La «crise des banlieues» qu’a connue notre pays durant le mois de novembre a été l’occasion, ou le prétexte, pour le gouvernement d’annoncer la fin de la scolarisation obligatoire jusqu’à 16 ans, avec la possibilité d’aller en apprentissage sous contrat de travail dès 14 ou 15 ans, ainsi qu’une nouvelle réforme des zones d’éducation prioritaires (ZEP) qui renie toute ambition de transformation progressiste véritable de notre système éducatif. Certes, il est plus que jamais nécessaire de débattre des difficultés, des modalités et des conditions de la démocratisation de notre système éducatif et de l’accès aux savoirs, ainsi que d’opérer un bilan critique des politiques menées depuis trente ans. Mais ce qui nous est proposé aujourd’hui n’a rien à voir avec cela et relève au contraire du renoncement historique à cette ambition.
Une part de l’opinion publique et du monde enseignant est sans doute favorable à la possibilité pour des adolescents, en difficulté au collège, de quitter celui-ci dès 14 ans pour aller en apprentissage. Mais s’est-on demandé quels jeunes seront concernés en priorité par une telle mesure ?Les fils de ministres, d’avocats, de médecins ou d’enseignants montreront-ils la voie en ce domaine ? Une telle mesure est bien plutôt un moyen de délester le service public d’éducation des questions que lui posent la difficulté et la relégation scolaires et sociales, tout en brandissant l’argument du réalisme et de la prise en considération de la situation difficile qui est effectivement celle de trop nombreux jeunes d’origine populaire aujourd’hui au collège. Mais ce réalisme est un réalisme illusoire, et il y a pour le moins une énorme hypocrisie à présenter l’apprentissage précoce comme solution pour les jeunes des quartiers les plus paupérisés et les plus stigmatisés : comment peut-on croire ou laisser croire que ces jeunes, qui sont déjà les premières victimes de la discrimination à l’embauche ou pour trouver un stage lorsqu’ils sont élèves de l’enseignement professionnel, ne le seraient plus dès lors qu’ils auraient deux ans de moins ? C’est, en réalité, un réalisme du renoncement, au nom de l’adaptation à une situation urbaine, sociale, économique, culturelle et scolaire engendrée par une politique libérale qui organise la concurrence systématique entre les individus, accroît les écarts et «externalise» les exclus.
Chacun sait que l’apprentissage à 14 ans, ce sera l’orientation encore plus précoce vers des classes où l’on parquera, en attendant, ceux qui sont les premières victimes du fonctionnement élitiste et socialement inégalitaire de notre système éducatif, ceux qu’il faudrait, non pas chercher à séduire par des promesses illusoires, mais au contraire réconcilier avec l’étude, le travail et la culture scolaires. Chacun sait que cette mesure est aux antipodes d’une véritable formation, générale et professionnelle, et qu’elle témoigne d’un mépris détestable pour les métiers dits «manuels» qu’elle réduit à de simples tâches d’exécution, ne nécessitant qu’une formation scolaire au rabais. Chacun sait que le vrai courage politique ne consiste pas à «traiter» les problèmes par l’exclusion, mais à s’attaquer, le plus tôt possible, et donc dès les premières classes, à la genèse de l’échec et de la ségrégation scolaires. Non, l’issue n’est pas dans la politique du renoncement mais dans une politique qui rompe avec la gestion sociale de l’inégalité et de la ségrégation sociales et scolaires, qu’est devenue, au fil du temps, la politique «en faveur des plus démunis». Non il n’est plus possible d’accepter que, dans ce domaine comme dans tant d’autres la protection sociale et l’emploi en particulier , les hommes politiques qui nous gouvernent s’évertuent à transformer les victimes en coupables, à envoyer en permanence aux vaincus du libéralisme des signaux leur disant : «C’est de votre faute ! Vous n’aviez qu’à être du côté des vainqueurs !» Cette pensée qui bafoue l’idéal d’une république sociale est à l’inverse de ce qui permettrait à notre peuple de redresser la tête et de prendre sa place dans un monde solidaire. Faut-il rappeler, une nouvelle fois, qu’«une chaîne ne vaut que ce que vaut son maillon le plus faible» ?
Les mesures annoncées par le gouvernement concernant les ZEP participent ainsi, elles aussi, d’une détestable politique du renoncement. C’est tout d’abord l’annonce selon laquelle cette nouvelle «relance» des ZEP devra se faire à moyens constants, alors que tous les analystes de cette politique insistent sur la faiblesse des moyens qui lui ont été accordés. Annonce renforcée, quelques jours plus tard, au beau milieu des vacances scolaires, par celle d’une diminution de plus de 30 % des postes mis au concours en 2006. C’est ensuite la concentration quasi exclusive des mesures annoncées sur les collèges qui, d’une part, pourrait laisser croire qu’il n’y aurait pas de problème en amont, à l’école maternelle et élémentaire et, d’autre part, qu’il n’est pas nécessaire de s’attaquer aux processus de ségrégation sociale, urbaine et scolaire qui produisent la paupérisation et la précarisation croissantes d’une part de plus en plus grande de la population habitant ou fréquentant les quartiers et les établissements scolaires «de banlieue». C’est encore la possibilité donnée aux meilleurs élèves de ZEP de s’inscrire dans l’établissement de leur choix qui affiche, en creux, le peu d’ambition que l’on a pour les établissements qui concentrent déjà aujourd’hui, et concentreront encore plus demain, les élèves les plus «défavorisés» et, en particulier, évidemment, les lycées de banlieue qui vont se trouver de plus en plus ghettoïsés, bloquant plus que jamais l’ascenseur social qu’on prétend faire redémarrer.
