Alain Destexhe est peut-être un franc tireur. Certainement pas un tireur d’élite. Quand il se base sur l’enquête PISA pour conclure que le réseau libre est plus performant que l’officiel, l’Aped tient à nuancer ses « constats » et, surtout, à contester la conclusion principale qu’il en tire.
Tout d’abord, lorsqu’on analyse les résultats de PISA en Communauté Française, il convient de les distinguer par filières. Dans l’enseignement général, il est vrai que les élèves du libre obtiennent de meilleurs scores que ceux de l’officiel en ce qui concerne les jeunes issus des milieux socialement plus favorisés. La situation s’inverse cependant pour les élèves appartenant au premier quartile, c’est-à-dire ceux qui font partie des 25 % les moins élevés sur l’échelle sociale. Ceux-là obtiennent de meilleurs résultats s’ils fréquentent le réseau officiel. Dans le technique, on observe le contraire. Alors que dans le professionnel, les résultats sont à l’avantage de l’officiel, quelle que soit l’origine sociale.
Si on s’intéresse plutôt à l’origine ethnique, on voit que les jeunes autochtones s’en sortent mieux s’ils fréquentent le libre. Mais il en va autrement pour les allochtones de deuxième génération, dont les performances sont supérieures s’ils sont dans l’officiel.
On le voit, l’analyse fine impose beaucoup de nuances.
En ce qui concerne les conclusions, faisons d’abord remarquer que la mobilité inter-réseaux est très grande dans notre pays. Beaucoup de jeunes « zappent » régulièrement d’un réseau à l’autre. Est-il sérieux de comparer le niveau d’élèves de 15 ans dans tel ou tel réseau sans tenir compte de ce fait ?
Pour expliquer des résultats – qui appellent plus que des nuances, comme nous venons de le voir – Alain Destexhe semble avoir trouvé la formule magique. Les établissements du libre disposent de plus d’autonomie que ceux de l’officiel. Donnons donc plus d’autonomie à tous s’exclame-t-il. Oui mais il y a un hic. Ses propres résultats montrent que l’écart moyen entre les réseaux est plus grand en Communauté Flamande qu’en Communauté Française. Or, en Flandre, depuis la création, il y a plus de dix ans, de l’ARGO (Autonome Raad van het Gemeenschapsonderwijs), chapeautant elle-même 378 LORGO (Locale Raad van het Gemeenschapsonderwijs), le réseau officiel est extrêmement autonome. Il fonctionne comme une sorte de réseau libre sous statut public. L’autonomie n’est donc pas la panacée.
En réponse à une question posée à l’occasion de l’enquête PISA 2003, de nombreux directeurs du libre reconnaissaient qu’un critère important de sélection pour eux était le niveau des élèves. Faut-il s’étonner dès lors que les performances y soient meilleures ?
On connaît le credo libéral d’Alain Destexhe : tout ce qui est mis en concurrence fonctionne mieux. Les utilisateurs de la Poste et les consommateurs de gaz et d’électricité, pour ne citer qu’eux, apprécieront. Mais pour en revenir à l’école, rappelons que le pays de loin le plus performant parmi ceux qui participent à l’enquête PISA est la Finlande. Un pays où l’enseignement privé est quasi-inexistant et où les élèves se voient affectés à une école. Au pays des mille lacs, point de concurrence entre réseaux et établissements. Comment Monsieur le sénateur explique-t-il cette réalité en contradiction flagrante avec ses théories ?
La concurrence entre écoles et entre réseaux a été identifiée comme une des sources principales des inégalités criantes qui caractérisent notre système scolaire. Chercher à l’exacerber par des thèses basées sur des données bien superficielles n’est pas très responsable.
L’Aped ne conteste pas l’intérêt de l’autonomie pédagogique, qui est d’ailleurs un des points de son programme. Mais nous estimons qu’elle ne peut justement se concevoir que dans un système éducatif débarrassé de toute concurrence. Afin que la créativité de chacun soit mise exclusivement au service de l’efficacité pédagogique plutôt qu’à la recherche du meilleur moyen de concurrencer « l’autre ».
Vive la concurrence ?
Bonjour,
« Mes chiffres » viennnent de PISA. L’intérêt de l’enquête est que, contrairement à ce qui m’est reproché, elle tient compte du niveau socio économique des élèves. Le constat que j’avais abordé était assez modéré http://www.destexhe.be/blog2007/pdf/PISA.briefing.mai.2008.pdf et j’y disais clairement que la différence libre – officiel était moins grande chez nous qu’en Flandre. Si on compare l’officiel flamand (plus autonome comme vous le dites) et le libre francophone, je suis frappé par des résultats généraux assez similaires.
Bien sûr la Finlande, c’est bien mais il me semble que la comunauté française ferait mieux de s’inspirer des pays qui ont amélioré leurs scores à PISA ou PIRL plutôt que du meilleur de la classe. C’est peut-être plus pratique, plus comparable et plus pertinent.
