L’idée de Nicolas Sarkozy de «confier la mémoire» d’un enfant déporté à chaque élève de CM2 suscite les critiques de nombreux historiens, enseignants et psychologues…
Le débat est lancé…
«Je savais que le Président ferait une proposition au sujet de l’enseignement de la Shoah, mais je n’en savais pas plus.» Comme tout le monde, Richard Prasquier, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) a été surpris, mercredi soir, par l’annonce du chef de l’Etat selon laquelle «à partir de la rentrée scolaire 2008, tous les enfants de CM2 se [verront] confier la mémoire de l’un des 11 000 enfants français victimes de la Shoah».«Je n’avais pas lu le discours du président de la République», précise le responsable, ajoutant : «Cette demande ne vient pas de chez nous.»
Controverse.
Nicolas Sarkozy s’est-il laissé aller, devant un public qu’il savait particulièrement sensible à la question de la mémoire de la Shoah, à l’une de ces annonces spectaculaires dont il a le secret ? Son initiative en tout cas a provoqué une controverse toute la journée d’hier, suscitant le débat entre historiens, psychologues et enseignants. «Un Premier ministre invité par le Crif peut se contenter de dire « je vous aime et je vais faire en sorte de lutter contre l’antisémitisme ». Un président de la République doit absolument annoncer quelque chose, note Joël Rochard, président du cercle de réflexion juif de gauche Bernard-Lazare. Juppé avait annoncé la création de la commission Mattéoli [sur la spoliation des Juifs pendant la seconde guerre mondiale, ndlr], Jospin a annoncé ses résultats, Chirac a reconnu la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs. Qu’est-ce qui restait à Sarkozy ? Rien.»
Cet épisode rappelle évidemment un précédent: lorsque Sarkozy avait annoncé abruptement, en mai 2007, que sa «première décision» de président serait de faire lire dans tous les lycées la lettre écrite par le jeune communiste Guy Môquet avant son exécution par les nazis en 1941. A l’époque,cette annonce avait pris tout le monde de court, y compris Xavier Darcos, le ministre de l’Education. Ce dernier a-t-il été prévenu, voire consulté, cette fois-ci? Interrogé lors de sa conférence de presse de présentation du volet éducatif du plan banlieue (lire page 18), il s’est montré très prudent. Y allant d’un souvenir personnel: «Mon père m’avait emmené voir Nuit et brouillard[documentaire d’Alain Resnais sur les camps] alors que j’avais 13 ans. J’avais eu beaucoup de mal, j’avais dû prendre du recul, c’était trop tôt.» D’où la question qu’il dit s’être posée : «Que faire pour les 10-12 ans ?» Réponse: «Créer une relation identitaire entre un enfant d’aujourd’hui et un enfant du même âge qui, lui, a été enlevé puis gazé.»«L’idée est venue lorsque j’ai vu cette carte postale représentant les enfants d’Yzieu en septembre 1943, a ajouté Darcos. Un an après, ils ont été gazés. On [sous-entendu, Sarkozy et lui] en est venus à cette idée».Les élèves feront «une petite enquête sur la famille, le milieu, les circonstances dans lesquelles l’enfant a disparu, rechercher s’il a des parents, des grands-parents». «Cette relation personnelle, affective pourra ensuite permettre de construire un travail pédagogique».
Flou. A l’inverse de la lecture de la lettre de Guy Môquet, ce «parrainage» ne serait pas obligatoire : «Peut-être que cela ne se passera pas dans tous les CM2», a déclaré le ministre. Sur la mise en œuvre de la mesure, Darcos a d’abord été très flou : «Peut-être que l’on pourrait en charger quelqu’un comme la présidente de la maison d’Izieu […], avec un ou deux inspecteurs.» Dans l’après-midi, le ministre a un peu précisé le tir. Il a officiellement chargé Hélène Waysbord-Loing, présidente de l’Association de la maison d’Izieu, inspectrice générale honoraire de l’Education nationale, d’une «mission en vue d’élaborer les documents pédagogiques valorisant ce travail confié aux enseignants du primaire».
En lien hypertexte, la réaction de Simone Veil.