais au seul enseignement qualifiant (avec pour enjeux des économies d’échelle ?)
Des motifs (très) graves d’inquiétude
Rien de concret au rayon satisfactions, donc. En revanche, au rayon cauchemars prévisibles, ça se bouscule.
Plus d’autonomie pour les établissements
On sait quels avantages cela va offrir aux écoles d’élite, et dans quelles impasses cela va maintenir les écoles ghettos. On connaît en effet le poids décisif que joue l’image de marque d’une école et de sa population dans le choix des parents. L’encadrement différencié ne bouleversera pas la donne. Par ailleurs, si le chef d’établissement devient (par un coup de baguette magique ?) « moteur de son équipe pédagogique », ni lui ni ses enseignants ne disposent d’heures de coordination pour adapter l’enseignement aux besoins identifiés.
Enterrement de première classe pour le décret « mixité sociale »
En ce qui concerne une régulation des inscriptions et une démarche volontariste vers plus de mixité sociale, on repart d’une page blanche. Mais le système devra être « garant de la liberté des parents ». Autant dire, chat échaudé craignant l’eau froide, que l’on va assister à l’enterrement du décret inscriptions. Et honte au PS pour avoir lâché les deux seuls ministres qui auront eu le courage – tout relatif et/ou maladroit fut-il – de s’attaquer à ce qui est bien un tabou du CDH et du MR.
Une « refondation » du qualifiant exclusivement tournée vers les besoins du marché
Le chapitre consacré à l’enseignement qualifiant est imbuvable ! Comme s’il était concevable que l’école soit ravalée au rang de simple instrument au service de la guerre économique. Un rappel s’impose : « l’insertion sociale des jeunes via des emplois de qualité », invoquée par l’Olivier, relève, non pas – comme il le soutient – d’une « ouverture de l’Ecole au monde de l’entreprise » (un monde dont on peut mesurer l’expertise à la profondeur de la crise où il nous a tous plongés…), mais de décisions politiques et des rapports de forces sociaux (pourquoi pas la création d’emplois dans les services publics, par exemple, ou encore la réduction et le partage du temps de travail, etc. ?) En d’autres mots, même si l’Ecole forme mille ouvriers qualifiés dans un secteur, tant que l’intérêt des patrons et des propriétaires d’entreprises sera d’alimenter les bataillons de réserve que constituent les masses de chômeurs (pour faire pression sur les salaires et les conditions de travail), l’insertion sociale par l’école et le travail restera un leurre.
Attention, l’instrumentalisation de l’Ecole par l’économie va gagner d’autres secteurs que le qualifiant !
Les partenariats locaux entre établissements scolaires, opérateurs de formation, fonds sectoriels des entreprises et partenaires sociaux interprofessionnels, mis en place dans les « bassins », pourraient être progressivement adaptés à d’autre niveaux et types d’enseignement (pp. 23 et 24). Du même tonneau, la volonté du gouvernement d’inscrire l’orientation des enfants « dès l’école fondamentale » (p. 26).
L’esprit d’entreprendre et la capacité d’initiative est de plus en plus valorisé, même si, bien sûr, vernis centre gauche oblige, « l’acte d’entreprendre ne saurait se limiter au monde de l’entreprise marchande. » (p. 34). Le vernis craque quand, au rayon des mesures concrètes, figure seule une intervention accrue de l’ASE, Agence de Stimulation Economique …)
La citoyenneté critique à la poubelle. Vive la citoyenneté grégaire !
