S’il faut reconnaître un mérite au Contrat pour l’Ecole de Marie Arena, c’est assurément la lucidité de son constat de départ. A vrai dire, celui-ci était devenu incontournable. Les enquêtes PISA ont dévoilé au grand jour ce que les enseignants du secondaire stigmatisent depuis quinze ans : la baisse généralisée du niveau des apprentissages et le fossé croissant entre les établissements scolaires, en fonction notamment de l’origine sociale des élèves. Quant à l’efficacité des réformes pédagogiques (la dite « approche par compétences ») sensées remédier à ce double problème, les consultations des enseignants en 2003 et 2004 ne laissent guère subsister de doute. Le Contrat pour l’école reconnaît d’ailleurs qu’elles sont généralement jugées « négatives » et que les nouveaux référentiels qui les accompagnent manquent cruellement de lisibilité.
Ce double constat aurait pu constituer un excellent point de départ pour une réflexion critique et constructive sur l’enseignement en communauté française. La baisse du niveau révélée par PISA pouvait clairement être mise en lien avec l’appauvrissement des exigences cognitives dans les programmes. Quant à l’impuissance d’une décennie de pédagogie dite « de la réussite » à limiter les mécanismes de ségrégation sociale, elle démontre a contrario que ceux-ci ne découlent pas des pratiques pédagogiques, mais bien de facteurs structurels désormais identifiés : les filières hiérarchisées, le quasi-marché scolaire à la belge (encore appelé « liberté d’enseignement ») et les conditions matérielles (encadrement, locaux, matériel didactique…). Avec un peu de bonne volonté et de réflexion, nous aurions pu aller vers une réforme salutaire : révision des programmes dans le sens d’une clarification et d’une structuration des savoirs, remise en cause des filières et des marchés scolaires, introduction progressive d’un véritable tronc commun jusqu’à 16 ans, amélioration des taux d’encadrement, afin de permettre une pédagogie de la remédiation systématique…
Hélas ! Le Contrat pour l’école vient d’emblée enterrer ces espoirs et noyer la clarté du constat initial en redéfinissant le problème par l’énumération de « quatre difficultés », à savoir : la faiblesse des apprentissage de base, les taux d’échec élevés, les différences entre établissements et l’orientation par choix négatif. Si personne ne contestera le bien fondé de chacune de ces quatre difficultés prise isolément, l’ensemble constitue néanmoins une vision fortement réductrice du constat initial. Premièrement, quand un élève de 5e professionnelle est incapable de situer l’Afrique sur une mappemonde, ce ne sont pas les « apprentissages de base » (au sens où l’entend Mme Arena : lecture, écriture et calcul) qui sont seuls en cause ; cela témoigne au moins autant de lacunes immenses au niveau des programmes et/ou de leur respect. Deuxièmement, l’échec scolaire (redoublement, sortie du système sans diplôme) est un signe et une conséquence de l’échec de l’école. Mais il n’est pas identique à cet échec. La véritable « difficulté », une fois de plus, c’est l’échec des apprentissages. Troisièmement, le caractère hiérarchisé des filières d’enseignement ne se résout pas en substituant une sélection « positive » en lieu et place de l’orientation par l’échec. Cela peut, au mieux, éliminer le sentiment d’échec qui accompagne aujourd’hui cette réorientation ; mais cela ne peut pas éliminer la nature hiérarchisée des filières. Celle-ci découle des perspectives professionnelles et sociales attachées à chaque filière, de la nature des savoirs qui y sont enseignés et de la discrimination sociale dans leur recrutement.
Bref, ces « quatre difficultés » évincent le rôle crucial joué par les programmes dans l’atrophie du niveau de compétence de nos élèves et le rôle tout aussi crucial des conditions structurelles et matérielles dans l’inégalité sociale à l’école.
Aussi, lorsque le Contrat pour l’Ecole en vient aux mesures proprement dites, c’est la consternation. La montagne accouche d’un souriceau monstrueux.
De révision des programmes, il n’en est pas question ! Autant dire qu’on abandonne d’emblée l’objectif même de relever le niveau.
En matière de lutte contre la dualisation des filières, on abandonne pratiquement l’idée, pourtant fort timide, d’un tronc commun jusqu’à 14 ans. C’est là une concession incompréhensible envers l’idée (malheureusement fort répandue chez les enseignants) qu’une « bonne sélection préalable » serait la condition d’une hausse du niveau. Il suffit pourtant d’examiner les systèmes éducatifs des pays nordiques pour constater combien cette thèse est fausse : là bas le tronc commun dure jusqu’à 16 ans et pourtant ces pays affichent les résultats moyens les plus élevés dans tous les tests internationaux. En maintenant les jeunes dans un tronc commun de longue durée et ambitieux, on favorise les apprentissages des plus faibles sans pour autant affaiblir ceux des meilleurs élèves. Dans le Contrat, il n’est question que « d’orienter efficacement » et de « choisir et apprendre un métier à l’école ». En d’autres mots, sous couvert de les rendre « positifs », on renforce les mécanismes de sélection et on creuse le fossé entre les filières générales et les filières de qualification. Cette dernière s’orientera progressivement vers la modularisation, l’alternance et une « approche métiers », sous la houlette d’une CCPQ (Commission Communautaire des Professions et Qualifications) où le pouvoir du patronat aura été renforcé. Qui peut sérieusement croire Mme Arena lorsqu’elle ajoute, en passant, que tout ceci se fera « tout en développant chez le jeune les compétences nécessaires à l’exercice de son rôle de citoyen actif et responsable » ?
