Trouver une bonne école : un droit pour tous !

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De tous les systèmes éducatifs européens, celui de la Communauté française de Belgique est le plus inéquitable. Ce triste constat est avéré par toutes les études internationales disponibles, et quel que soit l’indicateur utilisé. Citons un seul exemple parmi des dizaines : aux tests PISA en mathématique, l’écart de performances moyen entre les élèves des quartiles socio-économiques extrêmes (les 25% les plus riches et les 25% les plus pauvres) atteint 126 points en Communauté française, contre 102 en Flandre, 101 en France, 87 en Espagne, 76 en Italie, 63 en Finlande… Notre enseignement détient deux autres records peu glorieux : celui des écarts de performances entre écoles — nous avons, plus qu’ailleurs, des écoles « d’élite » et des écoles « poubelles » — et celui de la ségrégation sociale entre établissements scolaires — nos écoles sont davantage séparées en « écoles de riches » et en « écoles de pauvres ».

En réalité, ces trois facteurs sont étroitement liés entre eux et proviennent d’une caractéristique particulière de l’enseignement belge : nous sommes l’un des seuls pays d’Europe où le recrutement des élèves par les établissements s’effectue sur la base d’un marché totalement libre. Or, l’analyse statistique montre que près de la moitié des différences entre les pays européens en matière d’équité éducative s’expliquent par le degré de liberté sur le marché scolaire.

Dans ces conditions, la volonté affichée par les ministres Arena et Dupont d’introduire un peu de régulation, là où ne régnait que l’anarchie du marché, mérite assurément d’être applaudie. Reste à voir si la méthode choisie est la bonne. Car l’ex-décret inscription et le nouveau décret mixité pèchent tous deux par le même défaut: ils ne visent pas à limiter la portée ou l’ampleur du libéralisme scolaire mais seulement à garantir l’égalité entre les parents sur le marché des écoles. Cela rend sans doute la compétition un peu plus juste, mais elle en devient aussi plus acerbe. Du coup, le libre choix d’une école n’est plus seulement un droit, il devient une obligation de plus en plus angoissante. Or, précisément, ces décrets ne répondent en rien à la cause profonde de l’angoisse des parents, à savoir la crainte de se voir finalement contraints d’inscrire leur enfant dans une école dont la qualité est réputée « médiocre ». Car c’est bien là le moteur du cercle vicieux où se trouve notre enseignement : pour assurer son équité par l’égalisation des niveaux de performances, il faudrait organiser la mixité sociale des publics; mais pour faire accepter cette mixité par les parents, il faudrait d’abord garantir l’égalité de « qualité » des écoles.

Depuis plusieurs années, des enseignants de tous réseaux et des deux communautés linguistiques, regroupés au sein de l’Appel pour une école démocratique (Aped), ont réfléchi à la façon de sortir de ce dilemme. Voici leurs propositions.

Nous partons d’abord du principe élémentaire que les parents ont le droit de trouver, pour leur enfant, une place dans une école facilement accessible. Ce droit n’était pas garanti jadis. Il ne l’est pas davantage avec les décrets Arena et Dupont. Notre projet prévoit donc tout simplement que l’on propose une école aux parents, sans aucune obligation, mais en leur garantissant qu’une place y sera réservée pour leur enfant. Les parents disposeront d’un délai de réflexion, jusqu’à une date à déterminer, après quoi les places excédentaires pourront être attribuées librement aux parents qui auraient préféré ne pas accepter l’école qui leur était proposée. Les critères pour la gestion des propositions faites aux parents devraient tenir compte de la place disponible dans chaque établissement, de la proximité du domicile et d’une recherche de mixité sociale (ce qui n’est pas difficile à concilier dans un pays à forte densité de population). On pourrait également tenir compte d’un nombre limité de préférences parentales comme le regroupement des frères et soeurs dans un même établissement, le lieu de travail d’un parent, etc.

Nous sommes convaincus que, dans ces conditions, la très grande majorité des parents choisiront l’école qui leur sera proposée. D’une part parce qu’ils auront ainsi la certitude d’avoir une place tout en échappant à la corvée angoissante de devoir démarcher auprès des écoles. Et d’autre part parce que ce système fera justement en sorte que tous les établissements reçoivent des publics relativement hétérogènes et que l’enseignement y sera donc organisé dans des conditions équivalentes.

L’existence d’un réseau confessionnel pose cependant problème. On pourrait envisager de ne proposer une école catholique qu’aux parents qui auraient préalablement marqué leur accord en ce sens. Mais il serait sans doute préférable de demander aux établissements libres d’abandonner leur caractère explicitement confessionnel, afin de pouvoir accueillir tous les enfants (un peu comme l’UCL envisage d’abandonner son « C »). On irait ainsi vers la suppression des réseaux actuels, au profit d’établissements réellement publics, jouissant d’une grande autonomie, mais sans être mis en concurrence.

Au niveau du passage du primaire au secondaire, un autre problème est posé par l’existence d’écoles qui se spécialisent dans l’enseignement général ou dans l’enseignement technique et professionnel. Même si les premiers degrés de ces établissements sont théoriquement communs, ils ne sont et ne seront jamais perçus comme des premiers degrés sur pied d’égalité. Pour contourner cette difficulté, nous proposons une séparation complète entre le secondaire supérieur, avec ses inévitables orientations et spécialisations, et le secondaire inférieur, qui serait la continuation de la formation de base. Cela peut se réaliser sur le modèle du collège unique français, qui constitue en quelque sorte un premier degré secondaire autonome, ou sur le modèle scandinave d’une école de base commune de 6 à 15 ans. Ce dernier choix est certainement préférable sur le plan pédagogique, mais aussi plus difficile à mettre en oeuvre étant donné l’affectation actuelle des bâtiments scolaires dans notre pays.

Le succès du dispositif dépendra enfin de la qualité des mesures d’accompagnement destinées à contrer les écarts de performance entre établissements : des programmes et des manuels offrant moins de prise à une interprétation « sur mesure », des batteries d’épreuves standardisées pour mieux piloter le travail des équipes enseignantes, des moyens supplémentaires dans les premières années de l’enseignement de base, en vue d’assurer un encadrement individualisé permettant de remédier aux difficultés des élèves et éviter les écarts de niveaux, etc… La mise en oeuvre d’une telle réforme ne peut évidemment se réaliser du jour au lendemain. Elle devra s’étendre sur une dizaine d’années, en commençant par la première primaire et en se propageant progressivement aux autres années d’étude.

Dix ans, c’est long, sans doute, mais c’est le prix à payer pour une réforme ambitieuse. Et cela vaut certainement mieux que la succession de mesurettes avortées ou inopérantes, qui découragent les acteurs de l’école.

Nico Hirtt est physicien de formation et a fait carrière comme professeur de mathématique et de physique. En 1995, il fut l'un des fondateurs de l'Aped, il a aussi été rédacteur en chef de la revue trimestrielle L'école démocratique. Il est actuellement chargé d'étude pour l'Aped. Il est l'auteur de nombreux articles et ouvrages sur l'école.