KEMPF Hervé, Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, Seuil, 2009, 152 pages.
Deux ans après Comment les riches détruisent la planète (Seuil), Hervé Kempf, journaliste spécialiste des questions écologiques au Monde, nous revient avec un autre petit essai dans la même lignée : les riches, le capitalisme, c’est kif kif, et la planète continue à en faire les frais. Exemples à l’appui, l’auteur rappelle les caractéristiques du système économique incriminé : générateur d’inégalités, de corruption, de spéculation, de gaspillage des ressources, tout cela à l’échelle du globe, soit la globalisation. Comment en sortir ? « Pour sortir de la mécanique destructrice du capitalisme, il faut prioritairement démonter des archétypes culturels et se défaire du conditionnement psychique. » (p. 12) Il rejoint là d’autres penseurs actuels (Alain Accardo, Serge Latouche, François Brune, Isabelle Stengers, Guillaume Paoli, Mona Chollet, Dany-Robert Dufour, etc.) qui ont compris que notre prédisposition intériorisée à collaborer avec ce système en est le meilleur garant. Ce qui alimente ensuite nos vifs désirs de consommation, entre autres. C’est ainsi que Kempf rappelle le rôle fondamental que joue la psychologie de l’individu confronté à l’affaiblissement du lien social, qu’il compense en sacralisant la famille.
Le capitalisme, c’est aussi la marchandisation généralisée, y compris des relations humaines, l’auteur donnant l’exemple du sordide marché du sexe. Dans un autre chapitre, il tord le cou au mythe de la « croissance verte » et ses multiples déclinaisons : l’énergie nucléaire, que la propagande cherche à réimposer ; le développement anarchique des éoliennes, qui sont le parangon de la fausse bonne idée énergétique ; la culture des agrocarburants, qui bousille les dernières forêts primaires ; les ultimes gouttes de pétrole que l’on s’apprête à extraire jusque dans les coins les plus reculés de la planète et sous l’océan ; la croyance en la puissance salvatrice de la technologie, alors que la voie de sortie est politique, pas technique. Les expérimentations sociales créatives sont là pour montrer la voie, mais « de même que la main invisible du marché ne conduit pas la myriade d’individus à l’optimum collectif, aucun esprit caché ne mènera une foison d’initiatives à une société nouvelle. Il y faut une conscience commune, des solidarités de lutte, des relais politiques. » (p. 122)
Bien qu’il fustige l’obsession de la croissance pour elle-même, on sent l’auteur davantage lié aux thèses du « développement durable » qu’à celles de la « décroissance ». Il en appelle à des mesures imposées d’en haut, émanant éventuellement d’un gouvernement supra-national. Ainsi, il ne trouve rien à redire à l’hypocrite (et nuisible à terme) marché des gaz à effet de serre instauré dans l’Union européenne ! (p. 124) Il croit que la prétendue « économie immatérielle » peut offrir une possibilité de sortie du capitalisme, s’appuyant sur les derniers écrits d’André Gorz, qui allaient également en ce sens. Sans doute Kempf enterre-t-il un peu vite le capitalisme, qu’il voit déjà mourant (on voudrait le croire !), et nous invite à « imaginer sa suite et non pas attendre, hébétés, que, dans le désastre qu’il aura créé, il se transmue en despotisme. » (p. 117) Son distinguo entre capitalisme et économie de marché — qu’il ne faut pas abandonner, selon lui — est évidemment discutable. Cependant, son essai constitue une bonne introduction, bien documentée, aux données économiques, écologiques et sociales du problème — le mot est faible ! — auquel doit faire face l’humanité. Bernard Legros