La Loi Organique relative aux Lois de Finances (LOLF) est la Constitution financière de l’Etat, elle est au cœur de la mise en œuvre de la décentralisation. La LOLF de 1959 a vécu, elle fut abrogée et remplacée le 1er août 2001. L’application de la LOLF de 2001 est programmée pour 2006, la réforme constitutionnelle relative à la décentralisation autorise sa mise en expérimentation entre 2004 et 2006.
(les parties en italiques sont des citations du rapport au ministre de l’éducation nationale d’avril 2005 : « L’expérimentation de la loi organique relative aux lois de finances dans les académies de Bordeaux et de Rennes »).
Fabius, alors Ministre de l’Économie et des finances et instigateur de la réforme avec le député Migaud, déclarait dans son discours de présentation de la LOLF au Sénat : « Quand, après une longue réflexion, on a décidé de franchir le Rubicon, on ne s’arrête en général pas pour goûter la température de l’eau. » ! Ce 1er août 2001, il faut croire que tous les journalistes faisaient les canards: nul débat démocratique ni dans la presse ni dans les hémicycles, la loi fut adoptée à l’unanimité des chambres où elle fut surnommée « la révolution silencieuse ».
Une révolution totale :
La LOLF de 1959 était fondée sur le principe d’une budgétisation par nature de dépenses (réparties en 848 chapitres) selon une obligation de moyens orientée vers des résultats à partir d’objectifs définis. A contrario, la LOLF de 2001 se présente dans une logique de résultat et de performance où tout budget doit être justifié au niveau local « au premier euro » pour remonter au niveau central. S’instaure alors une double notion contractuelle : verticale vis à vis du ministère, horizontale vis à vis du « client » que l’on ne peut plus, dès lors, appeler « usager ».
« Tous les acteurs du système éducatif vont être concernés dans l’accomplissement de leurs missions et dans l’exercice de leurs pratiques professionnelles, notamment pédagogiques … à partir de 2006, les services académiques et les établissements scolaires développeront leurs activités au sein d’une mission interministérielle « Enseignement scolaire ».
L’expérimentation dans les académies de Bordeaux et Rennes.
Avant sa toute première application au titre de la loi de finance 2006, la LOLF a été expérimentée dans les académies de Rennes et Bordeaux.
Les rapporteurs de l’expérience précisent ingénument que « le message a été partiellement brouillé : l’expérimentation de la LOLF a croisé, en effet, sur son chemin, dans les deux académies, la mise en œuvre de la stratégie ministérielle de réforme (SMR) et l’application, pour les moyens du second degré, d’un plan de retour à l’équilibre . » et ceci « En raison d’une articulation insuffisante au niveau central. »
Voici un bel aveu : ces trois mesures ne visant qu’à restreindre les dépenses de l’Etat et à détruire les services publics, appliquées de concert, ne peuvent dissimuler leurs noirs dessins.
Ainsi les rapporteurs regrettent qu’« une confusion s’est établie entre les trois démarches : elles ont été amalgamées. Leurs effets respectifs ont fini par s’emmêler dans l’esprit de certains ( partenaires syndicaux mais aussi cadres intermédiaires des services) qui en sont vite arrivés à la conclusion que tout était dirigé vers un seul but : les suppressions d’emplois . Pour eux, telle est apparue la visée première de la LOLF , alors que sa logique ne peut être ainsi réduite. Certes, elle est un instrument de maîtrise de la dépense publique et les gains de productivité dégagés n’y sont pas étrangers, mais elle est aussi un outil de réforme du management du système éducatif , notamment sur le plan pédagogique . »
Confiant en leur bonne réforme, les rapporteurs s’étonnent du rejet des organisations syndicales et des conseils d’administrations des établissements : « toute gestion par la performance est, par nature, jugée incompatible avec les activités d’enseignement ». De même « les élus des conseils d’administration , perçoivent, pour certains d’entre eux, la logique de la loi organique – la gestion par les objectifs et la performance – comme « un danger pour le service public », au sein duquel la concurrence et l’esprit de compétition pourraient finir par l’emporter au détriment des usagers. »
Qu’est-ce qui chiffonne dans la LOLF ? Une disposition incontournable et novatrice de finance publique qui a pour nom « la fongibilité asymétrique ».
La fongibilité asymétrique.
Dans la nouvelle LOLF, la répartition entre les titres budgétaires est désormais purement indicative ; les gestionnaires décident de la « répartition optimale » des dépenses, pouvant par exemple transformer des crédits de fonctionnement en crédits d’investissement et inversement : le gestionnaire (rectorat pour le secondaire ; IA pour le premier degré) possède une autonomie de gestion complète.
