Voici sans doute l’une des analyses les plus clairvoyantes ayant été rédigées sur l’enseignement dans un pays africain. Il s’agit d’un texte de feu Thomas Sankara, ancien président du Burkina Faso de 1983 à 1987, année de son assassinat. L’ « Appel de Gaoua sur la qualité de l’enseignement » fut lancé par Sankara le 17 octobre 1986, dans sa ville natale, là où il fit ses études primaires. Méditons la force et l’actualité de ses paroles, que ce soit pour l’Afrique ou pour le reste du monde : « La jungle de la société capitaliste, sa philosophie d’injustice et d’exploitation créent pour chacun de nous les alibis, l’absolution anticipée, le blanc-seing du dédouanement. Alors nous voilà lancés à corps perdu dans la lutte égoïste pour des plaisirs qui ne constituent qu’une illusion de bonheur, et pour cela nous écrasons et notre prochain et les valeurs de notre peuple ».
Camarades militants et militantes de la Révolution Démocratique et Populaire,
Camarades Enseignants,
Camarades Parents d’Elèves, Camarades Elèves
Nous voici encore une fois à la rentrée scolaire, plus exactement en période de rentrée scolaire, tant il est vrai que les problèmes posés ne sont jamais des problèmes d’un jour ni même de quelques semaines.
De nombreuses difficultés nous assaillent aujourd’hui encore, difficultés matérielles et morales qui ont abusé d’une certaine démission des uns et des autres pour s’imposer en phénomène cyclique.
Une chose est au moins sûre : la rentrée scolaire ne laisse personne indifférent au Burkina Faso, même si les intérêts qu’elle charrie ou engage sont forcément divergents, parfois même antagoniques. Il y a les intérêts du commerçant de fourniture scolaires ou ceux du commerçant promoteur, il y a les intérêts du fondateur d’école, il y a les intérêts des parents – hélas encore formulés au niveau individuel et isolé – et bien sûr l’intérêt de l’Etat, gestionnaire de la société globale.
Cependant, c’est que, au-delà de cette diversité et de cette concurrence apparentes, la rentrée scolaire, par son objet, masque des enjeux autrement plus importants. Peut-on, en effet, parler de rentrée scolaire sans poser la question de savoir qui rentre, où il rentre et pourquoi il rentre et quel type d’homme en sortira ?
Les réponses à ces questions sont simples, du moins directes, et nous ramènent au problème fondamental de l’éducation en général et de l’enseignement en particulier dans notre pays.
Nous suivons la démarche suivante pour parler de cette si importante question de la qualité de l’enseignement :
Nous verrons tour à tour
I- Quelle est la situation qualitative de notre enseignement ?
II- Quelles sont les causes de la baisse de qualité de l’enseignement ?
III- Quels sont nos devoirs de responsabilité pour une plus grande qualité dans l’enseignement ?
IV- Enseignement de qualité : nécessité vitale de la Révolution Démocratique et Populaire (R. D. P.).
I- QUELLE EST LA SITUATION QUALITATIVE DE NOTRE ENSEIGNEMENT ?
Je ne reviendrai pas sur les rapports dialectiques entre l’école et la société que j’avais rappelés lorsque j’introduisais le débat national et populaire sur le document relatif au projet de réforme scolaire.
Le lieu géométrique, le centre commun des préoccupations de l’Etat et des parents est et devrait être l’enfant, chacun d’entre nous ayant vérifié ou pouvant comprendre cette vérité historique selon laquelle « l’enfant est le père de l’homme » c’est-à-dire l’avenir de la société.
Je sais que vous avez compris pourquoi le Conseil National de la Révolution (C. N. R.) qui lutte pour construire l’avenir, qui se bat pour l’avènement d’une société nouvelle burkinabè, s’occupe et se préoccupe de l’enfant.
Il ne me paraît pas utile de dresser une liste exhaustive de toutes les mesures stratégiques et tactiques prises depuis le 4 août 1983 pour permettre à nos continuateurs, je veux parler des enfants, d’accomplir leur rôle historique. Le thème du troisième anniversaire de la Révolution Démocratique et Populaire, « l’Enfant et le Plan Quinquennal » a situé éloquemment le contenu et la portée des choix du Conseil National de la Révolution en la matière.
Dans l’immédiat, et ce malgré les efforts déployés ça et là, force est de constater, de reconnaître qu’il reste beaucoup, sinon tout à faire, tant sur le nombre d’enfants à éduquer que sur le contenu de cette éducation.
Aujourd’hui, chacun d’entre nous se félicite ou se réjouit, et je vous comprends, du plafonnement des frais de scolarité, certains manifestent leur satisfaction légitime pour l’accroissement visible du taux de scolarisation, fruit de la prise de conscience et de la mobilisation populaire.
Par contre, chaque parent, chaque responsable s’inquiète de la détérioration tendancielle et continuelle de la qualité de l’enseignement, telle que le révèle la faible niveau des élèves, ces dernières années.
Il s’agit là d’une situation extrêmement grave qui préoccupe au plus haut point notre direction politique, et qui doit préoccuper tout militant de la Révolution Démocratique et Populaire. Comment ne pas comprendre que toute indifférence ou complaisance vis-à-vis de ce problème est un crime collectif, les enfants étant notre propre avenir. Comment ne pas comprendre que sans un sursaut de rectification nous courons à notre ruine, car si l’école ne produit pas la vraie société burkinabè, elle produira la société des hommes non dignes, non intègres.
Face à cette dégradation continue et dangereuse de notre enseignement dans son aspect le plus significatif , il faut qu’en révolutionnaires conséquents nous situions les responsabilités et assumions pleinement les nôtres.
Pour cela, il nous faut procéder à un diagnostic profond et précis de la situation de l’enseignement actuel afin de nous donner des chances de lui trouver une thérapeutique appropriée.
Quel constat peut-on alors faire de notre système éducatif ?
