Les données nullement encourageantes sur la qualité et les résultats du système éducatif espagnol, fournies par les récents rapports comme ceux de « Pisa 2003 » et « l’Espagne dans l’Europe des 25 » vont obligatoirement avoir une incidence sur le débat autour des nouvelles propositions du Ministère de l’Education.
D’une part, elles contredisent le discours optimiste qui apparaît dès l’introduction du document ministériel, lorsqu’il prétend se situer dans la continuité des supposés succès des précédentes réformes, et limite sa propre portée, à des retouches mineures de la « populaire » LOCE, à la récupération de quelques références idéologiques de l’ancienne LOGSE et à l’inévitable adaptation que, soi disant, exigent les permanents changements économiques et sociaux.
D’autre part, l’évocation des objectifs fixés par l’ Union Européenne pour 2010 qui, était en principe, une simple justification à la nouvelle initiative de réforme, peut alors jouer un rôle plus déterminant dans la dernière articulation des propositions. Si l’on doit reconnaître que les résultats n’étaient pas aussi bons qu’on le prétendait, s’il en résulte que les écarts avec les pays leader au lieu de se réduire augmentaient, il paraît évident, qu’au delà du « libre » débat national, les mesures finalement adoptées prennent plus en compte les conseils des institutions internationales qui, en définitive, fixent les véritables orientations.
On ne doit cependant pas se faire trop d’illusions, ni sur le caractère de cette intervention et ce contrôle externe, ni sur le sens que peuvent prendre les pressions afin d’obtenir un certain consensus entre gouvernement et opposition quant aux lignes fondamentales de l’action à mener.
Pour le moment, et sans la moindre honte, dirigeants politiques et « experts » en éducation, de l’extérieur comme de l’intérieur, se sont empressés de détourner leurs propres responsabilités vers un bouc émissaire plus à portée, le corps enseignant: sa « formation insuffisante » ses méthodes « rigides et obsolètes », son « manque d’adaptation » au monde actuel, etc, expliqueraient le faible niveau de nos élèves. Cette absence de la plus élémentaire autocritique et le manque de sérieux dans l’analyse des résultats et de leur cause, nous laisse deviner une très probable fuite en avant.
Ceux qui détiennent la responsabilité politique des actions ou de l’immobilisme dans l’enseignement pendant les vingt dernières années, ne semblent pas disposés à s’interroger sur leur propre gestion ni à affronter les problèmes structurels qui affectent l’état du système éducatif espagnol, en tant que résultat direct de leurs politiques successives. Aujourd’hui, notre système présente un degré élevé d’éclatement à cause du développement de cursus distincts et de l’autonomie des régions dans ce domaine; il souffre des séquelles néfastes dues à l’achèvement de la mise en place de la LOGSE et à sa manière particulière d’entendre la compréhension/diversité, en grande partie responsable de la détérioration rapide de l’enseignement public; il se trouve soumis à un processus de privatisation effréné aggravé par l’impulsion réactionnaire de la LOCE et il sera difficilement enrayé avec des mesures aussi partielles et sans consistance que celles qui sont présentées aujourd’hui.
Le même document, dans ses préambules et déclarations d’intention, nous offre suffisamment d’indices sur les intentions limitées qui l’animent. Selon la référence que Mme la Ministre fait dans l’avant propos (et élément récurrent dans tous les points de présentation de son document), les objectifs proposés par l’union européenne pour 2010 constituent l’horizon dans lequel doit se situer le nouvel effort réformateur. De façon mimétique, elle ne fait que répéter les clichés néo-libéraux en vigueur, inspirés par les forces économico-politiques qui agissent derrière l’UE, et dont nous connaissons les effets beaucoup plus prosaïques qu’il n’y paraît, et ce, pour les avoir analysés dans de précédents articles. Ils disent rechercher une meilleure efficacité des systèmes éducatifs (c’est à dire une soumission aux intérêts compétitifs de « l’économie de marché » ); ils parlent de développer des environnements d’apprentissage ouverts sur le monde extérieur (parce qu’au nom du marché du travail et des nouvelles technologies, on remet en question le maintien des espaces éducatifs actuels et leurs fonctions); ils disent parvenir à une meilleure cohésion sociale et promouvoir une citoyenneté active ( nouvel objectif prioritaire de l’école face à l’obsolète » transmission des savoirs »); tout cela, exige de mettre en place une stratégie commune dans l’éducation en déterminant des « valeurs » (en accord avec le système politique et économique dominant) et en introduisant l’idée d’une formation tout au long de la vie, se déchargeant ainsi sur les individus prétendument autonomes et ayant des chances égales, la responsabilité de leur propre formation et éventuelle employabilité.
