Combien de boîtes d’amandes enrobées de chocolat faut-il vendre pour financer l’éducation d’un enfant?
Le financement insuffisant accordé à l’éducation publique a contraint les écoles et les communautés scolaires à compenser cette situation par divers moyens : campagnes de financement au moyen de la sollicitation porte à porte, recettes publicitaires, marchés exclusifs de commercialisation ou encore obtention de dons ou de matériel auprès du secteur privé. Cependant, l’utilisation de ces méthodes a été observée, jusqu’à présent, de façon isolée.
La Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants, le Centre canadien de politiques alternatives et la Fédération des syndicats de l’enseignement (la FSE adhère à la Centrale des syndicats du Québec) ont décidé d’effectuer un sondage national afin de recueillir des données sur une gamme d’activités commerciales dans les écoles publiques élémentaires et secondaires du pays. Première du genre au Canada, cette étude nous permet maintenant d’avoir accès à des données fiables sur l’étendue de la présence commerciale dans les salles de classe et le niveau de dépendance des écoles à l’égard de sources de financement extérieures, qui prennent notamment la forme de publicité, de campagnes de financement, de frais d’utilisation, de partenariats et de parrainages.
Voici quelques‑unes des conclusions de l’étude (aussi comprises dans le rapport La commercialisation des écoles canadiennes : qui mène la barque?) :
– Environ un tiers des écoles, dont une plus forte proportion d’écoles secondaires que d’écoles élémentaires, ont rapporté la présence de publicité dans les locaux ou sur le terrain de l’établissement.
– Vingt-sept pour cent (27 p. 100) des écoles ont conclu un contrat exclusif de commercialisation avec Coca-Cola ou Pepsi-Cola.
– La majorité des écoles ont signalé l’imposition de frais d’utilisation pour un éventail de programmes et de services.
– Quinze pour cent (15 p. 100) des écoles élémentaires et 21 p. 100 des écoles secondaires ont déclaré vendre des services afin d’accroître leurs revenus.
– Les activités de financement sont courantes dans les écoles, l’argent ainsi amassé servant aux excursions scolaires, à la bibliothèque, aux programmes sportifs et à la technologie; 60 p. 100 des écoles élémentaires ont recours à ces activités pour acheter des livres de bibliothèque.
– Les écoles recueilleraient – par des campagnes de financement et d’autres moyens, dont les frais d’utilisation, les recettes provenant de la publicité, les partenariats et les parrainages – des sommes allant de quelques centaines de dollars à, dans certains cas, plusieurs centaines de milliers de dollars.
L’étude soulève des questions fondamentales au sujet des effets de la commercialisation et de la privatisation sur les élèves, le personnel enseignant, les écoles et l’éducation publique dans son ensemble.
Si les écoles et les communautés scolaires n’ont pas toutes la même capacité de recueillir de l’argent et d’attirer les bailleurs de fonds de l’extérieur, quelle incidence ces activités ont‑elles sur l’équité? Quels élèves dans quelles communautés ont accès à de meilleurs programmes grâce aux fonds privés, et lesquels n’ont pas cette chance? Quand les écoles se font concurrence pour obtenir du financement de l’extérieur (auprès d’entreprises et de particuliers), de quelle façon l’éducation en souffre‑t‑elle? Le temps et les autres ressources utilisés pour la collecte de fonds nuisent‑ils à la qualité de l’enseignement offert dans les écoles? Jusqu’à quel point une confiance excessive envers le financement privé érode-t-elle le pouvoir décisionnel des membres élus des conseils et commissions scolaires? Ce financement est-il assujetti à certaines conditions et, le cas échéant, quels en sont les effets? Qui veille à ce que les programmes et le matériel de cours fournis par des sources privées soient complets, exacts et objectifs? Lorsque les écoles dépendent de plus en plus de sources de fonds privées, qu’arrive‑t‑il si la situation économique devient instable, que la générosité des entreprises diminue ou que les parents sont incapables de recueillir autant de fonds?
La salle de classe est un milieu comme nul autre, fait qui n’a pas échappé aux spécialistes du marketing. Ces derniers le décrivent ouvertement comme étant un endroit idéal pour atteindre ce groupe de consommateurs et consommatrices dont l’influence ne cesse de croître – les élèves – que la loi contraint à fréquenter l’école cinq jours par semaine, six heures par jour, dix mois par année, jusqu’à l’âge de 16 ans. L’école est aussi un lieu où l’on fait une promotion implicite de produits, d’organismes, ainsi que de messages connexes.
