La publication de la pétition La place des convictions philosophiques à l’école, dans n°18 du Drapeau Rouge, ainsi que le texte de Nadine Rosa-Rosso exposant les motifs de son refus de la signer, paru dans le n° suivant, continue de susciter des réactions de lecteurs et collaborateurs du DR. Voici de nouveaux éclairages susceptibles d’alimenter la réflexion sur un sujet sensible à l’heure où les thèmes du « choc des civilisations » et du « retour du religieux » suscitent interrogations et débats.
Nadine Rosa-Rosso va si loin dans la critique de cette pétition qu’elle va jusqu’à se demander – en titre de son texte – si le foulard islamique porté par les jeunes filles ne serait pas un outil « libérateur » et si leur foi religieuse ne contribuerait pas à « vaincre tous les obstacles sur le chemin de leur libération». Rien de moins.
Pour en arriver là, NRR semble fonder son opinion sur un grand malentendu puisqu’elle attribue à la pétition des positions et des présupposés tout à fait étrangers à son esprit. Ainsi, elle fait d’une pétition à caractère laïque et libertaire(1) une initiative d’intolérance et d’interdictions, donc assez facile à démolir et elle ne s’en prive pas. Or la pétition n’interdit aucunement aux jeunes musulmanes d’avoir des convictions religieuses ; elle n’interdit pas, non plus, aux élèves « d’exprimer la diversité de leurs convictions comme de leurs doutes », d’exercer leur droit au débat ni de porter un voile. C’est exactement le contraire. La pétition refuse, oui, qu’on fasse, dans les écoles, du prosélytisme religieux sous couvert de convictions. Elle n’interdit absolument pas aux filles de mettre un foulard, elle respecte ce droit privé inaliénable, mais elle demande, en retour, à ces mêmes filles de ne pas le porter à l’école et de faire ainsi preuve du même respect envers une institution censée rester neutre dans le domaine religieux. Nuance essentielle.
La pétition refuse également que les programmes d’enseignement de l’école publique soient soumis à la pression de forces obscurantistes et – et ne l’oublions quand même pas ! – politiquement réactionnaires. Ne pas accepter les exigences d’interdiction de la mixité dans les cours de gym ou de la lecture de certains textes ou de l’enseignement de la biologie, ce n’est pas faire preuve d’intolérance envers des convictions, mais de respect et d’attachement envers les valeurs de la mixité, de la culture et du savoir. La mission d’enseigner ne peut pas, ne doit pas, sous prétexte… de tolérance, transiger avec les pires formes d’intolérance !
Mais au-delà du morceau de tissu couvrant la tête des filles ou « des barbes naissantes sur le menton des garçons », c’est le tréfonds politique dissimulé derrière ce retour du fait religieux qui m’intéresse davantage. Et c’est là où se situe le vide le plus important du texte de NRR. Ou plus exactement un « demi-vide » puisque les seuls cités comme porte-drapeaux de l’opposition au « foulardisme » sont un député xénophobe français et un journal d’extrême droite, comme s’il n’y avait pas, ou ne pouvait pas y avoir, aussi un regard critique de gauche, voire marxiste, du problème. Comme si le fait, par exemple, que Le Pen ait dénoncé durement les bombardements de la Yougoslavie par l’OTAN, disqualifiait la lutte de la gauche radicale contre ce crime. Comme si ne devait pas être clairement établie la différence entre ceux qui critiquent le port du voile suivant leurs instincts autoritaires, voire racistes, lorsqu’il s’agit des immigrés en particulier musulmans, et ceux qui tout en se battant pour les droits des immigrés(2), en particulier des musulmans, ne traduisent pas cette solidarité en complaisance à l’égard des composants le plus obscurantistes de leur culture ; composants que la droite, le système dominant, a précisément mis en première ligne. C’est la raison de notre distance envers ceux qui, sous prétexte de revendiquer la liberté des jeunes filles de porter le voile, oublient les contraintes venant de leur entourage, notamment masculin, pour les obliger à le porter. Ils oublient aussi, ces amis féministes, cette suprême oppression qui consiste à attribuer, toujours aux mâles, la gestion sans partage de la visibilité du corps féminin(3). Le tout pour, finalement, les pousser à transformer un geste respectable d’adhésion à une croyance en un acte de prosélytisme qui va bien au-delà du religieux.