Je sais que chacun d’entre nous l’a déjà établi, du reste, les conclusions de la première Conférence des Comités de Défense de la Révolution et le large débat national ont montré le désir unanime de changer l’école et le système éducatif. Cette position est politiquement juste et économiquement rationnelle car il n’y a, dans la situation actuelle, aucun motif de fierté.
Au niveau de l’Etat, les charges, en termes financiers, sont très lourdes, et les résultats, en termes d’efficacité et d’efficience, dérisoires.
Ainsi pendant ces trois dernières années, en moyenne 17 à 20% du budget de l’Etat ont été alloués à l’enseignement au seul titre des salaires versés aux enseignants, soit plus de dix milliards[2] de nos francs.
Or, nous savons tous que cette charge, aussi importante qu’elle puise paraître, ne représente qu’un aspect du problème car elle ne prend pas en copte les dépenses multiformes des parents aux moins égales à celles de l’Etat.
C’est donc dire que nous avons dépensé pendant la période considérée plus de vingt milliards de francs[3] pour l’éducation de nos enfants.
Posons-nous maintenant la question de savoir quels résultats nous ont rapportés de si lourds investissements ?
A ce niveau, point n’est besoin d’être un expert pour reconnaître le taux élevé de déperdition d’une classe à une autre, et surtout pour fustiger et répudier la mauvaise qualité des rares produits finis ou semi-finis de notre école.
Par exemple, nous observons avec beaucoup d’amertume aujourd’hui qu’un élève qui termine le cours moyen sait à peine lire et comprendre un texte. Il est même établi que si cet élève en fin de « cours moyen » quitte l’école pendant deux ou trois années, il redevient un analphabète complet, alors que théoriquement tout élève qui a fréquenté l’école jusqu’au « cours élémentaire » est sensé être définitivement alphabétisé. Sur la base de cette constatation, si nous comparons les deux termes ou pôles contradictoires de notre action actuelle en matière d’éducation, accroissement continu des dépenses d’une part baisse vertigineuse du niveau des élèves, nous ne pouvons alors éviter de nous demander si nous ne sommes pas en train de financer l’analphabétisme en croyant de bonne foi le combattre.
Mais ce faible niveau des élèves, aussi injuste et inexpliqué qu’il est, ne caractérise pas toute la carence du système éducatif incriminé, qui fait peu cas du minimum de civisme à même d’intégrer socialement l’enfant. Voilà pourquoi ils sont nombreux ceux qui attribuent les déviances sociales observées chez les enfants à cette école exogène et inadaptée : impolitesse, désobéissance et indiscipline, grossièreté et malpropreté, malhonnêteté et délinquance.
II. QUELLES SONT LES CAUSES DE LA BAISSE DE QUALITE DE L’ENSEIGNEMENT ?
De nombreuses et ténébreuses raisons sont évoquées pour justifier cet état de fait.
Pêle-mêle l’on cite :
– La présence massive d’éléments non qualifiés (à défaut de pouvoir dire non désirés) dans l’enseignement. Et aussitôt en rangs serrés, l’anathème est jeté sur les enseignants révolutionnaires et une apologie romantique à l’adresse des instituteurs de « William Ponty » ;
– Le surnombre des élèves dans les salles de classe est une excuse toute faite ;
– L’absence ou l’anachronisme des méthodes étant un argument absolutoire.
Bien d’autres raisons sont décrites dans des épanchements du cœur, les uns plus pathétiques que les autres. Mais, toutes ces raisons se ramènent à trois causes qui sont :
– Primo : la non-définition d’une méthode correcte, ce qui dans notre cas signifie la réforme de l’école ;
– Secundo : le manque de moyens importants, c’est-à-dire des enseignants, des infrastructures et un environnement pédagogique idoine ;
– Tertio : l’absence de conscience responsable chez tous les acteurs de l’éducation, c’est-à-dire les parents d’élèves, les enseignants et les élèves.
J’ai choisi de limiter mon propos à cette dernière cause, à savoir : la conscience des hommes. L’homme est la machine la plus complexe la plus performante du monde, qui dispose d’un centre pluridimensionnel autonome et personnel de commandement, de conception, de stimulation et de régulation qui s’appelle la conscience. L’homme, c’est aussi le génie le plus apte à l’organisation. C’est pourquoi, malgré des moyens pédagogiques insignifiants et une définition non achevée du type d’école, la qualité des hommes, conséquence de leur degré de conscience, peut être un palliatif autorisant des résultats forts brillants. A l’inverse, abondance de moyens et affinement de la théorie éducative sans cependant des hommes consciencieux ne sont que ruine de la société. Je ne vous parlerai donc que de l’homme, c’est-à-dire de chacun de nous.
Dans d’autres circonstances, j’évoquerai et développerai les questions relatives à la nécessité de la réforme scolaire et des moyens complémentaires à en gager pour notre école. A cette occasion également, nous verrons que l’homme sera la clé universelle à nos interrogations. Parce que les moyens dépendent des hommes et la réforme si nécessaire ne sera que l’œuvre des hommes. Mais le chemin de l’école nouvelle passe par la transformation de nos mentalités et de nos comportements. Ce qui exige de nous une véritable croisade contre la démission collective qu’a été notre ponce-pilatisme lorsqu’il s’est agi de réfléchir et de proposer une réforme de notre école après avoir décrié la présente.
Camarades,
Un mal ravage notre jeunesse scolarisée, et un grand malheur s’abattra sur notre peuple si nous n’engagions le juste combat pour conjurer ce sort que ne mérite pas notre Révolution. Adopter une attitude d’indifférence serait œuvrer, et ce de façon active, au sabotage de l’avenir, à l’assassinat, à l’holocauste même de nos enfants sans défense. Face à notre culpabilité silencieuse leur innocence clamera demain notre oppression ; nos penchants égoïstes étoufferont en eux tout germe de solidarité. Ainsi donc, même si l’enfant dont les résultats scolaires permettent de dire aujourd’hui qu’il est sur la voie du succès sera broyé par la vie de demain, parce que nous n’aurons pas su créer, développer aujourd’hui les règles d’une société saine et solidaire pour les générations à venir.