C’est enfin l’accent exclusif mis sur l’individualisation des mesures et sur la volonté, affirmée aussi bien par Gilles de Robien que par Nicolas Sarkozy, de ne plus donner la priorité aux «zones» mais aux élèves. A ce moment encore, derrière une question qui mérite débat (faut-il privilégier une approche en termes de territoires, ou en termes de rapports entre le système éducatif et certaines catégories de population ?), se dissimule bien mal une volonté de renoncement à la transformation nécessaire de l’Ecole et de lutte contre toutes les formes de «fracture sociale». On voudrait nous laisser croire, en privilégiant une logique de traitement individuel, qu’il suffirait de mieux «adapter» les enfants de milieux populaires (à grands renforts de = soutien, de rattrapage, de parrainage, voire de culpabilisation ou de pénalisation de leurs parents) à un système éducatif dont le fonctionnement élitiste pourrait demeurer inchangé. Mais les enfants des «banlieues», ceux des milieux populaires posent au contraire, à notre société comme à notre Ecole, le problème de leur nécessaire transformation ; ils nous obligent à mieux penser et à mettre en oeuvre les conditions, sociales, économiques et scolaires de la démocratisation de l’accès au savoir et à l’exercice de la pensée critique. Perspective à laquelle tourne obstinément le dos ce gouvernement autiste, enfermé dans une logique du renoncement qui lui fait brader toute ambition pour l’Ecole et qui le conduit à promettre une scolarité au rabais à ceux qui auraient au contraire besoin, non seulement de plus mais de mieux d’Ecole.
Quand cette politique s’accompagne d’une multitude d’autres renoncements plus ponctuels mais tout aussi significatifs : abandon, en terminale, des travaux personnels encadrés qui permettaient la formation au travail de groupe et à la recherche documentaire exigeants, imposition aux professeurs d’école de la méthode syllabique au détriment d’un apprentissage progressif et critique de la lecture tout au long de la scolarité, présence dans les établissements de forces de police pour faire régner l’ordre alors qu’on refuse à ces mêmes établissements les moyens en conseillers principaux d’éducation et en cadres éducatifs, enseignement des «bienfaits» de la colonisation, réduction de l’éducation civique à l’apprentissage de la Marseillaise, etc., alors il n’est plus temps de s’inquiéter, il est urgent de chercher, par tous les moyens, à résister.
Samuel Joshua, université de Provence, Philippe Meirieu, université Lyon-II et Jean-Yves Rochex, université Paris-VIII Saint-Denis.
Ce texte a également reçu, entre autres, les signatures des enseignants, chercheurs et universitaires suivants : Chantal Amade-Escot, Jean-Pierre Astolfi, Anne Barrère, Elisabeth Bautier, Yves Chevallard, François Dubet, Marie Duru-Bellat, Sylvia Faure, Jacques Fijalkow, Dominique Glasman, Roland Goigoux, Jean Houssaye, Marie-Anne Hugon, Bernard Lahire, Alain Legardez, Claude Lelièvre, Gérard Mauger, Denis Meuret, Mathias Millet, Jacques Pain, Patrick Rayou, Françoise Ropé, Gérard Sensevy et Daniel Thin.
> Ecole : non au renoncement
bonjour,
je suis étudiant à l’université de lille 3 en master 2 recherche, et je me permet de vous écrire par cette intermediaire car je ne trouve pas l’adresse mail de bernard charlot ou de jean yves rochex.
en effet je voudrai les contacter afin de leur poser quelques questions au sujet du livre » Ecole et savoir dans les banlieues…. et ailleurs »
pourriez vous m’envoyer leur adresse mail s’il vous plait.
je vous en remercie d’avance et m’excuse encore de faire cette demande par ce biais là qui ne sert pas à cela
bien a vous
vincent girault
> Ecole : non au renoncement
c’est dingue je suis en face de cela comme d’autres personnes , je constate que c’est au grand tés grand jour jour , tout le monde à vu, de la terre au ciel, personne ne se lance, ou peu, par la peur du pouvoir des un et des autres , alors effectivement seul les intellectuels le savent, ou les » je veux savoir je ne me laisse pas faire » alors c’est foutu pour les autres , comment descendre cette info en bas !!!!
Chouette il n’y pas de pas reception, tranquil, pour ces acteurs je garde tout pour moi. A cela ajouter
ces parents de primaire, mal informés de surcroît content des exclusions cela les rassurent , ça laisse la place à leurs enfants un peu plus sages , mais ce qu’ils ne savent pas c’est que l’entrée au collège avec une de moyenne gle de 10/11/12, leur permettra de vivre la même chose mais un peu plus tard vers la 4 eme quand il est trop tard
le plus dur c’est vraiment de voir sa maison brûlée et de ne pas pouvoir appeler les pompiers, et en suite si …le pompier arrive la lance est trop courte, et là c’est bien sur trop tard
dans les grandes lignes ok mais il y a aussi les exclus très tôt non pas par leur niveau sociale , mais par leur différence, la plus grave c’est si votre enfant ne pas prend pas le même wagon que tous les autres au CP à cause d’un petit retard de lecture, ou d’écriture, la suite vous la connaissez….
nathalie
une mère avec encore un peu de courage, malgré ce surinvestissement grâce à ceux qui » c’est pas moi c’est lui » no comprendo, allez voir ailleur, j’en ai marre, nous n’y pouvons rien, etc………qui sont la majorité malheureusement