Cette année, j’ai la chance de pouvoir faire un long voyage. Le premier et peut-être le dernier. L’an prochain, au mieux l’an d’après, je vais perdre mon emploi. J’ai besoin de décompresser après des mois de combat pour sauver les cours artistiques dans l’enseignement secondaire et la qualité de l’enseignement en général.
Repartir à l’aventure, le sac au dos, seul avec moi-même. Il y a si longtemps !
Mais quel pays choisir ?
En temps que musicien, je vibre pour le tango argentin, les musiques brésiliennes et « Buena Vista Social Club ». Comme j’apprends l’espagnol depuis deux ans sans avoir réellement l’occasion de pratiquer la langue, c’est l’occasion. J’irai donc dans un pays hispanophone.
Quelle année ! Une pétition de 40.000 signatures en trois mois, un dossier implacable, des centaines de lettres aux décideurs politiques pour les convaincre que la tournure que prend l’enseignement avec ce décret est dangereuse pour l’avenir de notre pays, des interviews, des confrontations avec le chef du cabinet… Nous avons été excellents. Malgré tout, les médias nous ont tournés en ridicule et la Ministre s’en sort grandie. Et du côté du cabinet c’est « cause toujours ». Ils sont habiles. Il n’y a plus de doute, on ne peut pas s’attaquer aux politiques et à la libéralisation des services publics. Ou plutôt, il ne faut pas attendre un soutien des médias dominants. La Finlande comme Cuba sont des modèles pour ce qui est de l’enseignement… Pourquoi ne pas s’en inspirer? Enfin, Cuba, je ne peux pas le prendre comme exemple. C’est une « dictature sanguinaire » et « le peuple n’attend que le départ de Castro ». Enfin, il parait… C’est ce que disent les journaux et donc mon entourage…
Mais alors, s’ils manipulent l’information pour notre combat, qu’en est-il réellement de Cuba ? Fidel va avoir 80 ans cette année. C’est l’occasion ou jamais de me faire ma propre opinion. Je ne veux pas mourir idiot. Et puis, en Argentine, c’est l’hiver.
Cuba…
C’est parti, l’adrénaline monte au fur et à mesure que je m’approche de Paris afin d’y prendre l’avion pour la Havane. Je suis parti pour un mois dans ce pays où je ne connais personne. Suis-je inconscient ? Bon, je n’y pense plus. Peut-être que ce voyage m’apprendra à être plus confiant en moi ou alors à ne plus jamais prendre de risques insensés.
Je vais me retrouver dans un autre monde et si je veux me faire une idée juste je dois impérativement mettre mes préjugés et mes valeurs occidentale de côté. Je ne peux pas comparer Cuba avec la Belgique étant donné que le pays est beaucoup plus pauvre.
La Havane ! D’abord je suspecte tout le monde de vouloir me soutirer de l’argent ou de me rouler. Avec mon budget de routard désargenté, je dois faire très attention. Je sais que cette attitude m’empêche d’être en contact réel ave les gens. C’est pourtant ça que je viens chercher. Il faut que je lâche prise. Un événement inattendu m’oblige à m’ouvrir. L’adresse de Mariana, l’amie d’une connaissance de Bruxelles à qui je dois remettre des cadeaux, est incomplète. Il y a bien le numéro de l’appartement, l’étage, le numéro de l’immeuble, celui des deux rues délimitant le tronçon où se situe l’édifice mais il manque celui de la rue elle-même. Sur le chemin, grâce à l’acharnement de quelques dames qui ont investigué pour moi, je me retrouve à destination. Pas un peso ne m’a été demandé pour les appels téléphoniques. Ca change des quartiers touristiques où tout est bon pour soutirer de l’argent. Finalement, il faut que je fasse la différence entre les actes intéressés et la serviabilité.
Mariana me parle longuement du système politico-économique de l’île. Tout est conçu pour donner la même possibilité à chacun. Leur effort est généreux et universel. Les étrangers qui veulent apprendre la médecine, et qui sont issus d’un milieu pauvre, peuvent également étudier gratuitement, à condition que, chez eux, ils travaillent dans le domaine social. Le peso cubano permet aux cubains d’acheter les produits de première nécessité. Le peso convertible donne accès aux produits « de luxe ». Certains services comme les transports, le cinéma, l’entrée du zoo…ont un tarif cubain, en pesos cubanos, et un tarif étranger, en pesos convertibles. Le tourisme est une priorité nationale car, avec l’embargo, c’est un revenu indispensable pour la survie du pays. Elle m’explique que le livret, qui lui permet d’acheter les éléments de base, café, riz, pommes de terre, viande, légumes, savon…, donne accès au strict minimum pour survivre et que le contenu est étudié pour apporter les éléments nutritifs nécessaires essentiels. De plus, la qualité est exemplaire. L’agriculture est biologique. Tous les matins, un employé apporte gratuitement un petit pain par personne. Les SDF n’existent pas et personne ne mange le contenu des poubelles. Il y a bien des gens qui les fouillent, mais c’est pour recycler les déchets ou pour trouver à manger pour les animaux.
