Le marketing direct à l’école devient réalité

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Dans sa circulaire n° 1026 du 27 décembre 2004, la ministre-présidente Marie Arena rappelait opportunément l’interdiction des activités commerciales dans les écoles, en vertu de l’article 41 du pacte scolaire. Parce qu’elle laissait subsister certaines ambiguïtés, cette circulaire avait déjà été critiquée en son temps dans un communiqué de presse RAP/APED. Un an et demi plus tard, nos craintes se révèlent malheureusement fondées. Ainsi, avons-nous eu vent, fin mai, de la distribution à des élèves dans l’enseignement secondaire de « packs » contenant des échantillons des produits suivants (dont nous tairons les marques) : pour les garçons, une carte de GSM, un serre-tête publicitaire, une boite de céréales au chocolat, du ketchup, une cannette de thé froid ; les filles avaient en outre droit à un tampon hygiénique et à de la crème pour la peau.

Nous avons pu en savoir plus grâce à un élève (sagace) d’un athénée wallon où cette opération a eu lieu. On constatait d’abord qu’aucun signe distinctif ne figurait sur les boîtes en carton. Dans celles-ci se trouvaient des sachets frappés de la mention « college pack ». Dans ceux-ci, les échantillons, ainsi qu’une brochure du gouvernement fédéral intitulée « 20 questions sur la sécurité sociale ». Les sachets étaient séparés entre différentes catégories d’âge et de sexe (par exemple, « girls 14-16 » ou « boys 17-19 »). Non content d’avoir déjà donné son feu vert à l’initiative, le cadre de l’établissement y a aussi activement collaboré : avertissement officiel par les bons soins du chef d’établissement (« c’est un cadeau pour vous féliciter et vous encourager à terminer l’année » proclama-t-il dans les classes) et distribution des sachets par les éducateurs et éducatrices ! L’élève ajoute : « la majorité des élèves se partageaient entre indifférence et enthousiasme ; seule une poignée d’irréductibles se sont indignés, ou bien se sont simplement posé des questions. Quant aux enseignants, ils semblent avoir été tenus à l’écart de l’opération ». A l’origine de celle-ci se trouve la société belge Packtime, spécialisée dans le marketing direct, notamment « à destination du groupe-cible étudiants »(1).

Cette intrusion publicitaire dans l’Ecole n’a cette fois pas pris de détour. Explicite et tapageuse, elle est d’autant plus condamnable et dommageable. Primo, elle permet à des entreprises de prendre pied insidieusement dans les établissements par le biais d’un partenariat public-privé, constitué cette fois de la triade gouvernement fédéral/ entreprises/directions d’établissements ; on aimerait savoir quelle est la contrepartie, financière ou autre, pour ces dernières. Secundo, elle contribue à inoculer le poison consumériste à une audience captive, et à la fidéliser aux marques. Tertio, cette consommation sous la forme d’échantillons est particulièrement anti-écologique : des petites quantités de produits emballées sous plastique séparément et des cannettes, de surcroît livrées dans des sachets en plastique, cela génère une masse de déchets, dont la plupart ne sont même pas recyclables. Une manœuvre fort peu pédagogique quand on se rappelle qu’en 2005 s’est ouverte « la Décennie de l’éducation au développement durable », proclamée par l’ONU, une initiative que les divers états de l’Union européenne sont censés appuyer.

L’offensive mercantile passe résolument à la vitesse supérieure. Notons que ce qui vient de se passer est en contradiction flagrante avec la circulaire n° 1026, qui précise que « La distribution de colis, d’échantillons ou de dépliants publicitaires tombe bien sous le coup de cette interdiction. » (cf. supra). Le Ministère de l’Enseignement annonce qu’une commission de contrôle va bientôt voir le jour, probablement d’ici la fin de l’année(2). Signalons enfin que le gouvernement fédéral semble avoir négligé de prévenir le cabinet de Marie Arena de son implication dans cette opération commerciale à destination d’écoles francophones. N’est-on pas en droit d’appeler cela un dysfonctionnement institutionnel ?

Nous, membres de l’Appel Pour une Ecole Démocratique, de Résistance à l’Agression Publicitaire et de l’asbl Respire, demandons à la ministre-présidente Arena :
– de rappeler à l’administration son devoir d’interdire ces pratiques et de sanctionner les directions qui les ont autorisées, en attendant la mise en place de la commission ;
– de pouvoir faire partie de celle-ci.

Nous en appelons aussi à la lucidité et à la résistance des parents, des enseignants et des élèves face à cette offensive d’inspiration néolibérale, qui est en passe de créer un dangereux précédent.

(1) cf. www.packtime.be

(2) l’article 42 du Pacte scolaire prévoit que : « il est créé auprès du Ministère de l’Education une commission qui a pour mission d’examiner les infractions aux dispositions de l’article 41 et de proposer les mesures ou sanctions à prendre ». Ses règles de fonctionnement ont été définies dans l’arrêté royal du 14 septembre 1987.

