Depuis les disparitions récentes d’André Gorz et de Jean Baudrillard, ils ne sont plus très nombreux ces témoins qui auront eu le privilège d’assister aux bouleversements du monde depuis 1945, de les penser et de les commenter : Claude Lévi-Strauss (centenaire cette année !), Albert Jacquard, Michel Clouscard et Edgar Morin sont autant de flambeaux continuant à briller dans les ténèbres. Né en 1921, le philosophe et sociologue Edgar Morin aura apporté à l’épistémologie contemporaine deux concepts-clés, la complexité et la dialogique. La première se veut un nouveau paradigme capable de relier toutes les connaissances en les contextualisant ; la seconde avance qu’en toute chose humaine coexistent et se déploient des logiques diverses et irréductibles à l’une d’entre elle. Ces deux concepts se retrouvent dans « Vers l’abîme ? », un recueil d’articles publiés dans diverses revues depuis 2000 (le dernier en septembre 2007). S’appuyant sur la notion de l’improbable, Morin donne des raisons d’espérer malgré un constat alarmant sur l’état écologique de la planète, et sur son état politique : « La crise de la politique s’est aggravée. Sur les ruines du socialisme, dit réel, dans la crise de l’idée de révolution et de l’idée de progrès, dans la sclérose de la social-démocratie, dans la sotte idée de moderniser, alors que la modernité est en crise, dans la cécité du néolibéralisme qui prétend tout résoudre par la concurrence et le marché, dans le “au jour le jour” des politiques réduites à l’adaptation, à l’économie et au culte de la croissance, il n’y a plus d’espoir de futur, plus de volonté de régénération démocratique, plus de recherche d’une économie qui serait plurielle, plus de visée à long terme ni de perspective planétaire. » (p. 172) En articulant éthique, philosophie et sciences, il propose des outils intellectuels propres à affronter le présent et le futur de l’humanité. Un petit livre qui peut aussi servir d’introduction à son œuvre, dont la colonne vertébrale reste La méthode.
MORIN Edgar, « Vers l’abîme ? », L’Herne, Paris, 2007, 181 p.