Pour obtenir la qualité de l’enseignement il faut que les protagonistes jouent correctement leur rôle. Je veux parler du devoir des enseignants, des parents d’élèves et des élèves eux-mêmes. Ce n’est pas toujours le cas malheureusement.
Que peut-on dire des mauvais enseignants ?
Il est à observer que dans toute sa pyramide, l’enseignement renferme de nombreux phénomènes qui prennent leur propre éducation coloniale ou néo-coloniale comme une fin en soi et montrent de ce fait une incapacité révoltante à adapter l’appris et l’acquis au vécu.
Ces mêmes phénomènes manifestent une absence d’intérêt pour leur métier ce qui se traduit dans ce domaine comme un manque total d’amour pour l’enfant à former.
Il est vrai que de nombreux enseignants ne voient pas l’enfant à l’école mais simplement leurs salaires, et il est regrettable qu’ils ne s’acquittent même pas correctement du travail correspondant à ce salaire. Pire, ces braves camarades ou messieurs (j’avoue ici franchement mon embarras), pour éviter que le travail, perçu comme une contrainte, ne finisse par leur inculquer une conscience professionnelle, ces braves-là, dis-je, vont trouver un abri inexpugnable dans la déchéance et l’activisme extra-scolaire.
Aujourd’hui, la désorganisation des cours est plus le fait des enseignants que celui de l’Etat : la moindre occasion de manifestation, quelle qu’en soit la nature ou la durée, est prétexte irréfutable pour libérer les élèves, c’est-à-dire pour se libérer soi-même. Et l’on voit les récréations qui n’en finissent pas, les actIvités C. D. R. étant évoqués à tout propos par ceux qui n’y prennent même pas part pour expliquer une fuite criminelle des responsabilités.
Si l’on ajoute à cette déplorable situation l’affairisme et la laxisme qui se sont substitués avec un rare succès aux vertus théologales de l’enseignement, l’on comprend aisément le sens de la dégénérescence. Les aides alimentaires ont développé des vocations de gestionnaires chez certains. Après avoir enseigné aux élèves qu’il ne faut jamais voler et que l’honnêteté est la mère des vertus, des enseignants s’occupent des vivres de l’école qu’ils manipulent avec dextérité en les dirigeant vers leur cuisine familiale ou en les vendant, pendant que la cantine scolaire sert aux enfants des mets peu appétissants. Les cotisations au profit de l’école sont utilisées à d’autres fins. Les mères de famille ont coutume d’entendre à midi les enfants dire avec beaucoup d’anxiété dans la gorge « maman le maître a dit d’amener 25 francs le soir sinon on n’entre pas en classe ».
Certains enseignants sont devenus de véritables hommes d’affaires usuriers possédant bars, buvettes, commerce de vivres, commerce de bois… Les journaux envoyés gratuitement aux enfants de même que certaines fournitures scolaires se retrouvent en vente à nos fameuses « librairies par terre ».
Les préparations de la classe sont bâclées ou simplement ignorées.
Pour se donner le moins de travail, l’on réduit du simple au dixième le nombre des devoirs, les rares devoirs étant eux-mêmes corrigés à la hâte. Peu d’enseignants demandent conseils et suggestions à leurs collègues pour leur travail. Combien ne se sont-ils pas retrouvés le jour de l’inspection avec des leçons non préparées ?
Des institutrices sont souvent plus préoccupées par les comptes d’exploitation de leur « dani glacé » ou de leur « lembourdji » que par la préparation des cours et la correction des cahiers.
Des pratiques immorales et indignes d’un formateur sont souvent rencontrées : viol des élèves, avortements clandestins, etc. … Des enseignants sont passés maîtres dans cet art, et il leur est devenu objectivement difficile de jouer leur rôle premier. D’où les mesures administratives qui les ont frappés. Qu’ils ne s’en prennent qu’à eux-mêmes car ils sont responsables de leurs forfaits. Des enseignantes tombent amoureuses de leurs élèves, non d’un amour sain et admirable, mais plutôt de ces liaisons coupables à la lisière de la perversion.
Le choc est dur pour les enfants qui, témoins, sont brutalisés, traumatisés. L’obstacle à la communication pédagogique est alors créé. Ces enseignants deviennent pratiquement inutiles. L’administration sévit. Un torrent de larmes se déclenche. Quel dilemme !
En début d’années, les places dans les établissements sont simplement vendues.
Lorsque les élèves, par une élévation de leur sens moral et leur niveau politique tentent de dénoncer ces faits, les enseignants crient au scandale déclarant que depuis qu’il y a les C. D. R. dans les établissements, les professeurs ne sont plus respecté comme il se doit. Et ils s’emploient à faire taire les élèves à coups de mauvaises notes.
Aujourd’hui encore il existe hélas une catégorie d’enseignants irresponsables. C’est surtout eux qui sont à la base des échecs scolaires. Le plus grave est que leurs responsabilités sont parfois voilées par le fait qu’ils ont réussi à transférer à d’autres enseignants des promotions entières d’enfants qu’ils ont mal instruits, mal formés, dévoyés sûrement.
Les efforts titanesques des enseignants responsables qui tentent de sauver ces malheureux enfants arrivent trop tard, débouchent fatalement sur des échecs. Il n’y a plus que tristesse et abattement chez ceux dont la conscience est encore vivante.
Agents cupides, ils ne doivent être perçus que comme des voleurs de l’Etat, et des rongeurs et des déprédateurs de notre budget national. Ce sont de mauvais fonctionnaires. La première Conférence des Commissions du Peuple chargées des secteurs Ministériels (C. C. P .M.) les a dénoncés à Ouahigouya[4]. Il faut les combattre avec tous les raticides de la gamme des sanctions dont dispose notre Fonction Publique.
Sur le plan social ces paresseux ne sont rien d’autre que ces parasites véhiculant en plus les nombreux vices de l’oisiveté. Il faut s’en méfier, il faut les détruire sinon les fuir.