C’est pourquoi nous ne pouvons pas faire abstraction du fait que, dans la lutte idéologique et politique de notre temps, la manipulation des faits religieux est devenue un outil majeur de la mondialisation(4). L’Opus Dei reprend de la vigueur en Amérique latine, répondant à la mobilisation anti-impérialiste de ce continent ; les prédicateurs des sectes « made in USA » se multiplient comme des champignons ; le « créationnisme » anti-darwinien des prédicateurs états-uniens est un composant idéologique important des choix politiques de l’administration Bush et, comme l’affirme Hamit Bozarslan(5), qui n’a pourtant rien de marxiste, l’influence des idées de gauche au Moyen-Orient, notable à partir des années 50, va disparaître au bénéfice de l’islamisme qui deviendra le paradigme politique dominant de la région. En effet, si le Moyen-Orient des Ben Barka, Nasser, Ben Bella, les Baath et le Yémen d’antan, ne sont plus que des réminiscences nostalgiques, c’est en grande partie grâce à l’usage politique qui a été fait et est encore fait de l’islam. Lorsque Sadate, le Blair égyptien, prit la place de Nasser, une de ses premières mesures fut de libérer les Frères musulmans que ce dernier avait mis en prison pour protéger la révolution arabe. Sadate avait compris, lui, tels ses mentors américains, que ces frères-là étaient précieux, justement grâce à leur implantation populaire, afin d’anéantir ce qui restait du nassérisme et tout cela, bien entendu, au grand plaisir du sionisme qui préférera toujours d’avoir face à lui un Frère musulman qu’un Nasser, un Ben Laden qu’un Ben Barka.
Quelques années plus tard le géopoliticien de la guerre tiède, Zbigniew Brzezinski comprit à son tour que la meilleure façon d’ébranler le gouvernement du communiste afghan Babrak Karmal, qui avait, entre autres, promulgué une loi obligeant les filles d’aller à l’école et, comble des combles, nommé une femme comme ministre de l’Education, était d’utiliser des versets du Coran dans leur interprétation la plus régressive, de les imprimer par millions et d’en faire, avant les lance-missiles Stinger, l’arme de liquidation de l’expérience socialiste afghane. L’histoire continue aujourd’hui en Indonésie, au Pakistan, dans les Balkans, partout où cela est possible, y compris en Europe, où l’on perçoit un regain important de courants, pas seulement islamiques, d’une religiosité réactionnaire.
Face à tout ceci, nous croyons constater certains égarements, y compris à gauche. Dans les pages mêmes de ce journal, nous avions exprimé notre consternation de voir Hugo Chavez et Fidel Castro décréter trois jours de deuil national pour la mort de Jean-Paul II, une des personnalités le plus rétrogrades sur le plan idéologique et politique du siècle passé, protecteur de l’Opus Dei et artisan des efforts de transformation de la théologie de la libération en théologie de la soumission, la version « foulardiste » du catholicisme latino. Bien plus près de chez nous nous assistions, il n’y a pas si longtemps, à des alliances électorales entre le PTB et des organisations politiques d’immigrés à forte tonalité islamiste ce qui, à mon avis, reflétait la même confusion, la même ambiguïté dans le comportement politique. Des mouvements et des personnalités de gauche semblent être attirés par ce genre de proximité, soit par l’origine et la situation sociale de l’immigration, soit par une, me semble-t-il, mauvaise définition de la nécessaire lutte contre le sionisme.
En effet, ayant perdu son implantation dans « sa » classe ouvrière, ainsi que la sympathie des intellectuels et étudiants, déboussolée par la chute d’un certain mur dont elle a laissé le quasi-monopole d’analyse et d’interprétation à l’adversaire, la gauche radicale se retrouve quelque peu orpheline et tentée, dans sa déshérence, de chercher de douteux compagnonnages.
Pablo RODRIGUEZ
(1) Bien que non exempte de concepts ambigus, tel la mention des convictions « philosophiques », dont la présence dans ce texte n’a, à mon avis, aucun sens.
(2) Y compris, bien entendu le droit de vote, véritable terrain de travail politique militant.
(3) « Les fondamentalistes sont hantés par le corps de la femme. Ils fantasment sur les attributs féminins et occultent leur dimension humaine et intellectuelle ». Abdelmajid Charfi, directeur de l’Institut de sciences sociales de l’Université de Tunis, Le Monde, 12/10/07.
(3) Voir les déclarations d’Esther Benbassa, directrice de la section « religion » de l’EPHE (Sorbonne) ; Libération 3/11/07.
(4) Directeur de l’Institut d’études de l’islam à l’Ecole des Hautes Etudes en SS, Paris ; Le Monde 12/10/07.