Quand le document veut devenir plus persuasif, il affirme que le défi posé au système éducatif espagnol est de rapprocher ses « taux de diplômés » (et non pas un niveau de connaissances et de formation) aux ambitieux objectifs posés par l’UE pour 2010; atteindre des taux de 90% ayant le niveau de ESO, 85 % ayant effectué des études secondaires et 50% avec un niveau universitaire.
Des objectifs lointains eu égard à la situation actuelle, mais beaucoup plus accessibles si nous prenons en compte que les directives de l’UE, au lieu de proposer une meilleure formation pour un pourcentage de citoyens plus élevé, favorise de toutes parts une baisse des exigences pour les niveaux de diplômes. Par exemple : le débat sur l’accroissement de l’échec scolaire dans le primaire s’oriente vers une redéfinition, c’est à dire, une diminution des « objectifs minimum » (politique déjà en place dans la communauté de Madrid); l’enseignement secondaire centre son effort pour orienter un pourcentage le plus élevé possible de jeunes vers une formation professionnelle de base qui dispense une formation très faible et limitée. Les diplômes « supérieurs » aussi bien ceux de la formation professionnelle que ceux des licences universitaires (réduites au niveau des anciennes formations diplômantes laisseront entre les mains d’une petite élite économico-culturelle les coûteux cours de spécialisation et de masters, seuls titres réellement considérés comme véritable formation supérieure sur le marché du travail.
C’est dans cette même perspective que se situe la réforme française du ministre François Fillon, et qui est source de contestation au niveau social et universitaire. Nous soupçonnons que, grâce à des méthodes identiques, la réforme éducative de Bush aux Etats-Unis, mise en place en 2002, a obtenu en une seule année une « spectaculaire » diminution de l’échec scolaire d’environ 13%, pour atteindre dans certains Etats une baisse de 18% et jusqu’à 30%. Succès « miraculeux » parfaitement compréhensibles, si l’on prend en compte que cette réforme pénalise les budgets des centres scolaires ayant les plus mauvais résultats et les professeurs dont les élèves auront été le plus recalés. Il est évident, qu’une telle « réussite », si facile à atteindre avec un maquillage des résultats ou la simple diminution du niveau demandé, ne se trouve pas vérifiée dans le document « informe PISA 2003 » qui en étant élaboré grâce à des test de contrôle de connaissances et compétences, situe la moyenne obtenue par les Etats-Unis au 27ème rang sur les 39 pays considérés.
Il se pourrait que sur le chemin qui a été tracé, nous puissions atteindre de telles réussites pour notre système éducatif. Il ne s’agit pas de partis pris tendancieux et gratuits tant les raisons d’être méfiants sont nombreuses.
D’où sommes nous partis ? Les données statistiques
Avec l’abondante information que détiennent les différentes administrations, il faudrait exiger davantage de précautions et de rigueur au moment d’utiliser les statistiques et d’interpréter les phénomènes qu’elles illustrent. Si dans le cas contraire, ces administrations s’obstinent à « démontrer » les conclusions préalablement décidées, en laissant de côté tout scrupule, il ne manquera jamais de données, ramassées à la légère ci et là qui pourront être utilisées pour avaliser leur propre position. Dans les données sélectionnées par l’équipe qui a rédigé le « livre vert » du MEC il apparaît une utilisation biaisée des statistiques, non seulement quant aux données retenues et écartées, mais également par le fait que l’on compare ce qui n’est pas comparable, en occultant soit les types de population pris en compte dans chaque cas, soit les systèmes éducatifs de référence.
Par exemple, en aucune façon nous ne pouvons déduire – comme le fait le document- une amélioration des résultats obtenus en primaire en comparant les indices d’échec actuels, sur une durée de six années prenant fin à 12 ans, avec les précédents EGB, qui comprenait 8 années de cours et se terminaient – s’il n’y avait pas de redoublement – à 14 ans. Il est évident que si nous prenons la totalité de la population, au fur et à mesure que nous nous situons à un âge plus avancé et à un niveau supérieur de formation et de compétence, on augmentera le pourcentage de ceux qui – sous l’influence de différents facteurs sociaux, péripéties individuelles et inégalités produites par le parcours scolaire – n’atteignent pas les mêmes objectifs car les mécanismes correcteurs, n’interviennent pas dans tous les milieux. De même, il faudra donner quelque explication sur la baisse des taux d’aptitude (pourcentage d’élèves qui se trouvent dans le cours qui correspond à leur age) entre le primaire et la ESO en particulier dans le second cycle de cette dernière; cette baisse est supérieure à l’influence des facteurs précédemment cités. Les mécanismes de « passage automatique » inclus dans ces deux étapes jouent probablement un rôle.