Mais tout n’est pas possible: la loi organique a posé une limite à cette nouvelle fongibilité; en effet, si les crédits de personnel peuvent abonder le reste du programme « les crédits ouverts sur le titre des dépenses de personnel de chaque programme constituent le plafond des dépenses de cette nature »(Article 7.II de la LOLF). La masse salariale est donc soumise à un plafond.
La loi de finances de l’année fixe en outre un plafond d’emploi limitatif par ministère dont les gestionnaires devront impérativement tenir compte.
Si les différents crédits peuvent donc être majorés par des crédits de personnel, l’inverse est interdit.
A contrario, un crédit de dépenses de personnel peut désormais abonder tout autre crédit : fonctionnement, investissement, remboursement de la dette.
Là est l’asymétrie dont le respect est assuré par un double verrou.
Exemples de fonctionnement de la « fongibilité asymétrique » :
Ainsi, dans l’académie de Rennes, « la priorité retenue a été d’affecter les économies réalisées sur la masse salariale , essentiellement produites par un sous consommation des crédits destinés aux assistants d’éducation et aux MI-SE, au désendettement des académies ».
« A l’intérieur du titre 3 (masse salariale), la fongibilité a été en quelque sorte anticipée par un gel préalable de crédits , débloqués et redéployés ensuite en gestion. »
« Les crédits dégagés par le jeu de la fongibilité asymétrique ont permis, d’ apurer à hauteur de 60 %, les restes à payer du service des examens et concours ».
« Dans l’académie de Bordeaux, les dettes accumulées sur les dépenses d’examen et concours ont été soldées grâce à la fongibilité asymétrique ».
Aussi est-il singulier de lire dans ce rapport la dénégation de l’utilisation de la fongibilité asymétrique des crédits : « Dans les établissements, une crainte irraisonnée commence à se répandre, celle de voir les crédits de rémunération , donc les postes, redéployés, dans le cadre de leur autonomie, pour financer des dépenses d’équipements (micro ordinateurs, photocopieurs ) ».
En l’occurrence, les économies réalisées sur la masse salariale à disposition des académies n’ont pas abondé des crédits d’équipement,… uniquement des dettes !
Mais, qui interdit une telle utilisation de la fongibilité asymétrique ? alors qu’elle est en nature faite pour restreindre la masse salariale dans un cadre de politique de restriction budgétaire.
Les rapporteurs n’ont qu’à consulter l’article de Sophie MAHIEUX dans la Revue Française de Finances Publiques (n° 76 – Novembre 2001), alors Directrice du Budget : Les crédits de personnel de chaque programme ne peuvent, selon une logique de « fongibilité asymétrique », être majorés par des crédits relevant d’un autre titre, mais peuvent, en revanche, abonder les crédits des autres titres : les économies réalisées en matière de dépenses de personnel pourront ainsi servir à accroître les moyens de fonctionnement, d’investissement ou d’intervention des administrations » .
L’aveu vient un peu plus loin dans le rapport : « la maîtrise de la masse salariale – l’une des contraintes forte de la loi organique – doit être assurée ».
L’expérimentation des académies de Bordeaux et Rennes n’a cependant pas été complète, la rémunération des enseignants s’effectuant jusqu’à présent sur le budget de l’Etat. Le regret point dans le rapport : « Le protocole d’expérimentation voit dans le pilotage et le suivi de la masse salariale « un enjeu particulièrement stratégique », compte tenu du poids (94 % des crédits ouverts) des rémunérations dans la section scolaire du budget du ministère de l’Education nationale, et « le principal levier de dégagement des marges de manœuvre ». Mais, il convient de rappeler que la masse salariale des personnels enseignants du second degré a été écartée du champ de l’expérimentation, ce qui limite d’autant les conclusions que l’on peut en tirer ».
Le « pilotage de la masse salariale » est le véritable enjeu de la LOLF, elle « se trouve au point de rencontre de deux cultures : celle des divisions de moyens qui comptent en emplois, selon une logique qualitative, et celle de la division budgétaire qui compte en euros. De plus en plus, ils ont le réflexe de rapprocher tout acte de gestion de son impact sur la masse salariale , préoccupation qui leur était totalement étrangère antérieurement. A terme, il faudra concilier la dynamisation de la gestion des ressources humaines avec le maintien des équilibres budgétaires. »
La gestion serrée de la masse salariale (faire mieux avec moins) impose un nouveau culte, celui de la performance et son évaluation.
Le culte de la performance :
Les articles 51 et 54 de la LOLF mettent en place des « projets annuels de performance » (PAP) auxquels répondent des « rapports annuels de performance » (RAP).