Petit à petit, je me laisse aller. Les rencontres hors des endroits touristiques sont chaleureuses. Un ami m’a dit qu’il ne fallait pas parler de politique, que les gens n’aiment pas ça. En réalité lorsqu’ils me demandent pourquoi je suis à Cuba, je réponds inlassablement que c’est pour pratiquer la langue, ressentir la musique et connaître l’île avant que Fidel ne s’en aille. Immédiatement, ils commencent à parler de leur pays, de l’enseignement gratuit, des soins de santé de haut niveau et gratuit… La qualité de l’enseignement est impressionnante. En parlant avec des gens dans la rue, je suis forcé de me rendre à l’évidence. Dans une discussion, un homme fait référence à des moments de l’histoire de l’Europe. Je me sens gêné et complexé car je ne connais pas la moitié de ce qu’il me raconte. Alors que je m’en excuse, il me dit : « ce n’est pas à toi d’être désolé mais à ton gouvernement qui ne t’a pas permis de connaître ».
Dans un premier temps, je pense que cet enthousiasme est provoqué par la peur du régime. Mais lors d’une visite chez des amis d’Isabella, la nièce de Mariana, s’enflamme dans une discussion. Cette discussion résume bien toutes celles que je vais vivre lors de mon voyage :
Le fils qui doit avoir la vingtaine, est contre le régime et il le crie haut et fort. Il a des rêves américains. Il se rend bien compte que la pauvreté du pays ne lui permet pas d’accéder à ses rêves. Il a vécu avec les acquis de la révolution. Il ne se rend pas compte de l’importance sociale de ces acquis. Il estime que l’Etat devrait donner plus et me dit que Fidel, lui, mange à sa faim. Il est pourtant conscient que l’embargo américain appauvrit insoutenablement le pays.
Les parents et grands-parents par contre sont du côté du leader de la révolution. Il faut dire que les grands-parents ont connu la dictature Batista. L’époque où la Havane était le bordel des Etats-Unis, où l’Oncle Sam exploitait la main-d’œuvre à bas prix, offrant, en remerciement de leur dévouement, la malnutrition, la maladie et l’illettrisme. Lorsqu’ils abordent le sujet délicat du livret, ils parlent moins fort. C’est alors que j’apprends que le cousin de Fidel habite dans une maison voisine. Je ne peux pas le croire, dans un quartier si pauvre ! Cet événement, laisse à penser que d’un côté, le jeune critique à voix haute car il ne craint rien, alors que les anciens parlent à voix basse. Serait-ce les stigmates du régime Batista ?
Lorsque j’évoque la richesse de la nomenklatura cubaine, de concert, ils me répondent qu’il n’en est rien. Fidel vit dans une petite maison dans la 12ème rue et son frère, Raúl, vivait dans un appartement au dernier étage d’un immeuble. Aujourd’hui c’est sa fille qui y vit. En voyant ces endroits gardés par la police, je suis obligé de l’admettre.
Rosina, la dame qui m’hébergera pendant deux semaines, me raconte ses souffrances. Ses filles sont à Miami. Là-bas, les Cubains sont reçus comme des héros. Elle aimerait partir pour les rejoindre mais si elle fait ce choix, elle ne pourra plus jamais revenir à Cuba qu’en temps que touriste durant trois semaines par an. Ses filles sont les seules motivations pour quitter son pays. Elle me dit, et d’autres me le confirmeront, qu’elle peut aller et venir dans n’importe quel pays, sauf chez leur plus proche voisin du nord.
Quand je lui fais part de l’image que les gens ont du Lider Máximo, elle est scandalisée et me dit que nous pouvons aller rendre visite à une fille de Fidel qui habite à deux pas. Que je pourrais prendre des photos de son appartement, parler avec elle et voir combien tout ce qui se dit est faux. Je n’ose pas donner suite à son invitation. Je me sens gêné de mon voyeurisme.