En ce qui concerne l’autonomie, je ne fais que reprendre des extraits du dernier rapport PISA (mais ces extraits dérangeants sont rarement cités en Belgique) et ceux d’articles très sérieux de spécialistes internationaux reconnus de l’enseignement.
Enfin, je constate que les chiffres ne sont pas contestés et je vous suggère plutôt comme les autres de m’attaquer sur l’idéologie d’en produire vous-mêmes pour alimenter le débat. C’ serait plus intéressant que les invectives car ce qui m’intéresse c’est que l’école soit BONNE. Pour le reste je me contrefous qu’elle soit libre ou publique.
Pour votre info, je n’ai été qu’à l’école publique de la maternelle à l’unif et mes enfants y sont également.
Cordialement,
Alain Destexhe
Vive la concurrence ?
Bonjour,
Considérer qu’il ne faut pas s’inspirer du meileur de la classe, c’est un peu fort. En quoi n’est-ce pas pertinent comme vous le suggérez ? Je ne lis pas dans votre message la réponse à la question : comment se fait-il que la Finlande soit si performante tant en terme de niveau moyen qu’en ce qui concerne les inégalités alors qu’il n’y règne pas de concurrence ?
Le fait que vous vous inspiriez du rapport PISA en ce qui concerne vos conclusions ne m’étonne pas. Mais ne me convainct pas non plus. Si PISA est une mine extraordinaire pour ce qui est des données exploitables, l’OCDE (commanditaire de l’enquête) n’est pas un organisme neutre. Il regroupe la plupart des pays riches et est pétri d’idéologie dominante, c’est à dire de libéralisme. Pour ce qui est des « spécialistes internationaux reconnus de l’enseignement », il en existe dans notre propre pays. Je pense notamment à Marcel Crahay. Et le moins qu’on puisse en dire, c’est qu’il ne vous suit pas dans vos conclusions. Pas plus que Dominique Lafontaine (responsable PISA pour la Belgique francophone)
En effet, nous ne contestons pas vos chiffres, mais bien l’interprétation que vous en faites. Nous constatons d’ailleurs que vous ne contestez pas non plus les nuances que nous apportons.
Désolé de vous décevoir, mais pour nous, l’idéologie n’est pas un gros mot. Il nous semble pertinent de réfléchir aux orientations de notre société et de contester ce qui nous parait contestable. Nous refusons de nous soumettre au diktat du marché et la concurrence. Refuser une critique sous le prétexte qu’elle est « idéologique » est tout bonnement invraisemblable et, pour tout dire, totalitaire. Vos thèses sont d’ailleurs elles-mêmes pétries d’idéologie. Mais vous préférez éviter toute forme de débat sur ce sujet.
Par ailleurs, je mets sur le compte de votre ignorance de notre association l’invitation à « produire nous même des chiffres pour alimenter le débat ». S’il y a bien une association qui en produit régulièrement c’est nous. Je vous invite donc à visiter notre site avec plus d’attention … et il va de soi que nous sommes ouverts à tout débat sur la question de l’enseignement.
Tant qu’on en est aux confidences, je vous signale que je donne cours dans l’enseignement libre.
Vive la concurrence ?
Dommage que l’on ait tout ramené à une « concurrence entre le libre et l’officiel », alors qu’en lisant le texte du sénateur, le point était mis surtout sur l’indépendance des enseignants et des chefs d’établissement.
Honnêtement, comment justifier qu’en Communauté française, une fois nommé, seule l’ancienneté joue un rôle. Pendant 30 ans un prof peut enseigner sans être évalué. Le chef d’établissement ne peut rien faire, sauf en cas de manquement grave…
ce serait bien d’arrêter le dogmatisme et de se poser la question: donner un peu plus de liberté aux enseignants et aux chefs d’établissement, est-ce vraiment un mal?
N’est-ce pas une des solutions pour augmenter la motivation et, partant, la qualité?
Vive la concurrence ?
N’est-ce pas contradictoire de vouloir donner plus d’indépendance aux enseignants tout en réclamant plus de contrôles ?
Personnelement, je ne trouve en effet pas normal de pouvoir enseigner pendant 30 ans sans devoir rendre des comptes
Encore une fois, à l’Aped, nous sommes pour l’autonomie pédagogique. Mais pas dans un système de concurrence entre établissements et entre réseaux. Car contrairement à ce que pensent les dogmatiques du libéralisme, cela entraîne le renforcement des inégalités et n’augmente pas le niveau moyen. Nous avons longuement argumenté sur ce point dans de nombreux documents
Vive la concurrence ?
Non, l’indépendance n’est pas contradictoire avec le contrôle bien au contraire!
La seule différence c’est que l’on contrôle les résultats et on laisse le choix des moyens.
C’est cela l’enjeu
Vive la concurrence ?
Ca, c’est exactement ce que nous disons.
Et ça n’a rien à voir avec les réseaux