L’Arrêt du Conseil d’Etat qui annule les circulaires portant instructions générales relatives aux certificats de bonne conduite, vie et mœurs imposées aux enseignants par les ministres libéraux de l’Intérieur, Antoine Duquesne (juillet 2002) et de la Justice, Marc Verwilghen (avril 2003) a généré une tempête de protestation sur les medias.
En effet, les JT des deux chaînes belges et le journal Le Soir ont diffusé une information à caractère sensationnaliste[[JT 10/02/2007]]. Certains journalistes n’ont pas hésité à constater que les enfants étaient « désormais en danger … La levée du « filtre à pédophiles » que constituait l’existence du certificat de bonne vie et moeurs … est consternante à plus d’un titre. »[[METDEPENNINGEN Marc, Enfants désormais en danger,Le Soir, Bruxelles 10/11 février 2007, p. 4]].
Claude Lelièvre, le délégué général aux Droits de l’enfant lançait sur le décès du certificat de bonne vie et moeurs une sorte d’épitaphe : « filtre à pédophiles »[[Id., Le « filtre à pédophiles » est levé.]] . Dans une lettre adressée à la ministre en charge de l’Enseignement Marie Arena, il alertait : « il faut restaurer un filtre, sans quoi nous allons à la catastrophe »[[Id. ]].
L’attitude ambiguë du cabinet de la ministre Arena qui « donne raison à Claude Lelièvre » et fait part à la presse de son « inquiétude face à cette situation nouvelle »[[Id. ]] est plus surprenante encore. Madame Arena réagit également et manifeste ses « préoccupations » à la ministre de la Justice. Le cabinet de la Justice avoue à son tour qu’« une réflexion est en cours » afin de « remédier » à la situation.
Quel tollé médiatique … autour d’une situation exemplative de rétablissement des droits fondamentaux. Situation rectifiée, par l’intervention de l’instance juridictionnelle administrative du pays. En effet « non seulement, le juge administratif annule la dernière circulaire réglant la matière des certificats de bonne conduite vie et moeurs mais, par la même occasion, considère que toutes celles qui sont intervenues en la matière sont illégales, …»[[Ligue des Droits de l’Homme, 16 janvier 2007.]].
Il est ainsi établi clairement que l’obligation faite aux enseignants, aux éducateurs et de manière générale aux candidats à un emploi relevant de l’éducation, de se soumettre aux enquêtes de police afin d’obtenir un certificat de bonne vie et moeurs, était illégale. Ces enquêtes n’ont servi par ailleurs qu’à stigmatiser de manière ignominieuse les enseignants et à instrumentaliser des techniques de contrôle social dans le cadre de logiques « sécuritaires ». En effet, de nombreuses questions sans aucun lien avec la protection de la jeunesse ont été posées par ces enquêteurs : « avez-vous un véhicule, quel est le numéro de votre plaque, quel est votre état civil, quelle est la situation de votre conjoint ? » Dans certains cas ils ont été jusqu’à demander de visionner des cassettes trouvées au domicile… Une enseignante qui avait refusé à l’agent de police chargé de l’enquête l’entrée dans son domicile a été consternée de lire quelques jours plus tard sur son certificat « modèle 2 », l’observation suivante : « ne respecte pas l’autorité ».
Dorénavant seul l’extrait de casier judiciaire pourra être demandé comme le prévoyaient déjà les articles 9 et 10 de la loi du 8 août 1997 ; dont on peut s’étonner qu’ils n’aient pas été appliqués avant cet Arrêt du Conseil d’Etat.
Nos ministres auraient-ils ainsi essayé de contourner l’application de cette loi, par de simples actes administratifs (circulaires) qui ne pouvaient nullement se substituer à celle-ci ?
Comme le stipule la récente circulaire 095 du Ministère de la Justice : « … Eu égard à l’arrêt du Conseil d’Etat du 22 décembre 2006, il y a lieu désormais de comprendre dans toute disposition légale ou réglementaire qui prévoit la fourniture d’un « certificat de bonnes conduite, vie et moeurs », qu’il s’agit dorénavant d’un « extrait de casier judiciaire ».[[Circulaire 095 du 2 février 2007 parue au Moniteur le 9 février.]]
Les faits objectifs reprennent enfin leur place essentielle et les présomptions de culpabilité sont écartées.
La plupart des faits de pédophilie se situent dans l’environnement immédiat des enfants. Toute volonté politique de résoudre ce problème en stigmatisant les enseignants est une attitude démagogique et absolument intolérable.
Plus d’une dizaine d’années après l’énorme secousse sociale produite par les faits criminels de Dutroux et consorts, la Belgique n’est pas encore parvenue à mettre en place des politiques de prévention contre les abus sexuels des enfants. De nombreux spécialistes de la question considèrent que « l’emballement médiatique » de l’affaire Dutroux a conduit « à braquer les projecteurs sur les abus sexuels commis hors de la famille. Alors que, selon des estimations concordantes, les abus sexuels intrafamiliaux représentent près de neuf cas sur dix… L’exploitation médiatique de l’affaire Dutroux a provoqué un double phénomène : un retour du silence sur les agressions sexuelles intrafamiliales et une suspicion généralisée à l’égard de tous ceux qui travaillent avec des enfants, au premier rang desquels les enseignants… »[[ROBIN Marie-Monique, L’Ecole du soupçon, les dérives de la lutte contre la pédophilie, Editions La Découverte, Paris 2006, p. 95.]]
Nos espaces de vie démocratique exigent de chacun d’entre nous la vigilance permanente afin d’éviter l’instauration progressive d’attitudes caractéristiques des régimes autoritaires. Nous ne pouvons que nous réjouir de la décision du Conseil d’Etat faisant suite au recours introduit par une enseignante vigilante à la défense des droits démocratiques et de l’aide et du soutien apportés par la Ligue des Droits de l’Homme dans la défense des droits fondamentaux.
Tomas ARMAS
Professeur à l’A.R. Crommelynck
et à la Haute Ecole Paul-Henri Spaak