Il faut dire qu’une prolongation du tronc commun aurait été condamnée par avance, tant les mesures visant à combattre l’échec scolaire sont faibles : il n’y aura pas de moyens matériels et humains pour organiser de l’étude dirigée, des cours de mise à niveau pendant les congés ou des rattrapages systématiques. Chacun sait pourtant que c’est de cela qu’on a besoin. Mais chacun sait aussi que cela coûte cher. Alors on fait semblant de ne rien savoir et on prévoit des « expériences pilotes » jusqu’en 2008. En espérant un miracle d’ici là ?
Certes, on pourrait se réjouir du passage à 20 élèves par classe dans les deux premières années du primaire. C’est un pas dans la bonne direction, mais quel pas microscopique ! Les 25 millions d’euros qui y seront consacrés ne doivent pas faire illusion : ils ne représentent qu’une croissance de 1,9% du budget de l’enseignement fondamental. Or, l’étude américaine STAR, pourtant citée par le projet initial de Contrat stratégique, a montré qu’il faut descendre à 15 élèves par classe en début de primaire pour réduire de moitié l’inégalité due à l’origine sociale. Cela nécessiterait un effort budgétaire… cinquante fois supérieur à ce qui est fait aujourd’hui ! Quant on sait que l’ensemble du coût de ce Contrat ne représentera, à l’échéance 2012, qu’une augmentation de 0,87% des dépenses d’enseignement de la Communauté française, on comprend que Mme Arena ait prudemment retiré l’adjectif « stratégique » du titre de son projet…
Quant à l’indispensable combat contre les marchés scolaires et à la dualisation des établissements, il se réduit à bien peu de chose dans le Contrat qui nous est proposé. Tout au plus peut-on parler de mesures visant à éviter les dysfonctionnements flagrants (refus d’inscription sans motif valable, exclusions abusives), des timides programmes de recherche et des épreuves d’évaluation externes (une bonne idée qui peut cependant devenir dangereuse si elle ne s’accompagne pas d’une limitation des mécanismes de marché). C’est pourtant là, dans cette caractéristique si typique de la « liberté d’enseignement » à la belge, que l’on attendait les mesures les plus urgentes : attribuer à chaque établissement une zone de recrutement prioritaire (et donc à chaque enfant une école où il sera prioritaire), en créant des zones socialement hétérogènes, en y organisant efficacement le transport des élèves. On aurait même pu espérer voir lancé ce projet courageux : inviter l’enseignement libre à abandonner son caractère confessionnel (le PSC l’a bien fait !), afin de se fondre progressivement avec l’enseignement officiel en un seul et unique réseau public d’écoles implantées dans leur environnement local. Ainsi les parents pourraient enfin abandonner leur statut de « clients » pour devenir des citoyens, c’est-à-dire à la fois des usagers et des acteurs du service public d’enseignement auquel ils confient leurs enfants.
Le ministre qui aurait lancé une idée aussi audacieuse aurait peut-être connu un échec à court terme. Mais il serait entré dans l’histoire comme l’initiateur d’une réforme qui, un jour ou l’autre, s’avérera inéluctable. Marie Arena vient de rater cette occasion.
> Contrat pour l’Ecole : une occasion manquée
Cher Nico.Faire porter à Marie ARENA le chapeau du Contrat pour l’école me parait excessif, pour ne pas dire plus. Ce sont essentiellement les fédérations d’employeurs et, dans une moindre mesure celles des associations de parents, TOUS RESEAUX CONFONDUS et celles de l’enseignement officiel n’étaient pas les dernières, crois-moi (j’ai participé aux réunions de concertation), qui ont fait fondre significativement le Contrat stratégique pour en faire ce qu’est le Contrat pour l’école. Au nom de leur sacro-sainte liberté …
Par ailleurs et j’en parle dans le cahier du CRISP (De Pisa 2000 au Contrat pour l’école) que tu as peut-être lu, ce qui me paraît aussi significatif, outre les constats que tu cites, c’est la démarche de consultation et de concertation entamée préalablement et qui devrait se poursuivre au niveau de l’évaluation si les promesses sont tenues. C’était une demande éminemment présente dans les diverses consultations des enseignants. La majorité actuelle a essyaé de répondre à cette demande. On peut critiquer, mais c’est un fait.
Bernard DE COMMER.