Depuis quelques semaines, le débat sur l’Ecole s’est centré, en France, sur la question de la carte scolaire. Même si la façon d’entrer dans ce débat a été souvent empreinte de démagogie politicienne, il se profile un vrai choix de société qu’il faut prendre au sérieux. Cette question suscite des inquiétudes chez les enseignants, les parents d’élèves les chefs d’établissements, les élus et les organisations syndicales. Elle fait réagir tous les acteurs de l’Ecole.
Les propos et les actions du président de l’UMP et de tout le gouvernement confirment la mise en perspective de la révolution conservatrice qui se construit depuis que la droite est revenue au pouvoir. Relisons la loi Fillon !
Pour 2007 le choix est le suivant : ou l’on s’oriente vers une société et une école de plus en plus inégalitaire ou l’on construit une société qui émancipe, humaine et solidaire. Ou on construit une Ecole éclatée à plusieurs vitesses ou l’on construit une Ecole qui offre une solide formation à TOUS les enfants de la république. Ou l’on construit une Ecole où l’objectif est de permettre pour tous l’entrée dans une culture de haut niveau ou le choix est de d’offrir pour une partie des élèves un socle minimum de connaissances, une formation au rabais, voire l’apprentissage dès 14 ans, ou l’on veut former des futurs travailleurs dociles ou alors on construit une Ecole qui développe l’esprit critique pour que la citoyenneté soit réelle.
On ne se bat pas pour réduire les inégalités mais pour considérer les inégalités comme inacceptables. Tous les élèves sont dotés d’intelligence et capables de réussir leurs études. Et pour se construire une véritable citoyenneté il faut permettre l’entrée dans la culture. Comme le disait Rabelais « l’enfant n’est pas un vase à remplir mais un feu à allumer ».
S’il nous semble que c’est une bonne chose que pour 2007 notre Ecole soit un élément important des débats et la carte scolaire en est un des aspects, on ne peut pas réduire cette question au raccourci suivant : supprimer ou aménager la carte scolaire, car il faudrait selon les propos entendus du côté de la gauche social libérale lever les tabous. La défendre relèverait de l’hypocrisie ? Que veut-on aménager ? Que veut -on réellement faire et dans quelle visée ?
Le problème n’est pas nouveau. Depuis une quinzaine d’années les gouvernements successifs ont permis à certains départements de déroger à ce principe d’abord à titre expérimental, expérience qui s’est inscrite dans la durée, sans aucune concertation ni évaluation. Cette expérience a débouché dans certains lieux à de véritables ghettos scolaires. Faut-il rappeler que lorsque la carte scolaire a été instituée en 1963, elle avait pour but de scolariser tous les enfants d’un même territoire dans la même école, collège ou lycée. Ce principe avait pour mérite de donner un fondement républicain réel au vivre ensemble et à l’appropriation par les élèves d’une culture scolaire commune. Pourtant l’acceptation d’un système concurrent que l’on appelle l’Ecole privée a vicié les choses. Les dérogations accordées aux parents connaissant bien le système a aussi été un élément de perversion. Une partie des classes moyennes a considéré comme handicapant de cohabiter et de faire étudier leurs enfants avec des enfants de milieux populaires.
Or face à un système vicié une réponse partielle ne peut pas résoudre sur le fond les problèmes posés. Si nous acceptons le fait que ce qui doit prévaloir ne peut en aucun cas s’inscrire dans une logique communautariste quelque soit la forme, si nous pensons que la ville, que les lieux de vie doivent permettre à toute la population de vivre ensemble quelque soit son origine sociale, sa religion ou ces modes de vie la Gauche antilibérale doit montrer plus d’exigence et mettre en débat une autre visée. Nous pensons que les valeurs de solidarité d’apprendre et de vivre ensemble, de véritablement mettre en partage les savoirs doivent conduire notre projet de transformation de la société française.
Cela implique pour le système éducatif de sortir de la logique de concurrence qui conditionne aujourd’hui l’ensemble des rapports sociaux. Pour en sortir il faut créer les conditions politiques et ce n’est pas la chose la plus facile quand on sait qu’un certain nombre d’idées dangereuses peuvent apparaître bonnes parce que relevant du bon sens ou considérant qu’il faut être réaliste et se rendre à l’évidence car le monde a changé et donc certains principes ou certaines valeurs relèveraient du passé. Aujourd’hui une partie des classes moyennes mais aussi des milieux employés et ouvriers scolarisent leurs enfants dans l’enseignement privé (environ 20%) car ils pensent que le service public n’est pas à la hauteur pour offrir à leurs enfants un enseignement de qualité. Là nous avons une entorse à la carte scolaire. La difficulté ne se règlera pas par l’injonction mais par le débat et la volonté politique de faire autrement.
Il nous semble donc urgent de donner de véritables moyens financiers humains et pédagogiques au service public d’éducation pour permettre à TOUS les élèves de réussir leur scolarité. Certes l’Ecole n’est pas un sanctuaire qui vivrait en dehors du monde, certes l’Ecole ne peut pas tout, cependant elle peut contribuer à élever le niveau général de formation et transmettre à toute une classe d’âge, un haut niveau de culture commune.
Doit-on alors considérer comme normal que des écoles soient réservées « aux bons élèves » et d’autres élèves seraient relégués dans des écoles ou des classes pour « faibles » ? Il faut faire grandir l’idée que les enfants de pauvres ne sont pas des pauvres enfants mais des enfants qui méritent un enseignement de qualité en dehors de toute logique d’apartheid social. Le contournement de la carte scolaire a souvent le fondement suivant : le mélange avec des enfants en difficulté va faire baisser le niveau général de la classe, de l’école et donc faire baisser le niveau de mon fils ou de ma fille. D’une part les difficultés scolaires sont souvent très corrélées à des difficultés sociales. Alors prenons des mesures pour éradiquer le chômage, proposer un logement décent et des conditions de vie au travail dignes d’un pays aussi riche que le nôtre (les entreprise du CAC 40 ont réalisé en 2005 la modique somme de 50 milliards d’€ de profits !). Refusons cette logique meurtrière pour l’Ecole et pour la société toute entière. Nous devons collectivement enseignants, parents chefs d’établissements, élus montrer que d’autres valeurs d’autres principes peuvent s’affirmer et gagner contre cette idéologie dominante qui prône sans cesse la compétition entre individus, entre établissements scolaires entre Etats.
Le peuple français a massivement exprimé le refus d’engager la France et l’Europe dans cette voie. Nous devons maintenant affirmer des valeurs et des principes qui construisent la fraternité et la solidarité pour une société où les individus s’émancipent ensemble et non les uns contre les autres.
Bernard Calabuig, membre de l’exécutif national du PCF chargé de l’enseignement et de la recherche
Daniel Rome, secrétaire national du réseau Ecole