L’éducation financée par les deniers publics, accessible à tous et à toutes et pleinement intégratrice, est une responsabilité sociale qui a été instituée afin de donner des chances égales à tous les enfants. Le financement de ce service public constitue une obligation pour les gouvernements qui établissent le mandat des écoles par l’entremise des politiques publiques. Toute source de financement non publique est donc susceptible de compromettre la capacité des écoles d’atteindre les objectifs qui leur ont été fixés.
Certains gouvernements provinciaux – ainsi que d’autres administrations – ont pris des mesures pour bannir des établissements scolaires les boissons gazeuses et la malbouffe dans une démarche pour améliorer la santé des enfants et des jeunes. D’autres ont décidé d’interdire complètement la publicité s’adressant aux enfants (au Québec, la loi défend aux entreprises de faire de la publicité qui s’adresse aux enfants de 13 ans et moins). Cependant, ces mesures s’inscrivent dans un cadre beaucoup plus vaste lorsqu’il est question du rôle de nos institutions publiques, en particulier des écoles.
Il faut se demander si les commentaires du gouvernement au sujet de notre engagement envers l’« économie du savoir » sont essentiellement rhétoriques, en particulier lorsqu’on tient compte de la dépendance grandissante des écoles à l’égard de sources de financement privées pour compenser l’absence de financement public adéquat.
La collecte de fonds n’est certainement pas une activité récente (pensez au nombre de boîtes d’amandes enrobées de chocolat que vous avez achetées pour soutenir l’école de votre communauté), mais les résultats de ce premier sondage national indiquent que la commercialisation des écoles a sans aucun doute franchi l’étape des ventes de pâtisseries et des loteries et revêt maintenant de nombreuses formes. Ils montrent également que les recettes de ces nouvelles campagnes de financement ne servent plus seulement à payer les voyages des orchestres d’école, mais bien à acheter des livres, des pupitres et, – croyez-le ou non – de l’équipement pour des salles de toilettes. Nous ne parlons plus de matériel superflu ou accessoire, mais plutôt de ce que la majorité d’entre nous considèrent comme des biens de première nécessité pour un enseignement de base.
(Winston Carter, président de la FCE, (613) 232-1505)
(Erika Shaker, directrice, Projet d’éducation du CCPA, (613) 563-1341, poste 310)
(Alain Pélissier, secrétaire-trésorier de la FSE-CSQ, (514) 356-8888)
> Lorsque les ventes de pâtisseries ne suffisent plus
Ravie de votre article. Je redécouvre l’école maternelle avec mon fils de 4 ans (j’ai un fils aîné de 18 ans) et suis stupéfaite de constater l’évolution de l’école publique en France, du moins à Paris. Des cours d’anglais sont assurés par le privé (moyennant 150 euros par an et par enfant de maternelle!) depuis 3 ans au sein de l’école après la sortie de 16h30, et ce alors que les maîtresses ont reçu une formation spécifique pour introduire les langues à l’école en maternelle. Je suis montée au créneau, mais même l’association de parents d’élèves à laquelle j’adhère (FCPE) au niveau de l’établissement, si elle trouve à redire au niveau central car cette pénétration du privé est en contradiction avec les valeurs de laïcité, de gratuité, de solidarité… qu’elle défend, laisse une grande autonomie de décision aux sections locales. Or, celle-ci considère en l’occurrence que la question ne mérite pas une telle opposition… Hélas, cet exemple n’est pas exceptionnel.
Par ailleurs, au lycée, l’abondance des publicités pour les cours privés s’accroît d’année en année dans les bulletins d’information diffusés par les associations de parents d’élèves… avec grand succès si l’on en juge la part très élevée de lycéens, au moins dans les séries scientifiques, qui suivent des cours particuliers en Maths et en Physiques.
Je pourrais aussi alimenter votre propos sur les sources de financement des établissements publics liés par exemple à la mise à disposition des locaux pour des manifestations ou le tournage de films… pour peu évidemment qu’ils présentent quelque avantage architectural ou historique… ce qui a pour conséquence de créer une concurrence inégale évidemment entre les écoles et de dédouanner l’Etat de ses responsabilités d’entretien en diminuant ses crédits d’entretien déjà trop faibles.
Cordialement. Françoise Rouxel