Dans le même ordre d’idées, il faut signaler que l’augmentation ininterrompu de la demande éducative, traduite par un accès massif à l’enseignement secondaire et à l’université depuis les années 60 jusqu’à la fin des années 90, est un fait incontestable; un autre fait incontestable est le changement de tendance qui se produit lorsque le développement généralisé de la LOGSE arrive à son maximum et cette donnée, n’apparaît pas sur les tableaux retenus. Peut-être était-ce un objectif visé, puisque certains s’en félicitent, mais le recul du niveau de l’offre éducative ne devrait pas être camouflé dans un enchevêtrement de données qui veulent nous donner l’impression contraire. Par exemple, on ne peut considérer sur le même plan (pour illustrer le supposé progrès éducatif attribué aux réformes successives) l’indice d’obtention de diplômes actuel dans la ESO, et ceux de BUP et FP des groupes qui ont aujourd’hui entre 25 et 34 ans et qui à l’évidence ont obtenu leur diplôme avec le système précédent. D’autre part, ne devrait pas passer inaperçu le fait que le développement de presque 10 point de ceux qui complétaient le secondaire entre 1992 et 1997 ( dans la plupart des cas au sein de l’ancien BUP) passe à 1,6 points dans les cinq ans suivants(entre 1997 et 2002) avec le nouveau bac et la nouvelle FP (formation professionnelle). Il faut ajouter également, que malgré l’importante augmentation de la filière la moins qualifiée de formation professionnelle (cycle de formation de base) le pourcentage de jeunes de 20 à 24 ans qui ont complété un niveau de secondaire (63,4%) nous place en queue de peloton dans l’Europe des 25 seulement devant Malte et le Portugal.
Il n’est pas non plus très sérieux d’afficher, sans aucune précision complémentaire, que le nombre de diplômés universitaires a doublé en 20 ans, en ne prenant pas en compte le fait que certaines formations comme (droit ou les nouveaux enseignements) n’avaient pas été comptabilisées précédemment. Mais il apparaît encore plus étonnant que l’on ne fasse pas allusion aux données qui indiquent une diminution continue depuis la fin des années 1990 du nombre d’universitaires et du pourcentage d’élèves qui après avoir obtenu le bac (certes avec une dominante des options les « plus faciles »), se présentent à la PAU, avec un écart croissant entre ceux qui y arrivent en provenance du privé ou du public.
Comme nous pouvons le constater, il est possible de relever des données très différentes et en tirer des conclusions également divergentes. Mais dissimuler ou embellir la réalité sur laquelle on prétend agir en y apportant des « améliorations », implique d’avance, non seulement une mystification bien ou mal intentionnée, mais les bases certaines du prochain échec, déjà programmé.
Le Leitmotiv de la « qualité »
Au delà des motifs généraux évoqués précédemment, la nouveauté des propositions que l’actuel MEC propose au débat, s’appuient sur deux objectifs fondamentaux : atteindre de meilleurs niveaux de qualité et d’équité, comme principes indissociables et faire en sorte que cette amélioration soit le fruit d’un effort partagé par toutes les instances sociales (« qualité entre tous et pour tous » est le slogan).
L’acharnement enthousiaste pour faire apparaître comme fil conducteur permanent, l’amélioration de la qualité de notre système éducatif nous laisse pour le moins perplexe, car il s’appuie sur les allusions à cette qualité que font les lois éducatives successives, sans pour autant aller jusqu’à l’analyse et les évaluations des résultats réels. D’autant plus que pendant toutes les périodes réformatrices depuis 30 ans, il apparaît comme constant et même théorisée, une supposée incompatibilité entre les exigences démocratiques d’accès à l’éducation et l’assurance d’une garantie de qualité pour tous.
