Décret mixité : calmons le jeu !

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Nous sommes très préoccupés. Un an après le décret « Inscriptions », le décret « Mixité » arrive à son tour sous les feux de la rampe. On sait ce qu’il advint du premier décret, mort de la médiatisation des files. Le nouveau décret pourrait à terme subir le même sort, d’autant plus que nous approchons de la période électorale, propice à la mise sous pression de partis comptant des électeurs mécontents du décret.

Nous ne voulons pas que ce décret subisse le sort du précédent, même si nous le jugeons imparfait. C’est pourquoi nous voulons démonter les critiques les plus fréquentes, et proposer au Ministre d’agir sans tarder avant que le feu se propage.

« Le décret est une atteinte à la liberté de choix », entend-on dire souvent. C’est faux. Il donne au contraire à des familles moins prévoyantes ou jadis écartées pour divers motifs l’occasion de voir enfin concrétisée leur liberté de choix. Quand une liberté octroyée par la loi est virtuelle pour les uns et effective pour les autres, il ne faut plus parler de liberté mais de privilège. Le décret mixité s’attaque aux privilèges, pas à la liberté. Quand tout le monde recherche un bien supposé rare, il n’est que justice d’égaliser les chances de l’obtenir, à moins qu’on trouve juste d’attribuer au plus offrant ou au mieux né l’enseignement dit d’excellence…

« On ne peut faire dépendre du hasard le devenir d’un enfant ». Quand les écoles comptent plus de demandes que de places, le décret impose des critères explicites (parmi lesquels, une relative priorité aux élèves issus d’écoles primaires moins favorisées) et le recours, si nécessaire, au tirage au sort entre des candidats que les critères n’auront pas départagés. Est-ce une injustice ? Non, car le tirage au sort garantit moins d’arbitraire que n’importe quel autre critère. Dans un pays aussi libéral que les Etats-Unis, le tirage au sort est d’ailleurs une procédure politique pleinement légitime. Dans certains districts, où le choix de l’école est possible, le tirage au sort y est utilisé avec le même objectif qu’ici.

« Les enfants qui ne seront pas à leur place seront malheureux ». De quels enfants parlent ceux qui disent cela ? Des enfants issus de milieux protégés, obligés de fréquenter l’école de second choix (mais tout de même réputée) ? Des enfants moyennement doués que les familles (si imprudentes !) auront osé inscrire dans une école dite exigeante ? Ou des enfants socialement défavorisés que les familles (imprudentes elles aussi !) veulent propulser dans une école de « riches » ? Des trois enfants, ceux qui courent les plus grands risques sont les deux derniers. Leurs familles ne se plaignent pas du décret mixité. Les défenseurs du principe de liberté devraient être cohérents jusqu’au bout en laissant ces familles libres de choisir et, puisqu’ils sont soucieux du bien de l’enfant, en soutenant la direction de leur école quand celle-ci fait du soutien à ces élèves sa priorité.

« La mesure n’accroîtra pas la mixité sociale. » Les promoteurs du décret savent qu’il ne pourra à lui seul supprimer la ségrégation sociale à l’école. Il y a en effet d’autres facteurs qui contribuent à ce que des enfants fragiles ne viennent pas frapper à la porte des écoles sélectives (ségrégation résidentielle, autosélection…). Cet aveu devrait plutôt rassurer les opposants au décret. Mais les concepteurs du décret témoignent aussi de prudence en ayant évité d’imposer un niveau élevé de mixité, car une équipe enseignante habituée à un type de public ne peut, du jour au lendemain, prendre en charge efficacement un autre public. Le décret introduira un peu plus de mixité. Et la modération est plutôt, ici, gage de réussite.

« Le décret va faire baisser le niveau des bonnes écoles. » Ceux qui affirment cela pensent dès lors – en partie à raison – que les performances scolaires d’une école dépendent davantage de son public que de son corps professoral. Ce qu’ils redoutent donc, c’est que la présence d’élèves moins doués compromette les performances des élèves doués. A cela, plusieurs réponses : 1. Le Parlement, unanime, a défini comme objectif du 1er degré l’atteinte des socles de compétence pour tous et non l’excellence pour quelques-uns. 2. Le décret mixité ne va pas modifier radicalement la composition des publics. 3. L’hétérogénéisation des acquis tend à profiter aux plus faibles sans handicaper les plus forts. Un bémol tout de même : les équipes enseignantes doivent être équipées pour pouvoir développer une pédagogie adaptée. Les moyens attribués au 1er degré ont d’ores et déjà été renforcés. Il est impératif que suive le soutien qualitatif aux équipes.

