Les institutions internationales ne cessent de multiplier leurs rapports sur le Maroc. Après le rapport de la Banque mondiale (BM) sur la pauvreté intitulé : « se soustraire à la pauvreté au Maroc », suivent le rapport de la BM sur la croissance, le rapport de la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement) sur les investissements étrangers qui sera présenté au gouvernement marocain en juin prochain à Genève, qui pointe déjà du doigt la justice, considère le système judiciaire comme un grand obstacle aux investissements étrangers en plus de la corruption et propose la création d’une agence nationale des investissements et des agences régionales qui remplaceront les centres d’investissement régionaux. Un nouveau rapport de la BM sur l’éducation, a été rendu public le 4 février et est intitulé : « Un parcours non encore achevé : la réforme de l’éducation au Moyen Orient et en Afrique du Nord ». Ce rapport classe le Maroc au 11ème rang parmi les 14 pays de la région MENA (la Tunisie classée 3ème et l’Algérie 8ème) et constate l’échec des réformes passées.
La presse a largement médiatisé ce rapport, faisant, après le rapport de la BM, son propre diagnostic de l’échec patent du système éducatif marocain mais oubliant de dire que c’est sous l’égide de cette même Banque mondiale qu’a été concertée la Charte de l’Education, qui non seulement a été impuissante à conjurer la débâcle, mais a apporté sa contribution à l’approfondissement de l’échec.
De même, la presse ne dit pratiquement pas un mot des solutions préconisées encore une fois par la Banque mondiale, qui s’arroge une fois de plus le rôle de donneur de leçon, sans jamais passer au crible de la critique ses propres erreurs et les méfaits que ses conseils (ou plutôt injonctions) ont provoqués, tout en reconnaissant que « les réformes passées n’ont pas donné lieu aux résultats éducatifs recherchés ».
Aussi nous attacherons-nous ici, non à refaire le constat de l’échec du système éducatif marocain, mais à analyser les mesures préconisées par la Banque mondiale, qui, soyons-en sûr, seront une fois encore présentées comme la panacée pour sortir de l’impasse.
L’étude préconise l’adoption d’un « nouveau cadre » et l’action à trois niveaux :
1- L’ingénierie de l’enseignement : ce sont les écoles, leur équipement et les enseignants. Tout en reconnaissant un certain rôle à ces « intrants » (on appréciera le vocabulaire !), le rapport considère toutefois que là n’est pas l’essentiel (détail que le nombre d’élèves par classe, le nombre d’enseignants par élèves, l’état des locaux, la quantité et la qualité du matériel utilisable dans les laboratoires, l’existence de centres documentaires et la richesse de leurs fonds). « Ces ingrédients sont importants pour qu’une réforme sérieuse réussisse, mais ils ne modifient pas nécessairement le comportement des acteurs concernés, c’est-à-dire les prestataires de service [traduisez, les enseignants] et les clients [traduisez, les élèves]. »
2- Les incitations : elles visent à mieux contrôler les enseignants et directeurs d’école, qui se verront récompensés (ou pénalisés) en fonction des résultats éducatifs. Par exemple, « accorder des récompenses, pécuniaires ou autres, aux enseignants et directeurs d’écoles sur la base des meilleurs résultats aux examens ». Il y a pourtant bien longtemps que l’on a abandonné en pédagogie le système des bons et mauvais points ! Dans ce cadre, le rapport n’est pas très explicite, et quoique le mot « investisseur » ne soit pas prononcé, tout porte à croire que le contrôle en question serait exercé par les investisseurs, donneurs d’ordre aux prestataires de service que deviennent dans la terminologie utilisée dans ce rapport, les équipes pédagogiques.
3- La responsabilité publique met l’accent sur « la capacité des parents, élèves et autres intervenants à exercer une influence sur les objectifs, politiques et l’allocation des ressources consacrées à l’éducation au niveau national et/ou local. »
Qui sont ces « autres intervenants » ? Tout porte à croire, selon l’expérience déjà en cours dans d’autres pays, qu’il s’agit là des investisseurs et du monde de l’entreprise, de plus en plus ouvertement appelés à peser sur les choix éducatifs et les politiques d’enseignement. Et gageons qu’ils pèseront d’un autre poids que les élèves ou leurs parents. En outre, il n’est pas question ici de donner un quelconque rôle en matière de détermination des objectifs, politiques et allocations des ressources aux enseignants eux-mêmes, pourtant premiers « experts » en matière d’éducation.
Certes, le rapport rappelle que « l’éducation n’est pas conçue pour servir les intérêts de quelques-uns seulement » (c’est donc qu’on pourrait le croire), et « le bénéfice tiré de l’investissement à l’éducation » ne doit pas profiter uniquement à « la majorité » mais plutôt à toute la population. Cela suppose toutefois que l’éducation demeure un service public, gratuit et de qualité, que l’investissement en question soit un investissement public [ii] et que l’enseignement soit à l’abri de la marchandisation. Or, le rapport, tout en reconnaissant que « le rôle du secteur privé dans l’éducation est susceptible de rester limité dans un avenir prévisible » et « qu’aucun pays ne peut se permettre de relâcher les efforts relatifs à la réforme de l’école publique », ajoute quelques lignes plus loin « qu’ une instruction et éducation assurées par des entités non publiques pourraient être encouragées » et développe une vision étroite de l’éducation « appliquant des diagnostics et formulant des réponses convenant aux besoins spécifiques des étudiants et de l’environnement » et « se conformant à la demande de plus en plus complexe d’une clientèle diversifiée ».
Cette vision étroite est aussi une vision technocratique et marchande de l’éducation qui n’est conçue que comme lieu de « l’accumulation du capital humain » au service du marché du travail. S’appuyant sur de telles prémisses, portée par de telles méthodes et avec des objectifs aussi étroits, il ne faut pas être grand clerc pour prédire que cette énième réforme ne pourra qu’aboutir à une faillite encore plus patente du système d’enseignement, dont la BM (si elle existe encore) fera le constat dans quelques années, pour proposer une fois de plus la solution idéale au problème.
[ii] Les dépenses d’investissement en éducation et enseignement, prévues en 2008 sont à l’ordre de 2,93 milliards de DH, soit à peine 1,4% du budget général de l’Etat. Alors que les services de la dette atteignent 23,01% du budget général.