Afin d’alimenter le débat en cours, l’Aped tient à faire connaître ses réactions au projet de Contrat Stratégique pour l’Education adopté par le Gouvernement de la Communauté Française.
Ne tournons pas autour du pot : ce projet brille surtout par sa terrible ambiguïté !
Si nous partageons bon nombre de ses objectifs déclarés, nous sommes très critiques quant au sort qu’il réserve aux enseignements qualifiants. Et, surtout, nous cherchons désespérément dans ce texte la promesse des investissements – en moyens humains et matériels – nécessaires pour lui donner des chances d’aboutir. Par conséquent, les objectifs progressistes ne pouvant être atteints, faute d’un refinancement digne de ce nom, les objectifs d’inspiration libérale pourraient bien être les seuls à se réaliser, puisqu’ils ne coûteraient pas un euro à la Communauté.
A entendre certaines réactions – officielles ou émises lors des débats publics qui ont déjà eu lieu – et suite à la circulation de l’une ou l’autre pétition sur Internet, il apparaît qu’un courant critique l’objectif annoncé du projet. Lutter contre les inégalités devant la réussite scolaire, vouloir éviter les relégations serait utopique car « tous les élèves ne sont pas capables de se hisser à des niveaux élevés. Certains arrivent facilement à maîtriser l’abstraction, d’autres sont plus concrets ». Selon certains, seuls de doux rêveurs pourraient espérer la réussite pour tous. L’Aped tient à se démarquer très nettement de ces critiques. Il suffit de se rappeler que la Belgique (et singulièrement la Communauté Française) se classe en dernière position de tous les pays de l’OCDE en ce qui concerne les inégalités scolaires pour comprendre qu’il est certainement possible de faire mieux – beaucoup mieux même – dans ce domaine. Au contraire de ces critiques, nous nous réjouissons que les autorités reconnaissent explicitement la gravité de la situation – notamment en ce qui concerne les inégalités sociales devant l’accès aux savoirs – et affirment leur volonté d’y remédier.
Alors, utopie ? Non, résolument non.
Bien mais peut mieux faire
Certaines orientations semblent d’ailleurs aller dans le bon sens. Organiser un enseignement de tronc commun plus long, améliorer l’encadrement dans les premières années de la scolarité, proposer systématiquement une remédiation aux élèves en difficulté, favoriser la mixité sociale à l’école, vouloir s’attaquer à la concurrence entre établissements, voilà qui ne peut que nous agréer. De la même manière, il est clair que devant l’ampleur du défi, il nous semble logique de mettre en place une stratégie qui ne pourrait nécessairement porter ses fruits que dans quelques années. L’échéance 2013 ne nous effraie donc pas en tant que telle.
Hélas, c’est lorsque nous examinons de plus près les mesures proposées que nous déchantons. Celles-ci nous semblent pouvoir être classées en deux grandes catégories : les timides et les dangereuses.
Commençons par les timides
a) Nous avons toujours déclaré (et argumenté) qu’un tronc commun jusqu’à 16 ans nous semblait une condition nécessaire pour apporter à tous les jeunes les connaissances et compétences utiles pour appréhender le monde dans lequel ils vivent et pour y jouer leur rôle de citoyens. Même si, pour nous, 14 ans c’est « trop court », nous pourrions considérer qu’il s’agit d’une première étape encourageante. Encore faudrait-il qu’il s’agisse d’un vrai tronc commun. C’est à dire un enseignement identique pour tous, non seulement en ce qui concerne les intitulés, mais aussi les contenus réels. Or, de cela, on peut sérieusement douter. Pourquoi ? L’objectif du tronc commun est d’éviter la dualisation de l’enseignement. De ne pas permettre qu’apparaissent des écoles ghettos à côté d’écoles d’élite. Mais comment éviter cette dualisation si les filières sont maintenues ? Si un collège ou un athénée huppé organise 6 années d’enseignement général et qu’un établissement voisin organise les filières qualifiantes après le premier degré, espère-t-on vraiment que le niveau sera le même dans le tronc commun ? Pourquoi la ségrégation sociale et l’homogénéisation des publics auxquelles on assiste maintenant disparaîtraient-elles comme par enchantement ? Il est évident que les enseignants du premier établissement auront en tête la nécessité de préparer leurs élèves à l’excellence exigée par leurs collègues des degrés supérieurs. Ceux du deuxième aborderont formellement les intitulés proposés, mais ils auront bien intégré l’idée que, pour leurs élèves, le niveau d’exigence ne sera pas très élevé plus tard. Ils seront d’autant plus tentés par cette dérive qu’ils recevront des élèves souvent en échec ailleurs, à qui on aura « conseillé » de venir chez eux parce que « là on y fait du concret ». Lorsqu’on parle de « redéfinir le rôle de la 1ère B », n’est-il pas meilleure preuve qu’on ne vise pas un véritable tronc commun ? La récente réforme des programme facilitera d’ailleurs aussi cette dualisation. Les exigences ont été à ce point réduites, les vagues compétences ont tellement pris le pas sur les savoirs que chacun fait à peu près ce qu’il veut. Avec les conséquences que l’on devine en terme d’adaptation à « son » public.
