Le progrès scientifique et technique est un paradigme accepté tant par la droite que par la gauche, la première y voyant une des conditions de la croissance capitaliste, et la seconde, celle du progrès social. Les auteurs de cet essai nous expliquent pourquoi toutes les technologies ne sont pas automatiquement « bonnes à prendre », eu égard à leurs conséquences anthropologiques, sanitaires, ainsi qu’écologiques, et à partir du moment où elles dépossèdent l’homme du minimum d’autonomie indispensable à l’exercice de la démocratie. Ainsi, quelques clichés, fournissant l’armature idéologique propre au déferlement technologique contemporain, sont d’abord battus en brèche : « la technique est neutre. Tout dépend ce qu’on en fait », « la technique nous libère de la servitude » ou encore le fameux « refuser le progrès, c’est revenir à la bougie ». Plusieurs thèmes sont abordés par chapitre : « l’emprise des écrans » (le plus original d’entre eux), par Cédric Biagini ; le « rêve numérique », par Guillaume Carnino, qui y voit plutôt un « cauchemar informatique »; Célia Izoard expose les dangers que la biométrie fait courir aux libertés individuelles, alors que le collectif Pièce et Main d’Œuvre met en pièce le téléphone portable, « gadget de destruction massive » qui autorise le flicage généralisé des citoyens pendant qu’il massacre l’environnement, celui d’Afrique Centrale par le pillage du coltan, et le nôtre par la multiplication des antennes « qui grillent le cerveau ». À la fin, six annexes donnent la parole à des militants engagés dans une critique des technosciences (entre autres le Groupe Oblomoff, l’Appel de Raspail, la résistance d’un éleveur aux puces RFID, etc.). Si le lien entre l’économie capitaliste et l’emprise technologique au quotidien est démontré, les auteurs mettent par contre en garde contre toute tentative, dangereuse et illusoire selon eux, de vouloir récupérer l’arsenal technique tel quel pour le réorienter dans la perspective d’une société juste et égalitaire. Non, décidément, la technologie moderne est tout sauf neutre! Mais les auteurs reconnaissent que les techniques furent consubstantielles à l’émergence de l’humanitude. Cet essai audacieux prolonge l’héritage de l’École de Francfort, Günther Anders, Jacques Ellul et Ivan Illich.
BIAGINI Cédric, CARNINO Guillaume, IZOARD Célia, PIÈCES ET MAIN D’ŒUVRE, La tyrannie technologique. Critique de la société numérique, éd. L’Échappée, Paris, 2007, 254 p.
La tyrannie technologique
Toutes mes félicitations pour cet ouvrage courageux, intelligent, documenté qui agit et réveille comme un café très fort et brûlant! C’est de la trempe d’un Illitch, encore Bravo ! Joël Acremant,enseignant à Chatou (Yvelines)