« Le projet annuel de performances de chaque programme précise la présentation des actions, des coûts associés, des objectifs poursuivis, des résultats obtenus et attendus pour les années à venir mesurés au moyen d’indicateurs précis dont le choix est justifié » (article 51 de loi organique).
Les rapports annuels de performances font connaître les écarts avec les prévisions sur les objectifs, les résultats, les indicateurs et les coûts associés et les autorisations d’emplois » (article 54 de la loi organique).
Dans la logique de « démarche de projet », « le Projets Annuels de Performances doivent normalement constituer le noyau dur du projet ».
Les rapporteurs précisent : « Tous les acteurs du système éducatif sont appelés à définir, à partir de 2006, leurs objectifs , assortis d’ indicateurs de résultats , en harmonie avec ceux fixés par la représentation nationale. Performance et résultat ne sont d’ailleurs pas vraiment synonymes . Le résultat est une donnée, la performance est la manière dont il a été atteint quel que soit son niveau. La loi organique est orientée vers la recherche de la performance ».
La recherche de la performance n’est pas autre chose que la recherche de « gains de productivité » du secteur privé, elle impose la mise en œuvre d’instruments d’évaluation.
Les « évaluations » régulièrement demandées aux enseignants ne visent qu’à inculquer une « culture de la performance » ; en croyant évaluer les élèves, les enseignants contribuent à évaluer le système « Education Nationale » et ses performances au travers d’un ratio coût/résultats. Les rapporteurs ironisent même en écrivant : « A l’instar de Monsieur Jourdain et de la prose, des équipes pédagogiques ne réalisent pas encore que les performances qu’elles mesurent à leur manière et spontanément relèvent du même esprit que celui de la LOLF . »
Le rapport de la Cour des Comptes d’avril 2003 constatait : « l’absence d’objectifs précis , des incertitudes constantes pour mesurer objectivement les résultats , une culture pédagogique trop souvent oublieuse des considérations financières n’ont pas contribué, c’est le moins que l’on puisse dire, à favoriser jusqu’à présent l’approche du système éducatif et de ses politiques par les performances réalisées . »
Le tort sera réparé avec l’application de la nouvelle loi organique !
Les IEN : le maillon faible !
« Le développement de la démarche d’évaluation requiert une intervention soutenue et continue des corps d’inspection territoriaux ».
Les rapporteurs déplorent que la « mobilisation (des IEN) est loin d’être effective ». Après un audit du corps d’inspection des deux académies les rapporteurs concluent que « A les entendre, on peut se demander à quoi servent alors les corps d’inspection. »
De toutes façons les IEN n’ont pas le choix : « la conception du métier d’inspecteur doit être enrichie avec les obligations de la LOLF »… malgré les résistances de certains.
Le corps des inspecteurs généraux est lui-même remis en cause : « Ces enjeux ne sont pas vraiment nouveaux. Mais, ils prennent une nouvelle ampleur avec la loi organique. Ils portent autant sur les méthodes , largement à définir, que sur les structures (pôle académique d’évaluation ) à bâtir et à positionner . Sur ces deux points, le débat est ouvert et la place et les missions des inspections générales dans le dispositif d’évaluation du système éducatif n’y sont pas étrangères : il les concerne aussi directement. La LOLF impose qu’il soit tranché, faute de quo i d’autres intervenants – extérieurs – pourraient remplir seuls la fonction. »
La menace est lourde, à la mesure des enjeux financiers !
Les rapporteurs concluent :
« la LOLF n’est pas qu’une simple reconfiguration de la nomenclature budgétaire . Elle est, tout à la fois, un instrument de maîtrise de la dépense publique et un outil de la gestion de la performance et de son évaluation . Elle induit un nouveau management du système éducatif et l’émergence corrélative de nouveaux métiers . »
d.bar
> LOLF-story : tout dépendra des indicateurs
Je comprend mal l’objet de ce billet, qui me semble regarder la LOLF par le mauvais bout de la lorgnette : celui des moyens alloués. A contrario, d’une certaine façon, ce billet dit à quel point la LOLF, avec son accent sur les résultats obtenu, était nécessaire…
Faut-il rappeller qu’on de met pas des élèves dans une classe pour le simple plaisir d’en … avoir le moins possible dans chaque classe ? ni, inversement, dans le but que chaque élève coute le moins cher possible ?
La LOLF, comme la langue d’Esope, peut être la meilleure ou la pire des choses, tout dépendra de l’usage qui en sera fait. Notamment, des indicateurs de la performance qui seront choisis.