Une lecture transversale (lol !) de la Déclaration fera frémir tous les démocrates attachés à une citoyenneté critique. Le terme apparaît pourtant à de nombreuses reprises dans le texte, mais c’est purement incantatoire. Ou alors, il faudra nous expliquer les contradictions suivantes. Pour les jeunes qui « s’orientent », même positivement, vers le qualifiant, comment concilier une solide formation générale (historique, sociale, scientifique, culturelle, philosophique, etc.), condition sine qua non d’une réelle citoyenneté, avec une généralisation des stages professionnalisants, de la formation en alternance et de la modularisation (p. 44) ? C’est déjà mission impossible aujourd’hui, avec les résultats mis en évidence par notre enquête de 2008 (« Seront-ils des citoyens critiques ? »). Qui plus est si on diminue encore la part des cours généraux. A propos de la promotion de l’alternance, « priorité de cette législature », un détail piquant (on ne rit pas, svp) : les entreprises qui engageront (exploiteront) ces stagiaires (cette main d’œuvre bon marché) seront symboliquement récompensées par un label… d’ « entreprise citoyenne ». Autre contradiction : comment accéder à une citoyenneté critique si le gouvernement revoit à la baisse les compétences de base à atteindre par tous au terme du tronc commun à 14 ans (p. 29, la liste : « la compréhension en lecture, l’expression orale, l’expression écrite, la résolution de problèmes mathématiques, l’apprentissage de la démarche scientifique, la connaissance de langues étrangères ») ? Que des compétences instrumentales, rien au niveau d’éventuels contenus permettant de comprendre le monde et ses enjeux !
Tout s’éclaire quand on tombe sur la définition que donnent les signataires de la citoyenneté : « Etre citoyen, cela signifie adhérer à et respecter une série de règles permettant le « vivre ensemble ». Ce contrat social, fait de règles communes à tous, permet à chacun de développer des relations harmonieuses, en toute sécurité, avec son environnement. Le décret « Citoyenneté à l’école » va dans ce sens. » (p. 49).
Il s’agit donc de s’inscrire dans la société comme elle est. Point barre. Et éventuellement d’y développer tout ce qui ne la dérangera pas. On marquera ainsi du sceau de la citoyenneté des actions en matières aussi diverses que la lutte contre les assuétudes, le commerce équitable, etc. Esprit critique, es-tu là ?
Le hasard fait parfois bien les choses : bien involontairement, sans doute, nos éminences présentent dans la même foulée le constat le plus désespérant de l’Ecole d’aujourd’hui (le « manque de motivation » des jeunes, p. 50) … et sa raison principale : la citoyenneté de soumission qu’on leur réserve ! Si vous y ajoutez l’importance donnée dans ce document aux « impératifs » économiques, la boucle est bouclée. Vous proposez aux jeunes, comme seuls horizons, d’être des instruments au service des entreprises et d’obéir aux règles d’un certain « vivre ensemble » … et vous vous étonnez de les voir manquer de motivation !?
Pour qui n’aurait pas encore compris, une dernière piqûre de rappel : « L’enseignement doit évoluer avec le monde qui l’entoure. En même temps, le monde économique a besoin de l’enseignement […] » (p. 62).
Tout ce que nous aurions voulu lire dans la Déclaration de politique communautaire d’une coalition de « centre-gauche » et qui n’y est pas
Après la visite du musée des horreurs, si on se prenait à rêver d’une école commune réellement émancipatrice. On s’apercevrait vite que la Déclaration est tout bonnement muette sur les conditions nécessaires à la démocratisation de l’Ecole :
– pas de volonté d’aller vers l’école commune jusqu’à 16 ans (un vrai tronc commun, général et polytechnique, pour tous) ;
– pas de volonté affirmée de créer la mixité sociale ;
– pas d’avancée vers la fusion des réseaux ;
– pas de volonté (au contraire) de renforcer la citoyenneté critique de tous les jeunes ;
– pas de remise en cause franche de l’approche par compétences (APC) et des programmes qui en découlent, à peine la promesse d’une évaluation (alors que des voix toujours plus nombreuses – et des études comparatives – s’élèvent contre les dogmes de l’APC) ;
– pas la moindre volonté d’indépendance de l’Ecole par rapport au monde de l’entreprise et ses enjeux économiques mortifères ;
A noter, pour conclure, – et c’est loin d’être accessoire -, que face aux enjeux et décisions qu’il faudra prendre à l’égard de la planète, c’est la voie la plus consensuelle et la plus molle, celle du « développement durable », que choisit le gouvernement. Un manque total de vision et d’ambition pour une équipe pourtant formée autour d’ECOLO.