b) Il va de soi que nous sommes favorables à une diminution du nombre d’élèves par classe. Particulièrement, comme le propose le projet, dans les premières années du fondamental car c’est là que beaucoup se joue. La mesure proposée est de ne pas dépasser, dans chaque école, 20 élèves/instituteur dans les deux premières années du primaire. Voici qui nous laisse perplexe. De l’aveu même de la Ministre, cette situation est déjà presque rencontrée en moyenne ! Il ne s’agit donc que de légères corrections locales obtenues « le cas échéant par un apport de périodes complémentaires ». Comme il n’est pas question de réinvestissements, d’où viendront « le cas échéant », les moyens nécessaires à ces corrections ? Des niveaux supérieurs qui verront donc grimper le nombre d’élèves par classe. Encore une remarque. Le ratio élèves/instituteur n’est pas synonyme de ratio élèves/classe. Dans certaines écoles, il y a en effet des instituteurs qui donnent des cours spécialisés comme les langues par exemple. Il n’y a donc aucun engagement à ne pas dépasser 20 élèves/classe, même dans les premières années. Or, plusieurs études montrent que l’optimum se situe autour de 15 élèves par classe. On est donc loin du compte.
c) De nouveau, l’idée de mettre en place des systèmes de remédiation afin de s’attaquer immédiatement aux difficultés ne peut qu’être saluée. Mais quels moyens propose-t-on ? La meilleure solution serait qu’une stratégie soit discutée pour chaque élève entre son instituteur et un « remédiateur ». Pour cela, il faut du temps pour la concertation. Il faut surtout que ce « remédiateur » existe ! Sans moyens, comment faire ? Pour éviter cet écueil que nous dénoncions déjà dans la « Déclaration Commune », le projet parle de « remédiations immédiates au sein du cours normal de la classe ». Que devra faire l’enseignant ? S’occuper de tout le monde à la fois ? Ceux qui ont des difficultés dans telle matière, ceux qui en ont dans telle autre, ceux qui n’en ont pas et avec qui il faudrait avancer ? Ce ne sera plus un enseignant, il méritera le titre de « Superprof ».
d) Plusieurs études montrent que la mixité sociale des établissements, et surtout des classes, est un facteur important à la fois pour lutter contre les inégalités et pour augmenter le niveau moyen. Comment s’opposer dès lors à la volonté de mettre en place cette mixité ? Mais comment considérer cette orientation autrement que comme une déclaration d’intention ? On cherche vainement une mesure opérationnelle susceptible de s’en approcher. Certes, il est question de diminuer les écarts de performance entre établissements ce qui doit en effet être un but à atteindre. Mais ce n’est pas parce qu’on propose des épreuves standardisées que les performances vont s’égaliser par un coup de baguette magique, les causes profondes de différenciation entre écoles, comme les filières hiérarchisées, restant présentes.