Sur le plan politique, ce sont des opportunistes ; des imposteurs, des tartuffes. Ils ne croient pas plus au Discours d’Orientation Politique qu’à une calebassée de dolo, un verre de bière ou de whisky, un mégot de cigarette, un bon d’essence…
De tels enseignants développent toutes sortes d’ingéniosités, de stratagèmes pour éviter les inspections, les contrôles, les séances de recyclage. Certains vont jusqu’à l’intimidation politique, le trafic d’influence pour échapper à la rigueur de l’Inspecteur.
Mais ces inspecteurs eux-mêmes, les Conseiller Itinérants et tous les autres pédagogues, formateurs des formateurs ont-ils toujours et tous pris leurs responsabilités, au lieu de rôder autour du ministre de l’Education Nationale pour obtenir un stage ou simplement jongler pour la reconnaissance d’une équivalence d’un diplôme scabreusement négocié ? N’ont-ils pas, généralement préféré les centres de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso, sans égard pour une couverture rationnelle des circonscriptions scolaires ! N’ont-ils pas souvent fui la fermeté dans la formation des maîtres pour ne s’aliéner personne ! Ils ont donc abâtardi la noble mission de formateur des formateurs.
Ensuite de la responsabilité des parents d’élèves
Est-il besoin de rappeler la part de responsabilité d’un père et d’une mère dans l’éducation d’un enfant ? Il s’agirait là d’un simple truisme, si tant il est vrai que l’enfant naît et se développe d’abord dans une famille et que celle-ci co-partage son éducation avec toutes les institutions jusqu’à sa majorité. Or que constatons-nous aujourd’hui ?
Les parents ne s’occupent en général de la scolarité des enfants qu’à la rentrée pour leur trouver une place, et au moment des résultats scolaires pour savoir s’ils sont renvoyés ou pas de l’école.
Entre les deux extrêmes, peu de parents s’intéressent réellement de savoir ce que fait l’enfant à l’école, si à la maison il révise ses leçons ou prépare ses devoirs, s’il comprend et suit les enseignements. Peut-il en être autrement si beaucoup de parents à rentrer tard le soir au moment où l’enfant est déjà au lit, pour repartir le matin après le départ des enfants pour l’école ?
L’éducation d’un enfant nécessite une collaboration étroite entre les parents et l’enseignant.
Il n’est pas nécessaire d’être scolarisé soi-même pour stimuler un enfant, s’intéresser à son travail, l’encourager à réussir. Nous l’avons dit, les élèves sont trop nombreux dans les classes et il est difficile à un maître de les encadrer tous. Ce sont donc les parents qui doivent apporter leur contribution pour que la tâche soit réalisable, obliger l’enfant à se pencher quotidiennement sur ses leçons.
Les parents d’élèves premiers responsables de l’éducation des enfants affichent bien souvent des comportements purs d’inconscients.
Beaucoup entretiennent des maîtresses et des foyers parallèles soumettant femme et enfants restés à la maison à une vie de misère morale et matérielle.
Des enfants manquent du minimum pour aller à l’école (crayons, cahiers, livres, sac, chaussures) alors qu’il n’est pas établi que leurs parents ne peuvent pas les leur procurer.
En revanche ces parents, battent perpétuellement leurs enfants exigeant d’eux le maximum dans leur travail en classe ou à la maison sans leur donner le minimum pour ce faire.
Pour beaucoup de parents, l’enfant une fois à la maison ne doit parler ni de livre, ni de cahier. Ce sont ces parents qui les leur retirent pour ensuite leur confier des travaux pénibles dépassant leurs capacités physiques. Après tout cela, l’enfant s’endort, exténué, sans avoir appris ses leçons. S’ensuivent les mauvaises notes, puis l’échec scolaire et au bout, la marginalisation sociale.
On refuse aux enfants de vivre leur époque en les enfermant dans la maison, en leur refusant les temps de délassement. Pour nos parents d’élèves commençants, les enfants sont vendeurs de boutiques, convoyeurs de véhicules à la place des personnes que leurs parents avares refusent d’embaucher, ce qui aurait permis à ces derniers d’avoir un salaire.
Il est certes recommandé de faire travailler les enfants après les classes, mais des proportions doivent être respectées. Cela ne devrait pas se faire au détriment du travail à l’école.
Souvent pour se donner bonne conscience, des parents d’élèves se retrouvent dans des associations. Si de telles organisations sont à saluer, il faut toutefois en déplorer l’inorganisation, l’immobilisme, l’inefficacité et l’inanité. Nous avons horreur des associations de parents d’élèves qui ne se manifestent qu’à l’occasion des anniversaires, des fins d’années, des fêtes, mais sans bilan. Toute association pour être crédible, doit vivre pleinement et assumer ses responsabilités. Si l’association des parents d’élèves existe à cause des élèves, elle doit veiller à l’éducation de ces derniers. Qu’il s’agisse d’améliorer le cadre de vie des enfants en réalisant par-ci une clôture d’école, par-là des latrines, ou qu’il s’agisse d’aider à la qualité de l’enseignement en soutenant les bons enseignants, en exprimant aux mauvais la juste réprobation, et en exigeant des élèves le respect de leurs devoirs. De tels comportements courageux seront pour chacun de nous bien plus bénéfiques que les trafics d’influence, les manipulations de listes d’inscrits pour la rentrée et de candidats à repêcher de la part de dirigeants de ces associations, plus portées vers l’affairisme et en mal de pouvoir dynastique que de dévouement à la cause de tous.
De la responsabilité des élèves
Si les élèves ont le droit de se plaindre de la mauvaise qualité de l’enseignement dispensé, ils doivent savoir qu’une grande part de la baisse de la qualité de l’enseignement leur revient également. Certains d’entre eux sont passés champion dans la pratique de l’école buissonnière aussi bien au primaire qu’au secondaire. Les leçons ne sont plus apprises, les devoirs ne sont plus exécutés et parce qu’ils ont désormais le droit de s’exprimer à travers leur CDR, ils essaient souvent d’utiliser ce droit-là pour camoufler leur paresse.