De toutes les manières, nous nous autorisons une lecture différente quant aux apports des réformes dont parle le texte et leur contribution à la situation actuelle;
Déjà la même LGE de 1970, qui dut faire face à l’augmentation de la demande éducative d’une société au développement accéléré, afficha un acharnement particulier à articuler des mesures restrictives (raccourcissement de l’enseignement secondaire, orientation d’élèves vers une formation professionnelle dévaluée) et sélectives (épreuve pour l’accès à l’université, numerus clausus dans certaines universités).
Bien que l’on ait voulu nous présenter la LODE comme la loi de la « démocratisation » du droit à l’éducation, sa portée réelle a été de donner une existence légale au double réseau (public et privé) et, de garantir la continuité des intérêts privés et confessionnels, hérités du précédent régime, au travers de subventions et de la reconnaissance de la liberté d’enseigner, – entendue comme « libre choix du centre scolaire -. La démocratisation des centres scolaires a connu le même sort, non seulement les centres privés (où aucune formalité n’empêche l’employeur – directeur d’imposer ses quatre volontés), mais également dans les centres publics, où les « conseils d’école » sont parvenus à annuler la participation effective de toutes les composantes de la « communauté scolaire » dans le cadre de leur compétences propres, surtout, en privant de tout pouvoir réel les assemblées de professeurs.
La LOGSE consacra le Titre IV à ce qu’elle nommait » facteurs de qualité ». Hormis le constat international d’une situation dégradée rapportée par le précédent et le nouveau « Informe Pisa », situation que les professionnels de l’éducation avons constaté et dénoncé jour après jour, les facteurs de qualité mentionnés par la LOGSE ont été des plus virtuels. La formation des enseignants, après avoir été réduite à une simple « formalité » méritocratique, apparaît, selon ce qu’ils affirment à présent et après temps de temps comme « la » matière en suspens (?). Les ressources qu’ils disaient « indispensables » pour mener à bien les supposés avantages des réformes ont été chaque fois réduites (absence de loi de finance, diminution du %age de PIB pour l’éducation,..). Les mesures défendues pour » renforcer l’orientation, l’inspection et l’évaluation du système » ont, à notre connaissance, seulement servi à auto-justifier le système lui même et sa complexité bureaucratique qui persistant dans les erreurs, a mis tout son zèle à faire pression sur les centres et les professeurs, pour un accomplissement sérieux des objectifs « politiquement corrects » en esquivant les problèmes et le véritable échec.
Grâce à la LOPEG, et à ses très nombreuses mesures de « modernisation et amélioration » de la gestion éducative, on renforça l’autonomie des centres pour favoriser une offre différenciée et compétitive dont ont besoin les actuelles actions de privatisation et de création de « marchés éducatifs », et on initia la voie vers la « professionnalisation » des équipes dirigeantes, chaque fois plus éloignées de tout contrôle démocratique depuis les assemblées de professeurs (pratiquement disparues) jusqu’à l’ensemble de la communauté scolaire.
Quant à la LOCE, qui usa et abusa du mot « qualité » pour justifier l’introduction de plus d’inégalités dans le système éducatif, elle se voit critiquée dans le nouveau document pour des divergences de terminologie dans la mise en oeuvre de la précédente LOGSE, qui ont peu de chose à voir avec ce que les deux lois mettent en réalité en avant. Son erreur, consisterait semble t-il, à insister davantage sur l’acquisition de connaissances que sur l’acquisition de talents et d’attitudes(?), où à souligner l’effort exclusif de l’élève (?), alors que les deux lois favorisent l’obtention d’un diplôme élémentaire avec un plus faible niveau de connaissances et de formation, comme par exemple les mécanismes de séparation/sélection de l’effectif scolaire qui attribuent l’absence ou la diminution généralisée de perspectives à la seule et « libre » décision des élèves, « naturellement » différents.