e) La concurrence entre établissements est cause de gaspillage de ressources humaines et financières. Vouloir s’y attaquer est donc correct. Mais ici, deux remarques s’imposent
1. On dit vouloir créer des « bassins scolaires » et s’opposer au maximum à la concurrence à l’intérieur de ces bassins. Très précisément, il est question de « contenir la tendance de chacun d’eux (les établissements) à se comporter selon les lois de la concurrence ». Cette tendance est en effet très réelle et très néfaste. Mais à part quelques incantations, on cherchera en vain la mesure qui s’attaquera à cette concurrence. A part peut-être la volonté « d’optimaliser l’offre », c’est à dire d’éviter les doublons (deux écoles distantes de 150 mètres proposant la même option). Les économies ainsi réalisées seraient injectées à l’intérieur du bassin concerné. Tant mieux. Mais avouons que c’est un peu court et que la concurrence se maintiendra évidemment par ailleurs. Qu’on lisse ou non le comptage sur plusieurs années ne changera rien à l’affaire.
2. Par ailleurs, il faut bien comprendre que le quasi marché scolaire et la dualisation qu’ils engendrent ne sont pas dus qu’à la concurrence plus ou moins libre entre établissements. Ils proviennent surtout de l’existence de filières fortement hiérarchisées et de la totale liberté de choix des parents, qui est une exception belge.
Attention danger !
Passons maintenant aux mesures qui nous semblent dangereuses. Elles se regroupent essentiellement derrière une orientation générale : « Refonder les enseignements qualifiants ». Prendre conscience de la hiérarchisation des filières est une bonne chose. Prétendre vouloir s’opposer à cette hiérarchisation est louable, mais appelle quelques réflexions.
Qu’on le veuille ou non, la société dans laquelle nous vivons est hiérarchisée. Les espoirs en matière financière ou de reconnaissance sociale ne sont pas les mêmes pour toutes les professions et l’Ecole n’en est pas responsable. Vouloir à tout prix des filières égales en faisant mine d’oublier la hiérarchisation de la société est un leurre. Rien à faire alors ? Si. La seule manière d’éviter les relégations et l’existence de filières hiérarchisées, c’est de mettre en place un large tronc commun. L’idée étant de retarder le moment du choix de manière à ce que tous les élèves puissent suivre une enseignement ambitieux et de qualité le plus longtemps possible et dans les mêmes conditions. Ca n’évitera pas les inégalités dans la société, mais ça lissera les inégalités devant l’accès aux savoirs. Comme nous l’avons dit, le tronc commun est trop court et, par conséquent, il n’évitera pas que les écoles secondaires soient labellisées en écoles d’enseignement général ou écoles d’enseignement qualifiant. Mais il y a pire. Différentes mesures proposées risquent fort d’augmenter les hiérarchisations actuelles. Voyons plutôt.
a) La modularisation des cours techniques et pratiques dès le début du 2ème degré : en clair, pour chacun de ces cours, la possibilité d’obtenir une certification partielle. Le risque est évident. Certains élèves seront tentés de se concentrer sur certains modules afin d’y décrocher une certification susceptible de les aider à trouver rapidement un emploi. Et tant pis si la formation générale est délaissée. C’est un encouragement à la fainéantise intellectuelle. On prétendra que l’élève se sentira valorisé en décrochant l’un ou l’autre « papier » même s’il n’arrive pas à la réussite globale de l’année. Peut-être, mais s’opposer à la dualisation dans l’enseignement consiste à éviter les distinctions d’acquis entre élèves, pas à leur distribuer des certificats illusoires…
b) Afin d’éviter les nombreux redoublements, des balises claires seront installées dans chaque degré. Par exemple, pas question de rester plus de trois ans dans le deuxième degré qualifiant (sauf dérogation). Il est clair que nous ne sommes pas favorables non plus aux redoublements à répétition. Mais pour les éviter, il faut créer des conditions optimales d’apprentissage : encadrement adéquat, programmes ambitieux et clairs, etc. Rien de tout cela n’est proposé. Que fera-t-on alors des élèves qui n’auront pas atteint les niveaux souhaités ? Ils seront dirigés vers l’enseignement de promotion sociale, les CEFA (alternance) ou les formations organisées par les Régions. Vouloir fusionner à terme le technique de qualification et le professionnel pour éviter cette dernière filière très dévalorisée, pourquoi pas ? Mais si ça se fait au prix d’un renforcement de la formation en alternance, encore plus dévalorisée et où la formation générale est encore plus réduite, alors il est difficile de ne pas parler d’hypocrisie ! Sans moyens adéquats de lutte contre l’échec, nombre de jeunes risquent ainsi de se retrouver hors de l’enseignement ordinaire. Vous avez dit lutte contre la dualisation ?