Ils se croient autorisés sous ce prétexte à avoir des attitudes irrespectueuses vis-à-vis de leurs enseignants. Des élèves interpellés pendant les cours, quittent les classes sans la permission de leurs professeurs. Les activités parascolaires prennent le pas sur les cours.
Nos lycées et collèges sont souvent le théâtre des méfaits de l’alcool, de la cigarette et même de la drogue.
Les robes prêt-à-porter, les bijoux et grosses ceintures, les pantalons à pinces, la mode provocatrice, la bamboula hebdomadaire sont devenus les préoccupations principales des élèves au prix d’une prostitution occasionnelle qui tend à devenir un fléau dans nos villes. Que dire alors du sport que les élèves désertent par bandes entières, témoins les 3. 000 exemptés de sport aux épreuves du B. E. P. C. de 1985. Que l’on ne s’étonne pas que nos enfants ne soient pas capables de soutenir le moindre effort physique.
Les élèves se contentent d’être présents de temps en temps dans les classes, ils n’ont plus le temps de se consacrer à leurs études et beaucoup comptent sur l’heure de la négociation avec leurs enseignants pour avoir les points nécessaires pour passer en classe supérieure ou réussir un examen. A la maison, d’interminables séances pour ingurgiter du thé ou danser sans rythme à la faveur d’une lueur blafarde et complice, dans l’ambiance d’une musique qui, pour être non conformiste, multiplie les décibels ou persiste dans l’harmonie des temps. Au mur, la large photo d’une vedette au regard éthéré, en fait, un délinquant produit par le show-business du capitalisme immoral.
C’est le début de l’idolâtrie.
Par couples ou par groupes, des mineures dans les bras de non majeurs, célèbrent une messe qui n’est que la compétition à qui défiera la plus les règles de retenue morale. La société permissive prend ainsi naissance ; l’irresponsabilité de demain s’incruste chez ces jeunes esprits ; les volutes d’une plante prétendue paradisiaque font le reste. Que pourra-t-on faire alors faire plus tard pour rectifier une telle inconduite chez ces futurs hommes quand ils entreront en production ? Les avertissements, les blâmes, les suspensions, les dégagements et les licenciements n’y feront rien. Des inconscients sont nés. Au vu et au su d’enseignants lascifs et des[5] regards démissionnaires de parents qui se vantent que leurs enfants soient aussi éveillés ! Oui, éveillés, mais éveillés à la perdition.
Si j’ai fait le tour des différents partenaires de l’éducation, c’est pour permettre de comprendre que chacun à son niveau est également responsable de la mauvaise qualité de notre système éducatif et de notre enseignement : les parents par leur égoïsme, leur indifférence et leur insouciance, les enseignants par leur paresse et leur affairisme, les élèves par leur paresse, leur indiscipline et leur mauvaise conduite.
Voilà décrits nos comportements inadmissibles. La qualité de notre système éducatif déterminera la valeur des hommes que nous mettrons demain au service de notre peuple. C’est pour cela qu’il est important et urgent que chacun de nous se ressaisisse.
Que faut-il faire ?
III. QUELS SONT LES DEVOIRS DE RESPONSABILITE POUR PLUS DE QUALITE DANS L’ENSEIGNEMENT ?
Des devoirs attendent chacun de nous. Ils exigent de nous plus d’effort, plus de sacrifice. Ils exigent de nous plus d’abnégation et de volonté de réussir.
Ce que nous attendons de nos enseignants
Chaque enseignant devra se mettre à la hauteur de ce que les parents d’élèves et les élèves, en un mot la société, sont en droit d’attendre de lui. Le laxisme, la paresse, l’affairisme seront énergiquement combattus.
Il importe pour l’enseignant que ses connaissances pédagogiques soient constamment remises à jour et que ses cours soient minutieusement préparés, les documents pédagogiques qui sont élaborés à leur intention par les services techniques na sont pas de trop. Chaque enseignant, partout où il se trouve, a l’obligation de chercher à se les procurer et à s’en inspirer dans son travail quotidien.
Les Conseillers Pédagogiques et les Inspecteurs sont appelés à déployer tous les moyens possibles pour l’encadrement des enseignants. Les moyens qui sont progressivement mis à leur disposition doivent y contribuer et les arracher ainsi des tâches administratives. Mais, de même que le maître d’école doit éviter de terroriser l’écolier, de même, Conseillers et Inspecteurs doivent veiller à ne point blesser l’amour-propre des enseignants qu’ils ont pour mission de guider. Nos pédagogues devront mettre un point d’honneur à mériter que leur service sorte la quintessence de connaissance de l’école de l’enfant et des méthodes d’enseignement, mais aussi devront-ils relever tous les défis de chez nous et hors de chez nous pour produire au profit de notre peuple le nec plus ultra de la projection de l’école de demain.
Quant aux directeurs d’école, ils devront avoir le souci constant de faire de leur établissement des cadres agréables de vie. Propreté et embellissement favorisent sûrement les œuvres de l’esprit, et l’exercice physique contribue au développement harmonieux d’un corps sain. Au-delà de toute chose, c’est l’amour des enfants, lequel se confond avec l’amour du peuple, qui doit prédominer chez tous les enseignants.
Quand il le faudra, nous sanctionnerons. Nous tiendrons désormais compte, dans la notation et l’avancement des enseignants, de leurs résultats aux examens scolaires.
Les écoles ayant des résultats catastrophiques aux examens seront appelés à se justifier et les enseignants recevront, s’ils le méritent, des sanctions appropriées.
Les Conseillers et les Inspecteurs seront appelés à répondre des mauvaises prestations des enseignants puisqu’ils sont chargés d’encadrer.
De même, des distinctions aux yeux du peuple, félicitations, récompenses touchant à la carrière seront attribuées aux enseignants méritants compte tenu du rendement méritant[6] des écoles.
Chacun sera jugé désormais à la lumière des résultats obtenus et non plus uniquement sur la base d’un bulletin de notes superficiellement rempli, et dont les appréciations ne correspondent généralement pas à la réalité de la pratique professionnelle. Les enseignants ne seront plus promus exclusivement sur la base de diplômes qu’ils ont personnellement décrochés et pour la préparation desquels ils ont, dans bien des cas, sacrifié leurs élèves.