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« Rallumer la guerre scolaire ? »
N. Rosa-Rosso craint que les initiateurs de cette pétition ne contribuent à « rallumer la guerre scolaire ». Mais elle ne s’est jamais éteinte ! Elle vit dans la privatisation rampante et systématique de l’école ; elle revit dans l’octroi grandissant des deniers publics aux réseaux confessionnels ; elle se prolonge encore avec le retour de prosélytismes religieux divers – dont le foulard est l’un des étendards aujourd’hui – au détriment de la neutralité et de la laïcité de l’école.
Louise GOTOVITCH
Croyance et intolérance
Comme N. Rosa-Rosso, j’ai été enseignant (en Algérie et à Schaerbeek)… Que je sache, le port du foulard est d’abord un acte religieux… et, par définition, la croyance religieuse, lorsque fanatique, implique intolérance. Les Libertaires et Voltaire (ni journalistes à Minute, ni maire RPR) l’ont déjà expliqué.
Alors, mesdemoiselles, si vos parents sont musulmans (car vous ne choisissez pas votre religion) et que vos parents et frères sont militants de leur foi ou ont peur du militantisme des voisins, vous, vous porterez ce foulard.
Claude DE PAUW
Le foulard : libérateur ou obscurantiste ?
Pablo Rodrigez souligne très justement que le parti marxiste léniniste le mieux implanté dans le combat politique et sociale, le Parti du Travail de Belgique, a noué -pour les élections fédérales de 2003- une alliance avec la « ligue arabe européenne » (présente en communanuté flamande sous le nom de RESIST) un parti islamiste, connu pour ses liens avec des partis islamistes très radicaux, voire violents du moyen orient…et nombre d’affinités avec des partis d’extrême droite européens, voyant dans le national-islamisme en vigeur au moyen orient un puissant mouvement anticommuniste et antiprogressiste, valeurs commune aux néo fascistes comme aux héritiers des talibans
Mais il y a un fait qu’il ne faut pas oublier: cette alliance a été réalisé alors que Nadine Rosa Rosso était secrétaire générale du PTB-PVDA, l’échec total de la liste commune et les remous provoqués à l’intérieur du Parti marxiste lui ont valu son exclusion…et quand on la voit hurler à la défense de l’affichage des convictions religieuses dans des espaces de formations,sous prétexte de taxation de lepénisme en cas de refus, le questionnement sur l’apprentissage que Mme Rosa Rosso a tiré de l’alliance avec le parti de Diyad Abhu Jahja est de mise
Pour ma part, étudiant à l’Ecole Normale de Nivelles en régendat sciences humaines, je n’ai aucune animosité ni rejet face à l’Islam et ceux pratiquant une religion née d’abord pour mettre fin au tribalisme alors meurtrier et inutile au Moyen Orient: l’unification grâce aux combats de Mahomet a permi à cette région, née du croissant fertile, de devenir un foyer de culture, dont les mathématiciens d’aujourd’hui ne seront jamais assez reconnaissant pour le développement qu’ils ont apportés à cette science plus que fondamentale
Mais là où il ne serait être question de remise en cause, c’est l’importance de la laïcité, aujourd’hui des plus malmenée par les certitudes de quelques oligarches dans le chemin qu’ils comptent faire emprunter aux peuple alors perturbé par la baisse générale du niveaux de vie. Comprenons bien, je ne vise nullement les personnes croyant et pratiquant la religion musulmanne, je parle ici de toutes les religions: nier Darwin n’est pas réservé aux personnes se faisant un devoir de se rendre à la Mecque durant leur vie, les abonnés aux nouvelles du Vatican sont parmi les premiers à contester cette théorie scientifique et-dans une visée plus large et non masquée- à critiquer toute pensée matérialiste
La laïcité n’est pas inscrite dans la loi belge et le déclin, provisoire, du religieux dans la vie intellectuelle n’est que résultat de la perte du sacré et la volonté de s’ouvrir à une pensée rationelle, mais qui peut garantir que, face aux coûts exhorbitants de la vie, bien des gens ne se laisseront pas reguider par ceux qui affirment ne jamais se tromper, puisque guider par « le père » « le guide » « l’être suprême »…?Les gens n’écoutent et ne raisonne que lorsque que leur estomac ne perturbe pas leurs réflexions par des sensations de manques continues, hors la paupérisation croissante de la population ne va pas dans un sens propice au développement du rationnalisme. Compte tenu de cela, il serait dangereux de donner libre chapitre aux solutions toutes faites que sont les religions
La lutte pour un enseignement laïc et tolérant, cela passe également par le respect des convictions…et quel respect se passe de limite?