Ainsi Mme Bertieaux (MR), relayée par le groupe Sudpresse et la télévision, se scandalise parce que, dans un test destiné à l’évaluation scolaire on demande aux enfants si une femme de ménage travaille chez eux et quelle langue ils parlent à la maison. Pour la responsable libérale il s’agirait là d’une « atteinte à la vie privée » qui « prend les enfants en otage ». Rien de moins !
Rappelons que l’objectif de ces épreuves standardisées et récurrentes est d’évaluer, non pas les élèves individuellement, mais le système éducatif dans son ensemble. Cette évaluation porte sur l’efficacité du système (les performances moyennes) mais aussi sur son équité (la variation des performances et des acquis selon l’origine sociale, le genre, le statut d’immigration, la région, etc…).
Dès lors, il ne s’agit pas seulement de mesurer les performances des élèves face à une épreuve de mathématique ou de lecture, mais aussi de pouvoir les situer selon divers critères sociologiques. L’un d’entre eux, essentiel, est une estimation du statut socio-économique de l’enfant. Seulement voilà : on ne peut évidemment pas demander à un gamin de 10 ou 14 ans quel est le revenu de ses parents. Il l’ignore généralement. Alors la technique classique — utilisée dans les tests internationaux PISA ou dans l’enquête sur les « savoirs citoyens » que l’Aped mène actuellement en fin de secondaire — consiste à rassembler un grand nombre de variables qui permettent de « cerner » la situation sociale d’une famille. Certes, la présence ou non d’une femme de ménage n’est pas, en soi, un critère décisif de « richesse » ou de « pauvreté ». Mais lorsqu’on l’associe habilement à plusieurs autres variables — nombre de livres ou d’ordinateurs, nombre de salles de bains ou de WC, nombre de voyages touristiques à l’étranger, modèle et marque de voiture du papa, type de logement,… — on finit par obtenir une estimation tout à fait pertinente de la position sociale d’un individu. Ces techniques n’ont pas été inventées par Mme Arena, ni par les professeurs qui ont préparé les questions de mathématique proprement dites; elles sont d’un usage courant et éprouvé dans toutes les grandes enquêtes sociologiques. Pareillement, la connaissance de la langue parlée à la maison est une donnée essentielle pour situer l’environnement socio-culturel d’un enfant. Sans la collecte de ces données il est, par exemple, impossible de déterminer si la langue maternelle est un facteur déterminant dans les performances scolaires et si elle l’est de la même façon dans tous les milieux sociaux (les fils de milliardaires arabes présentent-t-il les mêmes difficultés scolaires que les enfants d’immigrants marocains sans qualification ?)
Dès lors, le problème que soulève la tempête dans un verre d’eau déclenchée par Mme Bertieaux n’est pas de savoir si ces questions sur les femmes d’ouvrage ou la langue étaient opportunes. Elle le sont évidemment: sans ce type de question les tests perdent une grande partie de leur intérêt. Le vrai problème qui se pose à nous est de savoir pourquoi Mme Bertieaux se met en colère. Et je ne vois guère que deux réponses possibles.
Il se pourrait évidemment qu’elle soit de bonne foi et qu’elle ne sache réellement pas à quoi sert ce type de questions. Dans ce cas, c’est qu’elle n’a rien compris aux objectifs et aux méthodes de l’évaluation d’un système éducatif. Après trois enquêtes PISA, il y aurait alors de quoi s’inquiéter sérieusement quant aux compétences de la porte-parole spécialisée en matière d’enseignement du plus grand parti de Wallonie.
En revanche, si l’on suppose que Mme Bertieaux a bien compris l’objectif de ces questions, alors son opposition doit être idéologique. Elle signifierait que les responsables du MR veulent bien que l’on évalue l’efficacité du système d’enseignement, mais pas son équité. On ne se prive pas de stigmatiser — surtout lorsqu’on est dans l’opposition — les médiocres performances globales de notre enseignement. Mais il ne faudrait surtout pas insister trop lourdement sur les mécanismes de ségrégation sociale qui le caractérisent. Car on risquerait alors de soulever des lièvres bien malodorants au nez de nos libéraux, comme la la concurrence entre réseaux et la liberté de choix des parents….
A Mme Bertieaux de nous dire si elle n’est pas en mesure de comprendre la réalité de l’inégalité sociale à l’école ou si elle préfère ne pas la (faire) voir. Ou les deux. Et après tout, qu’importe ? Choisir entre des politiques incompétents et des politiques sans morale sociale, est-ce vraiment un choix ? Et ce n’est certes pas l’attitude de Marie Arena dans ce débat qui nous remontera le moral. Mise sous pression, la ministre s’est empressée d’annoncer qu’elle jugeait elle aussi « inopportune » cette question de l’épreuve d’évaluation. Après les reculades sur les distributeurs de Coca et sur les bassins scolaires, voilà une nouvelle preuve d’un grave déficit de courage politique et de capacité à communiquer de manière claire et offensive sur des questions essentielles.
Ah ! Que les grands et généreux principes sont donc fragiles en regard des impératifs d’une carrière politique !
(Carte Blanche publiée dans Le Soir du 21/02/08)