Les parents d’élèves, les militants des CDR ont le devoir de dénoncer lors de leurs assemblées générales les enseignants grossièrement coupables, et d’en rendre compte aux Ministères chargés de l’Education et au Secrétariat Général National des CDR qui enquêteront et séviront.
Les enseignants devront rappeler périodiquement aux parents d’élèves leurs devoirs vis-à-vis des élèves. Lorsqu’un élève sera constamment sale, mal habillé, sans le minimum de fournitures, ne connaissant pas ses leçons et n’ayant pas fait ses devoirs, ses parents seront appelés à s’expliquer et à recevoir, s’ils le méritent, les sanctions appropriées par le truchement des institutions habilitées.
Que doivent faire les parents d’élèves ?
Les parents ont le devoir d’assurer à leurs enfants l’alimentation, l’habillement, les soins médicaux, les fournitures scolaires indispensables. C’est leur premier devoir familial et leurs revenus doivent servir à cela avant toute autre chose. Nos enfants doivent être simples mais propres et bien portants. De plus, les parents ont le devoir d’aimer leurs enfants et de les guider dans leur apprentissage de la vie. Il leur revient d’éveiller le sens civique de leurs enfants et de faire preuve de rigueur dans le suivi des enfants à la maison, leur donner l’amour du travail bien fait. Puisqu’il s’agit plus de former des hommes que de fabriquer des robots aptes à des fonctions précises, veillons à ce que l’enfant dès aujourd’hui apprenne et pratique la règle des règles : le respect de son peuple. C’est-à-dire le souci permanent d’être utile à soi-même en étant utile à toute la société, lutter avec les masses pour avoir droit à célébrer la victoire avec elles, vouer un respect sans bornes à l’homme. Il faut savoir vivre chez nous, avec nous, pour nous.
Et pour cela, nos enfants doivent vivre dans un climat familial sain car c’est surtout l’exemple des parents qui éduque.
Des dispositions seront prises par les ministères concernés, Education Nationale, Enseignement Supérieur et Recherche Scientifique, Essor Familial et de la Solidarité Nationale, Secrétariat Général National des CDR, pour repérer dans nos écoles les enfants mal soignés et réaliser les enquêtes nécessaires pour situer les responsabilités.
Des parents verront venir à eux des agents de ces institutions pour s’enquérir des raisons de la mauvaise tenue de leurs enfants. Des sanctions disciplinaires et pécuniaires seront prises contre les parents insouciants et négligents pour rétablir les enfants dans leurs droits.
Lorsque l’on prend la lourde responsabilité de mettre un enfant dans ce monde dont l’on connaît pourtant les exigences, l’on doit assumer son rôle jusqu’au bout. Nous ne permettrons plus que ceux qui s’enivrent d’alcool, s’empiffrent de bonnes choses et s’intoxiquent au tabac, abandonnent des êtres fragiles et non responsables à la compassion des autres.
Désormais, pour chaque parent d’élève, le mot d’ordre dans la lutte pour la qualité de l’enseignement sera : « au moins trois fois une heure par semaine pour le suivi de l’enfant ».
Que doivent faire les enfants ?
La Révolution est avant tout discipline et travail. L’élève paresseux ou indiscipliné qui ne respecte ni ses professeurs ni l’administration de l’établissement, ni le besoin de tranquillité des autres élèves studieux, qui arrive en retard, joue de ruse pour échapper au cours, donne des signes de dépravation, n’est jamais à jour dans ses devoirs et ses leçons, et a une moyenne lamentable en fin d’année, cet élève-là n’est pas un révolutionnaire.
Il mérite d’être exclu des CDR. L’école ne saurait non plus le garder ; tout au moins sans une rééducation appropriée.
Il sera exigé désormais des délégués et militants CDR des établissements de garndes qualités de travail, de discipline, de ponctualité, de respect de la hiérarchie. Un délégué CDR doit être un exemple à suivre au sein de son établissement. La formation politique et l’instruction vont de pair. Il est impossible de mener l’un au détriment de l’autre. Le délégué CDR qui n’est pas sérieux, appliqué et soigné au travail ne peut rien exiger de ses camarades comme dévouement révolutionnaire. Celui qui bafoue l’autorité d’un enseignant servant correctement le peuple, celui-là ne peut obtenir à son tour de ses camarades la correction dans leur vie militante, ni le respect des principes tels le centralisme démocratique.
Nos élèves doivent continuer et accentuer leur formation politique et idéologique au sein du mouvement des pionniers, au sein de leurs CDR. Mais ce militantisme doit contribuer à renforcer leur ardeur au travail, à renforcer leur discipline au sein des établissements sinonil n’aura pas atteint son objectif.
Tous les élèves devront savoir qu’ils ont obligation de résultats et de bons résultats. Ils doivent mériter les sacrifices consentis pour eux par la société, donner le bon exemple de l’enfant travailleur, patriote, soucieux de son avenir. Il leur sera demandé plus de devoirs à réaliser en classe ou à emporter à la maison. Cela ne devra pas être confondu avec la pratiques de pensums ou autres brimades inutiles, mais comme des exercices qui forgent la mémoire, le raisonnement et éduquent le futur travailleur. Ce ne sera point du goût de tous, je le sais, mais nous ne pouvons pas attendre que nos petits élèves deviennent des adultes, et que, confrontés alors aux difficultés de la vie, ils regrettent leurs caprices d’aujourd’hui pour s’exclamer « ah ! si j’avais su ». Ils doivent être tous exemplaires par leur conduite, leur comportement à l’égard de leurs parents, enseignants et camarades.
Ils doivent pratiquer la courtoisie, l’assistance aux autres, le goût de l’effort et de la saine émulation.
Mais les élèves qui n’auront pas fournis de bons résultats, alors qu’ils en avaient les moyens, seront sanctionnés, tout comme les indisciplinés. Les vacances leur seront confisquées au profit de périodes de rattrapage, de production et de rééducation.