Face à cette évaluation particulièrement bienveillante des résultats obtenus par les différentes réformes que fait le document, l’expérience très différente dans les salles de cours, les taux réels d’échec et d’abandon, la mise à l’écart de quantité d’élèves aux différents niveaux de formation montrent un tour d’horizon très différent. Si les précédents obstacles sélectifs, ne furent pas à même d’empêcher un accès croissant et massif a l’enseignement secondaire et à l’université, avec la mise en place généralisée de la LOGSE et les mesures inéquitables successives introduites par le gouvernement du PP, on a effectué un changement de cap. La baisse accélérée des niveaux demandés et de la formation (en particulier dans le secteur public) laisse un nombre croissant d’élèves sans possibilité de continuer une formation au niveau supérieur, tel que le révèle l’affluence vers des sorties de moindre qualification et la diminution des élèves niveau baccalauréat (surtout scientifique); il en est de même avec la baisse des accès à l’université en particulier pour les cursus les plus plus exigeants. Un processus général de dé-qualification qui est jugé par certains comme facteur de progrès et « d’accès à la dignité » de la formation professionnelle (tellement maigre et aléatoire, qu’elle obligera à la « formation tout au long de sa vie »). Tout cela constitue une avancée vers la privatisation du système éducatif, car la dégradation des cours proposés par l’enseignement public amène vers le secteur privé les familles et les élèves qui aspirent à un certain niveau de perspectives et auto-alimente ainsi l’accroissement de la dynamique de sélection et d’inégalités.
Davantage d’équité ?
Malgré le coup de bambou reçu avec les résultats fournis par Informe Pisa, les responsables de l’éducation se saisissent de la donnée « positive » concernant le degré d’équité attribué au système éducatif espagnol. Ils oublient de préciser que cet indicateur concerne seulement l’écart par rapport à la moyenne du pays considéré; dans notre cas, il n’est pas très prononcé, en partie parce que nous obtenons les moins bons pourcentages d’élèves situés au niveau de l’excellence. C’est à dire qu’une interprétation plus pertinente peut mettre l’accent sur un phénomène moins complaisant mais plus proche de ce que nous venons d’observer dans les classes; Le « nivellement » se fait par le bas.
De toutes les manières, les intentions affichées dans le document ministériel d’obtenir de meilleurs niveaux d’équité finiront très probablement en eau de boudin, tant que se maintiendront des « oublis » fondamentaux au niveau du point de départ, qui conditionneront le résultat réel de toutes les mesures annoncées.
En premier lieu, on ignore le niveau d’éclatement de notre système éducatif, non seulement à cause des réseaux de cursus scolaires toujours plus différenciés par le type d’élèves qu’ils scolarisent et par les origines sociales prédominantes dans chaque centre scolaire, mais également par les écarts entre les régions; cet ensemble, creuse les inégalités entre les citoyens d’un même Etat au regard du droit démocratique et fondamental à l’éducation. De plus dans le texte, on en vient à exalter « la liberté d’élection comme droit et la pluralité comme valeur » ( expression qu’applaudira la droite néo-libérale), réitérant le soutien à un type d’autonomie des centres qui laisse envisager un ensemble d’offres et de demandes éducatives chaque fois plus différent.
En second lieu, la sous-estimation et l’occultation de l’échec scolaire (et surtout, sa scandaleuse répartition sociale), attirent notre attention sur le fait qu’on n’envisage pas de trouver un remède efficace aux problèmes fondamentaux qui frappent notre système éducatif. Il n’y a pas d’objectifs crédibles ni de solution aux carences si l’on ne s’impose pas au départ un diagnostic précis de la réalité. Le travail minutieux sur l’échec scolaire à la fin du ESO qu’a réalisé notre Collectif sur la commune de Madrid, sa répartition entre le réseau public et privé, et par zone avec différents niveaux de revenu, nous offrait un spectre beaucoup plus inquiétant de ce que les autorités académiques prétendent faire passer. Les taux d’échec supérieurs à 35% en grande partie dans les centres scolaires publics des zones à la périphérie de Madrid et des grandes populations ouvrières (certains centres dépassent largement les 50%) démentent formellement tout optimisme et exigent des mesures plus sérieuses que celles qu’envisage le « Livre vert » présenté au débat.
Finalement, le renoncement à tout mécanisme de contrôle et de garantie sur les objectifs proposés à chaque étape et niveau d’enseignement, en dit long sur le type « d’équité » que peut proposer le système. Effectivement, l’absence de preuves générales à la fin de chaque étape avec un caractère de diagnostic et d’homologation, permet et encourage – comme c’est déjà le cas – une grande variation des écarts des niveaux de formation atteints dans les différents réseaux et centres scolaires; limitant en conséquence, les opportunités réelles de beaucoup d’élèves pour continuer leurs études et qualification. Curieusement, et contre tous les principes appliqués tout au long du long parcours qui s’achève à la fin de l’enseignement secondaire, on maintient l’épreuve de sélection finale qui donne l’accès à l’université. Quelle cohérence y a t-il derrière tout cela ?
