Avec la rentée scolaire, les « déclinologues » – qui pointent les défauts de l’école – et les pédagogues – qui défendent que tout ne va pas si mal – redonnent périodiquement de la voix. Débat interminable de la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine : la bouteille est pleine ET vide à 50% – de la même manière que toute action humaine comprend indissociablement aussi sa part d’« ombre ».
La perspective historique et sociologique montre bien que l’éducation est, de tout temps – et en tout lieu –, une relation asymétrique de pouvoir, au profit des dominants du groupe social. Pourquoi, en effet, par exemple, les gouvernants et les états, de nos jours, consacreraient-ils le budget le plus important à l’éducation et à l’armée-police ? Si ce n’est pour cultiver la soumission de ses assujettis, « volontairement » consentie ou par la force ?
La perspective psychologique ou psychanalytique montre bien, de son côté, que la souffrance initiale de l’enfance alimente la peur, irraisonnée, et la recherche subséquente de sécurité ou de reconnaissance – par la domination, pour les uns, ou par la soumission, pour les autres. La peur ne disparaît d’ailleurs pas vraiment pour autant puisque ces voies-là ne traitent que le symptôme et non sa cause.
Cela vaut aussi bien pour ceux qui échouent que pour ceux qui réussissent à l’école : pour ces derniers, en effet, ce qu’ils y endurent et la vision de la vie qu’ils y élaborent rendent-elles leur vie si heureuse ?
D’autres analyses – économique, docimologique, institutionnelle, politique, linguistique, philosophique, … – ne diront pas autre chose : l’échec de l’école est une réussite parce que cela est inscrit en elle-même.
Apprendre est quelque chose de naturel, comme respirer ou digérer, et se fait à chaque instant, par chacun. Organiser volontairement cet apprentissage en « éducation » ou en « enseignement », c’est instituer un « éducateur », c’est établir une relation éducateur-éduqué (ou enseignant-enseigné) – de type « eur-é », comme dans administrateur-administré, dominateur-dominé ou colonisateur-colonisé… Et introduire alors nombre de biais, notamment le manque (il me manque toujours quelque chose pour être « bon »), la peur (de ne pas être à la hauteur, d’échouer, de ne pas être aimé…) ou la dépendance (j’ai nécessairement besoin de quelqu’un d’autre pour apprendre, pour savoir si je fais « bien ») – avec tout ce que ces biais engendrent ou dont ils facilitent l’éclosion.
Aucune méthode, réforme, « innovation »… n’y changera quelque chose. Au contraire : elles rendront le système plus performant (dans sa production d’échecs).
L’échec de l’école est une réussite parce que c’est dans sa structure-même. Ni l’ignorer, ni le nier, ni le combattre… – car cela le maintient, voire le renforce. Simplement le voir, en avoir pleine conscience. Afin de ne pas l’entretenir, mais de le faire, un jour, disparaître – à sa source.
Jean-Pierre Lepri
CRÉA (Cercle de réflexion pour une éducation authentique)