IV. ENSEIGNEMENTDE QUALITE = NECESSITE VITALE DE LA R.D.P.
Pour nous, éduquer un enfant sous la RDP c’est le former, le rendre utile à lui-même, à la société, c’est-à-dire l’aider à s’adapter, à se transformer, à s’améliorer au contact des situations nouvelles voulues ou imposées. C’est l’amener à savoir apporter sa contribution de travailleur conscient capable de juger et d’agir, de s’engager et de participer à la construction nationale avec le peuple.
Eduquer un enfant sous la RDP c’est former un partisan du peuple doté d’un sens de patriotisme, de civisme et de bonne moralité et apte à accomplir les tâches qui concourent au bonheur de son peuple. C’est former un homme conscient des responsabilités qui l’attendent, un formateur, un agent de développement.
L’éducation s’intéresse donc à l’enfant dans toute sa dimension physique, affective et intellectuelle. L’action éducative est permanente et le séjour à l’école n’en est qu’une séquence, mais une séquence très importante.
L’école doit certes apprendre à lire, à écrire, mais l’école doit surtout apprendre à l’enfant à compter, non pas compter ses doigts en rêvant, mais à compter sur ses propres forces.
Mettre un enfant à l’école c’est donc investir. C’est un investissement en argent, en temps et en espoir, et comme tel, il doit être rentabilisé. L’échec n’est pas permis, et s’il se réalisait après un investissement de plus de soixante milliards de francs[7], nous aurons failli à notre devoir vis-à-vis des 80% d’enfants qui n’ont pas eu la chance d’aller à l’école et aussi vis-à-vis des 20% d’enfants privilégiés immolés sur l’autel de notre démission et de notre irresponsabilité.
Nous apprécierons la rentabilité de notre système, non pas par les résultats d’une sélection à outrance, mais par les fruits d’une formation complète de l’enfant, telle que nous la souhaitons dans notre éducation. La qualité du niveau que nous recherchons ne saurait être le fait d’une forte sélection.
Tout en combattant l’enseignement au rabais, nous combattrons l’élitisme, solution de facilité et d’injustice qui nous ôterait le droit de nous dire serviteurs du peuple.
Les sanctions que nous infligerons n’auront pas pour but de condamner les fautifs à ne plus pouvoir se rattraper ou s’éduquer. Ce seront des sanctions graduelles et éducatives pour permettre à chacun de mieux se pénétrer de ses devoirs dans la société et de saisir l’occasion offerte pour redresser sa conduite.
Aux parents d’élèves défaillants, il leur sera rappelé avec fermeté que la paternité et la maternité sont des responsabilités. Celui qui produit un délinquant nuit à toute la société. Cette société-là a donc le droit d’interférer dans les relations entre les parents et leurs fils pour l’intérêt de tous.
Aux enseignants exemplaires, le temps, les moyens et le cadre seront trouvés pour leur donner la part de formation qui leur a fait défaut, que cette formation manquante soit technique ou relève des devoirs sociaux vis-à-vis de notre peuple. Les élèves eux aussi bénéficieront de cette même rigueur pour progresser.
Camarades,
Bien d’enseignants, de parents d’élèves et d’élèves sont méritants et irréprochable. Ceux-là, nous les connaissons aussi. Les propos que nous tenons ici, s’ils ne leur sont pas adressés, devront cependant rester pour eux stimulants pour les aider à persévérer dans la juste voie et à défendre leurs nobles vertus sociales, pour lesquelles ils ont jusque-là combattu inlassablement et seuls. Ils se réjouiront que l’appel que je lance renforce leurs rangs par d’autres hommes qui abhorrent la médiocrité et le vice.
Camarades militantes et militants de la Révolution Démocratique et Populaire,
L’une des tâches les plus urgentes à résoudre par notre Révolution sous peine de se retourner en son contraire est bien celle de l’éducation de nos enfants. Il faut apprendre à l’enfant à être d’abord et avant tout un être social, c’est-à-dire un homme et non un individu.
Il faut que l’école nouvelle et l’enseignement nouveau concourent à la naissance de patriotes et non d’apatrides. Mettre un enfant à l’école doit cesser d’être perçu comme un simple placement comptable, si tant est vrai que la transformation continue des sociétés qui incombe aux générations successives comporte des éléments quantifiables et non quantifiables.
Une telle mission dans toute la plénitude de sa noblesse, implique des tâches concrètes et des sacrifices qui nous interpellent tous. Si l’amélioration des comportements individuels est une solution à court terme, la restructuration totale de notre système éducatif nous semble être conforme à l’édification d’une société engagée dans une gestion planifiée.
Faut-il le rappeler, la victoire que nous devons gagner sera le fait des hommes. Développons la conscience des acteurs de l’éducation de nos enfants et le reste nous sera donné par surcroît.
Que n’a-t-on pas dit sur nos nouveaux enseignants dont les limites en pédagogie sont réelles et objectives !
Mais il est injuste de ne voir comme cause de la baisse de la qualité de l’enseignement que les enseignants révolutionnaires ou ceux du Service National Populaire. Parce que, même dans les écoles où les éléments du S.N.P. n’enseignent pas, le niveau baisse. Avant l’introduction de ces éléments dans le corps enseignant, le niveau baissait déjà. Dans beaucoup d’autres pays où n’existe pas le SNP, le niveau ne cesse de baisser.
Cessons aussi de pratiquer la politique de l’autruche en invoquant comme leitmotiv la réforme, car ce n’est pas tant la réforme que le sérieux, la rigueur avec lesquels elle est appliquée qui importent. N’oublions jamais que la prétention plus ou moins justifiée que nous affichons d’avoir été bien formés tient à la droiture, à l’abnégation, au goût du travail bien fait de certains maîtres dont nous nous souvenons, plus qu’au syllabaire ou à l’histoire de « nos ancêtres les Gaulois » que nous apprenions par cœur.
C’est une nouvelle approche de l’éducation que nous souhaitons aborder.
