Le sociologue espagnol José Ignacio Pichardo Galan, professeur à l’Université de Madrid, a réalisé voilà deux ans une vaste étude sur l’homophobie à l’école. Invité à Liège en 2008 par l’association Alliàge (www.alliage.be), il nous a communiqué les résultats de son enquête menée dans 14 écoles de Madrid, de villes proches et de Gran Canaria. 4500 élèves (de 11 à19 ans) y ont participé en répondant anonymement au long questionnaire qui leur était proposé. A noter que les lycées privés, écoles essentiellement catholiques, avaient refusé de participer à l’enquête.
Voici, en bref, quelques-unes de ses constatations et conclusions.
Quelques chiffres d’abord : 85% des élèves aiment l’autre sexe, 5 % le même sexe ou les deux sexes ou bien ne savent pas définir exactement leur préférence ; 10% sont sans réponse. L’étude précise que, même sous le couvert de l’anonymat, beaucoup n’ont sans doute pas osé se définir réellement comme homosexuel-le-s. Il faut considérer aussi le tout jeune âge d’une partie des participants et leur difficulté à parler de sexualité.
Aucune école n’est épargnée : en plus du questionnaire, les enquêteurs ont dialogué avec des membres du corps enseignant ; on a relevé des traces explicites de souffrances liées à l’homophobie dans tous les établissements concernés.
L’homosexuel-le souffre 3 à 4 fois plus que l’hétéro de harcèlement, et ce harcèlement augmente avec l’âge. La violence est essentiellement dirigée contre celles et ceux qui ne suivent pas le genre qu’ils sont censés représenter (machisme classique, en somme). A cet égard, le garçon serait plus homophobe que la fille. Être homme se résumerait donc à devenir macho ?
Beaucoup de violences sont homophobes sans l’être nommément.
L’école est signalée comme l’endroit le plus dangereux et le plus redouté par les jeunes homos (plus que la famille, la rue et les sorties…) Les jeunes se côtoient quotidiennement, se connaissent, se mesurent l’un à l’autre et ne sont donc pas tendres entre eux. Les injures fusent souvent, les agressions verbales et même physiques ne sont pas rares.
Les plus isolées et désespérées d’entre les victimes peuvent aller jusqu’à la tentative de suicide, voire jusqu’au suicide lui-même.
Il faut donc lutter contre l’homophobie afin de donner une image réaliste, naturelle et positive de l’homosexualité parce que, d’une part, le soutien familial est absolument absent et que, d’autre part, dans les pays latins à forte empreinte catholique, l’homophobie va croissant ; la victime normalise cette violence (« je suis homosexuel-le, je suis minoritaire, c’est normal et fatal qu’on me tape dessus… ») Il faudrait mener une lutte à plusieurs niveaux : intégrer dans les programmes scolaires un cours sur les différences, quelles qu’elles soient, y compris l’homosexualité. Alerter le monde politique, faire participer les associations de défense des droits des gays et des lesbiennes, organiser des conférences, des débats, des échanges réguliers avec les élèves. Assurer une formation aux enseignants et aux éducateurs sur la diversité sexuelle et les questions de genre. Habituer les enseignants à ne jamais hésiter à impliquer les syndicats en cas de problème, etc.
Nous avons tous un jour ou l’autre fait un geste méprisant ou de dégoût, prononcé une mauvaise parole, voire une injure, ou rejeté le comportement d’un proche, d’un ou d’une collègue, d’un ami, d’un membre de notre famille parce qu’il était différent et que son attitude, son style ou sa voix pouvait laisser croire que… En fait, l’homophobie est partout, à tous les âges et dans toutes les couches de la société, souvent invisible ou cachée, parfois inconsciente ou refoulée, mais elle est bien réelle ; elle peut blesser des personnes et laisser des traces terribles en elles, dans leurs familles, dans les écoles, sur le lieu de travail, dans la recherche d’un emploi, d’un logement… On n’imagine pas le nombre d’actes discriminatoires de ce type. Et si traiter publiquement quelqu’un de gouine, pédé, tapette, enculé… est un acte aujourd’hui puni par la loi, tout comme l’emploi de mots tels que nazi, sale arabe, sale juif, ces vocables s’entendent encore beaucoup trop souvent : il suffit de se balader le soir dans les rues de n’importe quelle ville.