2 COMMENTS

  1. > Le marketing direct à l’école devient réalité
    Quelques nouvelles de France sur le marketing à l’école.

    J’ai reçu en début d’année dans ma classe une proposition pour faire participer mes élèves à un concours. Cette proposition émane d’un groupe de boulangerie industrielle. En recherchant sur le net, j’ai constaté que beaucoup de collègues ne se posaient pas de question sur le sens de cette initiative intéressée.

    L’article qui suit tiré d’une publication de la mairie de Boulogne-Billancourt est édifiant :

    « Des grands chefs étoilés au Michelin, des élèves en tablier et des tartes aux pétales de tomates, au roquefort ou aux chips de poires… Le 16 mars, le Jardin d’acclimatation s’était transformé en cuisine pour accueillir les 20 classes sélectionnées parmi les 366 participants au grand concours national CroustiPâte, organisé par la société de pâte industrielle. Les 26 élèves de la classe de CE2 de l’école Point-du-Jour étaient au rendez-vous avec Stéphane Davy, chef cuisinier au Comtes de Gascogne. OEufs, tomates, champignons, jambon, reblochon : mardi 15 mars à 9h30, la salle de classe de CE2 de l’école Point-du-Jour se transforme en cuisine. Les 26 élèves s’affairent autour de cinq tables formées par leurs bureaux respectifs. Ils sont impatients, mais séparer les blancs des jaunes se révèle une opération bien délicate qui requiert l’utilisation de plusieurs oeufs. Qu’importe, l’enthousiasme est au rendez-vous. Comme le bonheur de vivre une aventure qui se terminera le lendemain, au Jardin d’acclimatation où sont conviés les gagnants des vingt académies pour la finale nationale du concours CroustiPâte. Au menu, tarte aux pétales de tomates. « Cette recette est l’aboutissement d’un travail scolaire basé sur la nutrition et l’équilibre alimentaire», raconte Frédérique Rizzo, l’institutrice. « J’ai expliqué aux enfants qu’il était important pour la santé de consommer des repas équilibrés. Avant d’arriver à cette recette, chacun d’entre eux a donné son idée et sa composition. D’un commun accord, et après les avoir goûtées, nous avons éliminé les tartes qui ont le moins plu, comme celle au saucisson sec, par exemple, et nous avons retenu celle qui paraissait la plus équilibrée.»
    La recette a été ensuite retravaillée et améliorée au Comtes de Gascogne – une étoile au Michelin et 17/20 au Gault et Millau – par
    cinq élèves tirés au sort. Grâce aux conseils et aux astuces prodigués par Stéphane Davy, le chef cuisinier, tout est devenu plus facile et, ce mardi 15 mars, la recette est au point. « Pour monder une tomate plus facilement il faut la jeter dans l’eau bouillante puis dans l’eau très froide », « Je sais découper les champignons trèsfins », « Il faut garder la pâte au
    frais le plus longtemps possible pour qu’elle soit bien ferme », « Je sais faire des chips de tomates. » Sous l’oeil attentif des cinq petits chefs- les élèves qui se sont rendus au restaurant gastronomique de l’avenue Jean-Baptiste-Clément -, les enfants mettent en pratique ce qu’ils ont appris. En fin de matinée, les
    tartes dorées à point sortent du four. C’est l’heure d’aller déjeuner. Mais aujourd’hui, ce n’est pas le menu de la cantine que ces enfants vont déguster. Lancé par la société CroustiPâte dans toutes les écoles primaires de France, ce concours, qui a pour objectif d’apprendre aux enfants à composer un repas équilibré et à éveiller leurs papilles, sera peut-être à l’origine du choix de carrière de certains enfants. »

    Fait intéressant : en 1996 déjà, donc 9 ans avant le concours en question, Croustipâte était à l’oeuvre dans les écoles comme en témoigne le lien suivant.
    http://www.lalettrealulu.com/n-5-6-ete,Recettes-Enfant-sandwich,-un-metier-d-avenir_a124.html
    Les ficelles étaient moins fines à l’époque.

  2. > Le marketing direct à l’école devient réalité
    Ne connnaissant pas du tout votre association, je viens de découvrir l’article sur le marketing à l’école avec beaucoup d’intérêt. En effet, ma fille de 15 ans fréquente le Collège Saint-Martin de Seraing, dont je suis par ailleurs très satisfaite, mais quelle n’a pas été ma surprise d’apprendre en cette fin d’année scolaire que des produits destinés aux soins intimes des filles-femmes avaient été distribués aux élèves ! Je m’en suis indignée auprès de ma fille, me promettant d’en parler aux responsables de l’école, mais l’occasion ne s’est pas encore présentée.
    Dans le même ordre d’idées, il y a déjà plusieurs années, mon beau-frère, responsable de gérants de la banque ING, a été invité à présenter une « information » sur le système bancaire belge, avec gadgets à l’appui évidemment, au Collège de Visé (dont je ne connais pas le nom complet) que fréquentaient ses filles à l’époque. Cela m’avait déjà choqué, mais j’étais bien la seule de la famille…

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