Nous ne sommes pas ici uniquement pour écouter et repartir. Chacun d’entre nous est ici en acteur et non en spectateur. J’invite chaque Haut-Commissaire dans sa province à organiser des meetings autour de la qualité de l’enseignement, afin de sensibiliser les militants autour de leur participation active à l’œuvre d’éducation. J’invite aussi les Inspecteurs d’enseignement, les Chefs d’établissements à organiser à leur tour des rencontre avec les enseignants pour débattre de la stratégie à mettre en place et des actions concrètes pour combattre les maux que nous avons dénoncés et raviver le niveau de conscience professionnelle, l’esprit d’initiative et de créativité. J’invite les CDR, les Conseils d’Administration Ministériels (CAM), les structures de l’Union Nationale du Burkina, de l’Union des Femmes du Burkina, les associations de parents d’élèves, à dégager les tâches qui sont les leurs pour l’amélioration de la qualité de l’enseignement. J’invite également les élèves à organiser dans leurs établissements des réunions autour de leurs responsabilités dans la baisse actuelle du niveau de l’enseignement.
Chacun d’entre nous, à partir de cet appel de Gaoua, devra entreprendre une œuvre de sensibilisation. A chaque niveau, une stratégie doit être élaborée pour rehausser le niveau en amenant chacun à jouer son rôle.
C’est une tâche permanente.
Camarades,
Il s’agit bel et bien d’une lutte politique. Avant-hier, le colonialisme, hier le néo-colonialisme et aujourd’hui l’impérialisme nous ont piégés. Ils ont créé malicieusement un cadre de corrosion de nos mentalités. Ils nous ont arrachés[8] d’un univers logique et harmonieux et nous ont poussés vers un monde qui, nous le savons, restera inadapté pour nous.
Cependant, dans la marche forcée qui nous est imposée par l’irrésistible séduction de la domination étrangère, nous perdons nos énergies pour avoir trop bandé nos muscles qui éclatent, nous perdons nos âmes pour avoir voulu n’être plus nous-mêmes. La jungle de la société capitaliste, sa philosophie d’injustice et d’exploitation de l’homme par l’homme créent pour chacun de nous les alibis, l’absolution anticipée, le blanc-seing du dédouanement. Alors nous voilà lancés à corps perdu dans la lutte égoïste pour des plaisirs qui ne constituent qu’une illusion de bonheur, et pour cela nous écrasons et notre prochain et les valeurs de notre peuple. Dans ce capharnaüm de mœurs dissolues, l’homme devient réellement un loup pour l’homme. L’horloge de la société se détraque, et le bon état de quelques pièces ne suffit plus à assurer un fonctionnement correct. Il n’y a plus d’obligation de qualité par la société, plus de discipline collective et individuelle pour y parvenir : la bête prend le dessus sur l’homme et le troupeau insensiblement remplace la collectivité des êtres pensants. Nos enfants naissant et grandissant dans un tel milieu s’exercent eux aussi à la vie débridée, à l’extinction des valeurs.
Camarades, enseignants, parents d’élèves et élèves,
C’est au prix d’une violence sur nos mauvaises habitudes et nos pratiques irresponsables, mais aussi d’une victoire sur nous-mêmes que nous remplirons notre mission historique de préparer une relève sûre et de former selon la morale et l’éthique révolutionnaire les bâtisseurs du Burkina Faso de demain.
La Patrie ou la Mort, Nous Vaincrons !
La retranscription et les notes ci-dessous ont été réalisées par Max Vernet. Nous avons retrouvé récemment ce discours mais n’avions guère le temps de le retaper, ce que Max Vernet a gentiment accepté de faire. Qu’il soit ici chaleureusement remercié.
[1] Gaoua est la capitale de la Province de Poni, capitale du pays Lobi, au sud-est de Ouagadougou presque à la frontière de la Côte d’Ivoire – note du transcripteur
[2] environ 15,25 millions d’euros ; il s’agit de francs CFA. ; 100 francs CFA =1 franc français = 15 centimes d’euro . – note du transcripteur
[3] environ 30,5 millions d’euros – note du transcripteur
[4] capitale du Yatenga, troisième ville du Burkina Faso à 200 km au nord-ouest de Ouagadougou – note du transcripteur
[5] texte original : « les » – note du transcripteur
[6] texte original : « du rendements méritants des… » – note du transcripteur
[7] environ 91,5 millions d’euros – note du transcripteur
[8] texte original : « arraché » – note du transcripteur
L’Appel de Gaoua sur la qualité de l’enseignement au Burkina Faso
Bonjour,
Il aurait été correct de signaler que ce discours est extrait du site http://www.thomassankara.net, permettant par là-même à vos lecteurs de pouvoir prendre connaissance d’autres discours de Sankara, tout aussi intéressants comme denombreuses interviews en consultant ce site.
Bruno Jaffré
L’Appel de Gaoua sur la qualité de l’enseignement au Burkina Faso
Vous avez raison ! Toutes nos excuses pour cet oubli.
L’Appel de Gaoua sur la qualité de l’enseignement au Burkina Faso
Le lien ci-dessus ne fonctionne pas. Le lien correct est :
http://www.thomassankara.net
L’Appel de Gaoua sur la qualité de l’enseignement au Burkina Faso
Merci de publier ce discours de Thomas Sankara. Je vous reviendrai pour vous proposer une intéressante analyse que j’avais faite sur les « discours éducatifs » de Thom Sank comparés à ceux de Blaise Compaoré.
Je profite pour signaler aux sympathisants de Sankara un court article paru à l’adresse suivante : http://webthemic.blog.20minutes.fr/
A bientôt !
L’Appel de Gaoua sur la qualité de l’enseignement au Burkina Faso
Comme promis, voici un court article : Thomas Sankara versus Blaise Compaoré sur l’éducation : http://webthemic.blog.20minutes.fr/archive/2008/03/14/thomas-sankara-vers-blaise-compaore-sur-l-education-1986-199.html
Bonne lecture. O.S.