Critique du développement durable

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Romain Felli, Les deux âmes de l’écologie. Une critique du développement durable, L’Harmattan, 2008, 100 pages.

« Le développement durable tient désormais lieu de discours hégémonique sur l’environnement », constate l’auteur, géographe et politologue, dès la page 8. Qu’à cela ne tienne, il a choisi de résister en défendant la thèse adverse, celle de l’écologie politique, déployant un argumentaire implacable qui s’appuie autant sur la critique de rapports officiels (ONU, OCDE) que sur les ouvrages d’auteurs faisant autorité en la matière (André Gorz, Cornélius Castoriadis, René Dumont, Ivan Illich, et même… Daniel Cohn-Bendit, qui se voit ici quelque peu réhabilité !). Felli appelle le développement durable « écologie par le haut », et l’écologie politique « écologie par le bas ». Les deux conceptions se sont opposées idéologiquement dès le départ, même si on remarquera ci et là des points de convergence. Partisane de l’autonomie des sociétés et des individus contre le pouvoir broyant de la « Mégamachine » productiviste (de laquelle l’Etat fait partie), l’écologie par le bas est bel et bien de gauche. Elle postule l’égalité des individus. Si elle fustige d’abord, en toute logique, l’économie capitaliste basée sur l’exploitation, le délitement du lien social, l’hétéronomie et la croissance infinie du cycle production-consommation, elle reconnaît aussi que le socialisme d’Etat a commis l’erreur d’avoir imposé d’en haut le pouvoir de la bureaucratie, de la science et de la technique, via les experts, contre l’autonomie politique des individus et des communautés. L’écologie politique prône une « réforme radicale » et un changement des modes de production, alors que le développement durable, se voulant au-delà du clivage gauche-droite, en appelle à la participation des citoyens toutes classes confondues, sous la direction d’une élite politique et technocratique supposée détenir les savoirs propres à sauver l’espèce humaine et les générations futures des catastrophes écologiques dues aux limites physiques de la planète… et au modèle économique dominant en cours depuis le 19ème siècle, ce qu’il omet toujours de préciser. « […] le développement durable semble en fait concentrer les attributs […] d’un monde où règne l’harmonie et la bonne volonté, bien loin de la réalité sordide de l’exploitation capitaliste. » (p. 88). Toutes les observations de l’auteur rivalisent de pertinence : « Pour le développement durable, penser le futur ne signifie pas ouvrir un espace de transformations radicales possibles, mais naturaliser le système actuel, voir proposer une espèce de “fin de l’histoire”. » (p. 38) ; « Le développement durable n’est pas une réflexion sur la technique et ses conséquences, il est une marche à suivre pour l’application de solutions techniques aux maux causés par la technique. » (p. 49). Ce court essai dessillera les yeux des citoyens occidentaux, faussement rassurés sur le devenir de l’humanité et de la nature par le consensus du développement durable et ses recettes magiques, unanimement partagé par tous les gouvernements et toutes les multinationales, y compris les plus saccageuses d’environnement. Développement du râble ? Non, merci !

Bernard Legros