Enseignants : une revalorisation qui a tout pour déplaire (article de Véronique Soulé paru dans libération.fr)

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Créée pour remédier au malaise enseignant, la commission Pochard risque fort de l’aggraver. Après avoir auditionné une cinquantaine d’experts et de syndicalistes, son président, le conseiller d’Etat Marcel Pochard, rend aujourd’hui son rapport, le livre vert. Les grandes lignes qui ont filtré ont déjà provoqué une levée de boucliers du milieu enseignant. «Une vraie provocation», a jugé le Snes, premier syndicat du secondaire. «Un risque de casus belli», a averti le Snalc, classé lui plutôt à droite. Composée d’une dizaine de personnalités – l’économiste Eric Maurin, le professeur au Collège de France Antoine Compagnon ou le directeur de l’Institut Montaigne Philippe Manière -, cette commission a été mise en place le 24 septembre par le Premier ministre Fançois Fillon. Elle a été chargée de formuler des propositions pour revaloriser une profession qui se sent dévaluée, en termes de salaires mais aussi de prestige et d’autorité. Le ministre de l’Education Xavier Darcos reprendra ensuite les mesures qu’il juge les plus intéressantes dans un livre blanc. Le pré-rapport, daté du 25 janvier et disponible sur le site www.cafepedagogique.net, met en évidence une série de blocages et avance des solutions plus ou moins novatrices. Retour sur quatre points qui focalisent les critiques.

Des profs rémunérés à la «performance»

Le texte rappelle que «la rémunération brute moyenne des enseignants du premier degré s’élève à 1 900 euros par mois et à 2 700 euros pour le second degré», après souvent cinq années d’études supérieures et plus. Mais il indique aussi que hormis les débutants, les enseignants n’ont pas vu leur pouvoir d’achat baisser plus que les autres. La commission doit en outre travailler «à moyens constants» et doit être économe.

Si la notion de «mérite» est fréquemment évoquée, elle n’est pas citée comme critère d’évaluation. On préfère parler de «performance». Le distinguo est subtil mais explosif. Pour avoir suscité la confusion dans une interview, l’ex-Premier ministre Michel Rocard a démissionné de la commission. Mais comment évaluer la «performance» ? Plusieurs pistes sont avancées : un rôle accru des chefs d’établissement, des inspections plus régulières…

Un coup de pouce est toutefois envisagé pour les débutants (payés 1,3 fois le smic) sous forme d’une prime ou de l’attribution d’un ordinateur. L’accès à la «hors classe» – l’indice le plus haut – pourrait aussi être élargi. «Mais comment revaloriser une profession sans dégager des moyens ?», commente Gérard Aschieri, président de la puissante fédération FSU qui réclame que tous aient accès au «hors classe».

Un temps de travail plus flexible

Il est défini en France par le temps de présence devant les élèves (ou «temps de service»): dix-huit heures par semaine pour les capésiens, quinze pour les agrégés. A côté, ils ont de multiples tâches – préparation des cours, corrections, rencontres avec les parents, etc – non comptabilisées. La commission propose de les lister. Et de payer en plus (les fameuses heures sup) les «activités complémentaires». Mais c’est assez confus. Elle propose aussi une annualisation du temps de travail, ce qui permettrait plus de flexibilité : l’enseignant pourrait travailler plus une semaine pour rattraper une période d’examen. Les syndicats y voient un moyen de faire travailler plus sans gagner plus. Le texte évoque la possibilité de fixer un temps de présence mais sans insister. Les syndicats y sont hostiles. De plus, les locaux manquent, les salles de profs étant trop exiguës. Il prévoit aussi une carrière plus «mobile». Avec des possibilités de reconversion, des recrutements qui pourraient être locaux et une plus grande ouverture aux jeunes des milieux défavorisés qui seraient «pré-recrutés» (leurs études payées). Il recommande aussi de ne plus envoyer systématiquement les débutants dans les collèges les plus durs.

Le retour de la bivalence

Le rapport propose d’encourager l’enseignement de deux matières, pour une gestion plus souple du personnel. Or les enseignants, en France, sont particulièrement attachés à leur discipline. La bivalence est une question ultrasensible. L’ex-ministre de l’Education Gilles de Robien, qui avait voulu la généraliser, avait affronté une vague de protestations. Pour le syndicat SE-Unsa, c’est la marque de la dérive «managieurale» du rapport, un moyen d’ajuster au plus près des effectifs appelés à baisser chaque année – 11 200 postes sont supprimés à la rentrée 2008. Le texte préconise que les enseignants des lycées professionnels – les seuls à être déjà bivalents – puissent aller en collège. Darcos ayant décidé de réduire la préparation du bac pro de quatre ans à trois ans, de nombreux profs vont se retrouver sur le carreau. Les enseignants bivalents, qui se concentreront sur l’acquisition du «socle des connaissances» (les bases), sont recommandés dans les collèges difficiles.

L’absence du primaire

«Comment sérieusement tenter de tracer les évolutions à venir du métier sans se pencher sur les 360 000 enseignants du primaire [45 % du total] qui exercent de la maternelle au CM2, soit huit ans sur les douze de scolarisation obligatoire ?» s’étonne Gilles Moindrot, secrétaire général du Snuipp, premier syndicat du primaire. Les enseignants du primaire, quasiment absents du rapport, réclament eux aussi davantage de temps pour travailler en équipe. Le nombre moyen d’élèves par enseignant est supérieur à la moyenne de l’OCDE (19,4 contre 16,9) et les missions se multiplient. Cette absence du primaire est d’autant plus surprenante que le ministre en a fait son cheval de bataille : avec 15 % d’élèves en grandes difficultés à la fin du CM2, il est désormais considéré comme le maillon faible du système.

Beaucoup attendent les réactions du ministre pour savoir s’il s’agit d’un énième rapport sur l’Education ou d’une source d’inspiration pour des réformes à venir. Dans ce cas ils se mobiliseront.