L’esprit de la LOLF, c’est d’exiger des indicateurs de « qualité/prix », c’est à dire soit de qualité maximale à cout connu, soit de prix minimum à qualité fixée. Ce qui suscite plusieurs remarques
1) les indicateurs de moyens sont complétement hors sujet. Or, ils sont en bonne place parmi les indicateurs traditionnels (« nombre de classes ouvertes/fermées », « nombre d’élève par classe », « budget de l’éducatino nationale », etc.). A la place, il faut mettre en place des indicateurs de résultat, type « nombre d’élèves formés par € dépensé », et peu importe s’ils étaient 4 ou 40 dans la classe. C’est évidemment défavorable au corps enseignant et au ministère en général, puisque cela l’oblige à rendre des compte précis à la nation ; est-ce pour autant scandaleux ? non, bien sur, c’est même essentiel du point de vue de la chose publique (République), et c’est parce que cela a été trop oublié que l’éducation nationale est aujourd’hui attaquée.
2) même en utilisant des indicateurs de résultats, il y a des différences cruciales selon qu’on mesure, par exemple, le succès ou l’échec, le niveau atteint ou la progression effectuée, et qu’on tient compte ou non du nombre d’élèves. Ainsi, toujours par exemple,
* pour maximiser le taux de succès, il vaut mieux sélectionner à l’entrée ,
* alors que pour maximiser la progression (entre le niveau de départ et le niveau d’arrivée), la sélection ne sert à rien,
* et que pour minimiser le nombre d’échec, la sélection est contre productive.
Les indicateurs choisis seront asolument révélateur du type d’école qu’on veut mettre en place
: * les indicateurs de moyens sont, à mon avis, les pires, l’expression d’une école qui refuse de rendre des comptes (au risque d’être purement et simplement privatisée… et plus vite qu’on ne l’imagine), ou d’une école avare (au risque de ne plus remplir sa fonction, avec le même risque à terme, et pire encore : « l’éducation coute cher ? et bien messieurs, essayez donc l’ignorance … « )
: * les indicateurs de succès (à budget donné, ou à budget par élève donné) sont l’expression d’une école élitiste (y compris au mauvais sens du terme), qui favorise les élèves qui, dès l’entrée dans le système, sont les plus proches du niveau final
: * les indicateurs d’échec (toujours rapporté au budget) sont l’expression d’une école « intégratrice », qui vise l’apport à tous des connaissances de base (au risque de viser bas)
: * les indicateurs de progression sont, à mon avis, les meilleurs et les plus exigeant, applicables aussi bien aux plus défavorisés qu’aux meilleurs élèves.
Dans tous les cas, il importe de ne pas laisser l’administration proposer n’importe quoi, car cela se payera cher. L’année 2006 est absolument cruciale, de ce point de vue : elle sera l’année où les indicateurs proposé en 2005 seront validés ou redéfinis.
3) tout système d’indicateur finit par perdre sa pertinence, par le fait qu’il est toujours tentant et possible de jouer directement sur le « thermomètre » : l’exemple des statistiques de prix ou de chômage, manipulées sans vergogne par les gouvernements, est absolument représentatif de ce qui arrivera, sachant que cela arrive déjà (toute la querelle sur le niveau qui monte, selon les uns, ou qui baisse, selon les autres, n’a pas d’autre source que l’absence d’évaluation indépendante, ôtant tout crédibilité au ministère). Ceci non pas pour dire que les chiffres ne signifient jamais rien, mais qu’il est crucial de vérifier régulièrement l’adéquation entre l’indicateur et ce qu’on veut mesurer. Et, surtout, que la logique du système LOLF conduit à séparer (suffisamment) d’une part l’enseignement, et d’autre part l’évaluation, de façon à écarter la tentation de manipuler le niveau mesuré par l’évaluation…
4) les indicateurs LOLFiens seront forcément très agrégés : autant ils seront significatif au niveau d’un établissement, autant leur application brutale à un enseignant seul représente un danger. Ils devront être déclinés au niveau local, et cela est délicat. Là encore, la vigilance s’impose (par exemple, le salaire d’un enseignant croit avec son ancienneté, alors que le nombre d’élève dans sa classe et leur situation initiale ne dépent pas de lui : appliqué brutalement un ratio nombre d’élève / cout est absurde…).
5) le principe de la LOLF renforce la liberté pédagogique et modifie profondément le rôle des inspections. En effet, pour la LOLF, c’est le résultat qui compte (en l’occurence : ce que les élèves ont appris alors qu’ils l’ignoraient en entrant). Donc, à la limite, peu importe ce qui ce passe en classe. En revanche, il devient crucial de mettre au point des indicateurs pertinent, et de vérifier (sur le terrain, en classe) la pertinence des indicateurs utilisés. Avec, à leur base, le niveau des élèves, et donc le niveau des évaluations qu’ils passent.