« Commençons par faire en sorte que toutes les écoles soient de qualité. » Assurément, il faut accompagner les écoles dont les résultats sont moins bons. Mais rappelons que ces faibles performances sont surtout associées aux caractéristiques du public scolarisé. Il faut mener de front les deux actions. Après tout, depuis le temps que les discriminations positives existent, ces écoles ont rarement pu quitter la « queue de peloton » car elles cumulent les handicaps. En ne misant que sur le soutien aux écoles moins performantes, on attendra dès lors encore longtemps que toutes les écoles soient également performantes.

« Le système insécurise les familles. » Durant un temps seulement. Le 15 décembre au plus tard, toute famille ayant sollicité une inscription saura si son enfant est ou non accepté. L’insécurité se niche dans la phase précédente, quand la famille ne veut pas prendre le risque de miser toutes ses chances sur une seule école. Cela explique le recours aux multiples inscriptions. Et dès lors la critique suivante…

« Le système insécurise les écoles. » Les écoles, en raison des multiples inscriptions et de l’absence d’un système crédible pour gérer ce problème, ne connaîtront leur effectif réel qu’à la rentrée. En effet, nombre de familles ayant obtenu plusieurs places ne signaleront pas nécessairement à l’école de leur second choix que leur place est désormais vacante. Quand cette école, à la rentrée, s’en rendra compte, elle pourra puiser dans sa liste d’attente, retirant ainsi peutêtre un élève d’une autre école. Et ainsi de suite. Ce phénomène n’est pas vraiment neuf, mais il risque d’être amplifié à cause du fort sentiment d’insécurité des familles. C’est le vrai talon d’Achille du décret. C’est pourquoi nous pensons qu’il ne faut pas attendre la rentrée de septembre pour gérer ce problème, ni laisser les écoles se débrouiller seules. Avant les élections régionales, il faut que chaque enfant soit inscrit dans une et une seule école. Le Ministre doit faire de ce dossier une priorité, mettre au point une technique efficace de compilation des listes et, dans la foulée, envisager pour les années suivantes un système de traitement collectif des préférences. Sinon, nous craignons que le décret ne résiste pas au choc des élections. Or, bien qu’il ne règle pas d’un coup de baguette magique ségrégations et inégalités des résultats, il constitue un signal fort et une pièce importante d’une politique d’égalité. Monsieur le Ministre, ne prenez pas le risque d’un retour en arrière.

Signataires : Prosper Boulangé, secrétaire général de la CSC-Enseignement ; Vincent Carette, professeur en sciences de l’éducation à l’ULB ; Pascal Chardome, président de la CGSP-enseignement ; Jean-Pierre Coenen, président de la Ligue des droits de l’enfant ; Bernard Delvaux, chercheur à l’UCL (Girsef) ; Didier de Laveleye, directeur du Mrax ; Bernard de Vos, délégué général aux Droits de l’enfant ; Vincent Dupriez, professeur à l’UCL (Girsef) ; Nadia El Mostafa, coordinatrice du service « Simplement une école » ; Benoît Galand, chargé de cours à l’UCL ; Thierry Jacques, président du MOC ; Jean-Pierre Kerckhofs, président de l’Association pour une école démocratique (Aped) ; Joan Lismont, président du SEL-SETca ; Véronique Marissal, coordinatrice de la Coordination des écoles de devoirs de Bruxelles ASBL ; Chantal Massaer, directrice à Infor Jeunes BNO & Arbaij ; Catherine Stercq, coprésidente de Lire et écrire ; Annaïg Tounquet, directrice du département recherches-actions de la Ligue des familles ; Rudy Wattiez, secrétaire général de « Changements pour l’égalité », mouvement sociopédagogique (CGé).