Une préoccupation sincère pour l’équité. devrait conjuguer tous les efforts afin d’assurer les mêmes conditions de qualité (équipements ressources humaines, etc..) dans tous les centres éducatifs des différentes zones et communes; en apportant plus de moyens là où il existe des besoins plus importants, avec une volonté de compenser les inégalités de départ. Ainsi nous pourrions parler, non pas d’une égalités des chances dans notre société, mais d’un réel engagement des pouvoirs publics pour garantir à tous les citoyens un véritable droit à l’éducation.
Responsabilité et effort partagé
En partant de la critique de l’axe idéologique de la LOCE, centré semble-t-il sur l’effort personnel de l’élève, sur la diversité de ses options et de ses réussites individuelles (propre au concept libéral qui fait de l’individu le seul responsable de son destin), les nouvelles Propositions affichent clairement la co-responsabilité de tous les agents intervenant dans la mission éducative. Louable propos, si au delà des généralités et des voeux pieux, on abordait la définition des engagements concrets des parties en présence.
En ce qui concerne les familles, il serait souhaitable, que toutes se préoccupent des études de leurs enfants; qu’elles collaborent au quotidien, avec eux et avec l’école à la tache éducative, qu’elles les aident à créer des habitudes de travail et de discipline, qu’elles… un long et cetera, qui dépend davantage des conditions de travail, sociales et culturelles que des demandes insistantes – en rien nouvelles d’ailleurs – que peuvent leur présenter les enseignants et les autorités éducatives. On obtiendrait une meilleure efficacité en exigeant des responsabilités partagées précises en cas d’absentéisme, ainsi que dans les situations qui nécessitent des appuis extra-scolaires, lesquels ne peuvent aboutir sans l’implication de tous les responsables qui peuvent et doivent assumer leurs responsabilités de par l’engagement familial et social contracté. D’ailleurs, surabondent les invitations réitérées aux parents pour qu’ils participent davantage à l’orientation, la planification et la programmation de l’ensemble de l’activité éducative; celle-ci doit se dérouler dans les centres scolaires puisque les décisions dans cette enceinte relèvent des pouvoirs publics – en tant que responsables et garants de l’éducation des citoyens – aux enseignants – en tant que professionnels de l’éducation – et, dans tous les cas, aux organisations citoyennes mises en place pour défendre les intérêts collectifs, et dans ce cas, pour exiger et contrôler l’accès au droit à l’éducation pour tous.
Les soi-disant « responsabilités partagées » ne peuvent en aucune façon se transformer en paravent qui occulte les responsabilités majeures et déterminantes qui incombent aux administration publiques (gouvernement central, régions, départements, communes, …). Elles ont la charge officielle et les compétences pour édicter les lois, ainsi que les décrets, les ordonnances et les dispositions qui permettent leur application; elles fixent les contenus des enseignements et déterminent les budgets, les ressources et les priorités; ce sont elles qui désignent les personnes et compétences, et qui disposent en même temps de systèmes comme le service des inspections pour la mise en place ou non des mesures décrétées, leur interprétation et leur application concrète.
Bien entendu, l’acteur principal du travail quotidien dans la classe demeure l’enseignant. Mais son travail s’exerce dans le cadre d’un système établi, dans des cursus donnés, avec les moyens -ou non- mis à disposition, avec des élèves plus ou moins « différents » qu’on lui impose, avec des conditions d’enseignement souvent insupportables, sous des pressions sociales multiples et les plus concrètes celles des parents, directeurs et inspecteurs, bien souvent plus intéressés par la sauvegarde des apparences que par la résolution des problèmes et la garantie d’un enseignement de qualité.
En aucun cas n’est acceptable la démagogie cynique qu’affichent les responsables politiques et sociaux face au processus de destruction de l’enseignement – en particulier public – en désignant comme « coupable » le corps enseignant qui a directement subi, avec les élèves, des conséquences de tout ce délire réformateur.
Après la succession plus ou moins proche d’expériences visant la détérioration du système d’enseignement public, il est indispensable que les nouveau responsables de la politique éducative abandonnent la rhétorique et les exercices d’illusionniste, s’ils aspirent avoir une certaine crédibilité. Pour être pris au sérieux, il devraient pour le moins partir d’une prise en compte réaliste de la situation actuelle et affronter avec le courage nécessaire les problèmes les plus graves sans esquiver les responsabilités des précédents gestionnaires et celles qu’ils doivent assumer de toutes parts.