Le soir, je suis invité à manger chez une amie. Son mari commence à me parler de la politique de son pays. Pour lui, il n’y a rien de bon. Il nie tous les bienfaits les plus évidents. Sa frustration est trop grande. Sa femme travaille dans un palace et côtoie les touristes les plus riches. Des stars, des chefs d’état, des industriels qui font étalage de leur richesse scandaleuse face à des employés qui survivent. J’ai passé du temps dans ce palace pour rencontrer des musiciens, et, cette débauche m’écœure.
Après une semaine dans la capitale, je m’éloigne des touristes et de leurs plaisirs futiles et sans le savoir, de mes préjugés. Je ne le sais pas encore mais c’est à 12h de bus de la Havane que je vais vivre le chamboulement le plus profond. Dans ce village, je suis le seul étranger et toute personne que je rencontre, m’accueille comme si je faisais partie de la famille. Finalement, alors que je pensais n’y faire qu’une escale, j’y reste deux semaines.
Anna est indépendante, elle a un commerce de vêtements. Son père est fermier et est propriétaire de ses terres. Je les imagine mal portant le régime socialiste dans leur cœur. Fin juillet, au moment où tout le monde allume le téléviseur pour regarder la « tele novela », une annonce tombe…LA nouvelle… Fidel est malade et remet ses pouvoirs. Première chose qui me frappe c’est la transparence de l’annonce. Après la lecture du document par le journaliste, le document, daté et signé, est montré aux téléspectateurs. Ca a jeté un froid. Tout le monde est sous le choc, triste. Le lendemain, les projets sont chamboulés. Les garçons sont rappelés à l’armée pour se préparer à l’invasion nord-américaine. Les femmes organisent des réunions pour se tenir au courant de la situation et pour se tenir prêtes, le cas échéant. La peur est justifiée. Bush a annoncé qu’il reviendra prendre possession de l’île. Le surlendemain, je constate que les ponts et autres points stratégiques sont gardés par l’armée. La tension dans le village ne dure pas mais la vigilance reste. La population est déterminée à défendre ses droits face à impérialisme. Même les jeunes qui critiquaient le régime sont prêts à prendre les armes. Depuis 59, la révolution contre la mainmise du capitalisme étasunien est toujours d’actualité. Elle est permanente et fait partie du quotidien. Tout le monde espère le rétablissement de Fidel. A la télévision, on voit des réjouissances à Miami organisées par la mafia cubaine qui n’attend qu’une seule chose, revenir prendre possession des richesses de l’île.
Admiratif de Gandhi, j’aurais été objecteur de conscience si je n’avais été réformé de l’armée. Que m’arrive-t-il aujourd’hui ? Je sens la rage me monter à la gorge face à l’injustice dans le monde. Ca peut paraître idiot, mais, d’un coup, je me sens prêt, moi aussi, à prendre les armes pour défendre la justice sociale que ce pays a pu imposer malgré la pression internationale.
La veille du retour, se déroulent les festivités du quatre-vingtième anniversaire de Fidel. Il y règne une ambiance bon-enfant. Les gens sont enthousiastes. Lors des messages de soutien émis par les artistes, le public réagit spontanément et avec force. Une partie du public est estudiantin. Mais beaucoup de gens sont des anonymes venus pour profiter du concert télévisé où se produisent de nombreux artistes connus. Un chanteur diffuse, en guise d’intro à sa chanson, un extrait du discours de Fidel suite à l’attentat contre un avion de passagers perpétré par la CIA. Le public, reprend à l’unisson et en cœur les phrases-clefs du discours. Je suis souvent allé dans des manifestations avec des gens convaincus et je n’ai jamais été témoin d’un tel enthousiasme.
Mon premier long voyage
J’ai passe six longues années a Cuba,cottoyant la population pour connaitre et maitriser les problemes leur concernant! Beaucoup,surtout de la nouvelle generation, se lamentent, accusent et mettent en cause cette Revolution faite par les pauvres et pour les pauvres. Comme l’auteur l’a si bien souligne, ils oublient que la vraie liberte est acquise quand tout le monde,pauvres et riches a plein acces a l’education et aux services de sante de maniere gratuite!!!
N’oublions jamais les bienfaits de cette Revolution et il est egalement pertinent d’exclamer haut et fort que Cuba(reference pour le tiers monde)est libre et souveraine car l’ile de Castro est le maitre de son propre destin.