L’œuvre de Paco Ignacio Taibo II présente deux visages : historien, il s’est imposé avec un égal brio dans le roman noir. Né en 1949 dans l’Espagne franquiste, d’un père lui-même écrivain (d’où le II qui l’en distingue), il accompagne ses parents dans leur exil mexicain.
Les amateurs de polars connaissent son détective privé, Hector Belascoaran Shayne, – Mexicain d’origine basque et irlandaise, la trentaine, anar et borgne (suite à l’une de ses (més)aventures), père et mère anciens résistants, frère syndicaliste – dans des enquêtes qui révèlent toujours le dessous des cartes politiques et sociales d’un pays gangrené par le néolibéralisme et la corruption. Cosa facil, Pas de fin heureuse, Quelques nuages …publiés en poche Rivages/Noir, Paris, sont les premiers titres d’une série qui ne cesse de s’enrichir. L’atmosphère qui enrobe ces récits est faite de petits détails, de notations subtiles, distillés avec maîtrise et légèreté. L’humour – l’autodérision – et la solidarité éclairent heureusement des tableaux plutôt moroses. Révélateur, cet avertissement : « Les faits relatés ici, de même que les noms des personnages, sont purement fictifs. Mais le pays, même si cela semble difficile à croire, est bien réel. »
Mais PIT II est avant tout un authentique historien, capable de plonger avec avidité dans les archives et de livrer à ses lecteurs de la vulgarisation historique de haute tenue. Nous lui devons une passionnante biographie, Ernesto Guevara, connu aussi comme le Che (disponible en poche – deux volumes – chez Métailié/Payot, Paris, 2001), évocation tout en sobriété et strictement chronologique de la vie d’un révolutionnaire bien loin des clichés romantiques. Bien sûr, ça se lit comme un roman d’aventure, tant la vie de l’Argentin fut fertile en rebondissements. Mais l’image d’Epinal vole en éclats : on découvre un homme, médecin et intellectuel de haut vol, ses traits de caractère, ses principes moraux, sa vision politique …
Avec De passage (éditions Métailié, Paris, 1995), Taibo II s’aventure pour son plus grand bonheur – et le nôtre – dans un genre littéraire hybride franchement assumé : c’est à la fois de l’histoire – Sebastian San Vicente a bel et bien existé – et de la fiction – les sources historiques le concernant sont à ce point lacunaires qu’elles laissent au romancier le soin de composer son tableau comme il l’entend. En une succession très rythmée de chapitres brefs et variés (articles de presse, télégrammes des services secrets, rapports de police croustillants, récits, témoignages, réflexions de l’écrivain, etc.), c’est la lutte d’un irréductible anarcho-léniniste qui se révèle : San Vicente, Basque exilé au Mexique, poursuit son combat syndical sans relâche et sans compromis. Adepte de l’action directe, il sera renvoyé sur sa terre natale, où il trouvera la mort, en 1938, en défendant la République.
Et puis il y a Archanges. Douze histoires de révolutionnaires sans révolution possible (éditions Métailié, Paris, 2001), douze récits que nous recommande Anne Morelli, à qui ils « semblent très stimulants pour la réflexion sur les héros pour notre temps ». Douze défaites peut-être, mais douze histoires de ténacité et de fidélité à une nécessité indomptable : combattre l’oppression. Ce livre est le fruit d’un long et patient travail, d’autant plus opiniâtre que ses personnages ne sont jamais les figures de proues des révolutions – russe, allemande, mexicaine, chinoise ou cubaine – où ils se sont engagés. Pas de Che, ici, ni de Lénine, ni de Luxembourg, Zapata ou Mao, mais des Larissa Reisner, Max Hölz, Adolf Abramovitch Ioffe, J.R. Escudero, Librado Rivera, P’eng P’ai … Il aura fallu des années à PIT II pour reconstituer leur vie à partir de bribes de sources éparses. Et tout son talent d’écrivain pour jongler avec des formes de récit originales et tenir toujours notre intérêt en éveil.