c) Pour refonder l’enseignement qualifiant, le gouvernement compte sur la Commission Communautaire des Professions et des Qualifications. Celle-ci est pourtant déjà à la base des orientations actuelles. C’est elle qui a établi les « profils de qualification » à partir desquels les programmes ont été élaborés. Or, les représentants patronaux sont présents dans cette commission. On a beau préciser qu’ils ne devront pas instrumentaliser l’enseignement, comment pourra-t-on l’éviter ? Pourquoi leurs propres objectifs changeraient-ils ? Dans le même ordre d’idée, lorsqu’on prétend vouloir, dans chaque bassin, rechercher les synergies de façon approfondies avec, entre autres, les entreprises et la formation professionnelle, comment ne pas y voir le risque de l’instrumentalisation que l’on dit vouloir éviter ? Pour de vraies synergies, il faut des objectifs communs. Depuis quand le monde patronal a-t-il pour objectif de lutter contre les inégalités ? Lorsqu’il est question de « mobiliser des financements extérieurs », d’où doivent-ils venir ? Espère-t-on compenser l’incurie des moyens publics par un apport du monde de l’entreprise ? Sans contrepartie ?
On est d’ailleurs bien obligé de constater que les mesures concrètes de cette orientation globale (refonder le qualifiant), ressemblent fort au programme du patronat européen.
Pour conclure
Un mot sur les enseignants. A plusieurs reprises, il est question de renforcer leur formation initiale et continuée. Personne n’est contre. Mais n’est-ce pas reporter implicitement sur eux les causes de la situation catastrophique actuelle ? Il est pourtant évident qu’elles sont, pour l’essentiel, d’abord structurelles et financières.
Une dernière critique, mais de taille. Nulle part on ne trouve trace de la nécessité de réinjecter des moyens financiers dans l’Ecole. Or, on l’a vu, si certaines orientations peuvent paraître positives au premier abord, elles butent irrémédiablement sur le manque de moyens. Il faut le dire inlassablement : le financement de notre enseignement au niveau national est passé de 7 % du PIB aux alentours de 5 % entre le début des années 80 et aujourd’hui. Cette situation est intenable. Tôt ou tard, et le plus tôt sera le mieux, il sera nécessaire d’arracher ce refinancement refusé à tous les jeunes de ce pays, depuis plus de 15 ans maintenant, suite au vote de la bien mal nommée « loi de financement ».
En conclusion, on peut estimer que le projet de Contrat Stratégique se décline en deux grands types d’orientations. Le premier type est positif, mais pêche par une trop grande timidité. L’autre est franchement négatif et ne fera que renforcer la dualisation des filières à laquelle on prétend pourtant vouloir s’opposer. Au final, cette tendance risque fort, hélas, de l’emporter. Ce serait pourtant dramatique. Car qui croira encore en la possibilité de diminuer les inégalités à l’Ecole si cette réforme « ambitieuse » échoue ?
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Téléchargez le tract de l’Aped, intitulé « Belles intentions et maigres moyens », reproduisez-le et affichez-le dans vos écoles, distribuez-le lors des réunions publiques.
Tract_Aped.pdf
> Un projet ambigu !
Bonjour,
J’ai également des inquiétudes au sujet de l’enseignement qualifiant. J’enseigne dans une section professionnelle, section puériculture,exclusivement féminine(mixité connaît pas!) et je constate qu’il s’agit souvent d’une filière de relégation pour les filles ayant des difficultés d’apprentissage. Ce que je déplore c’est le nombre de périodes de cours de remplissage type « cours de cuisine »
qui devrait, si en terme d’égalité des chances être remplacés par du renforcement dans les matières de base: français, mathématiques, sciences. Autre constat qui selon moi ne va pas dans le sens d’une égalité des chances c’est le fait que des professeurs qui « posent problèmes (dépressif, absentéisme, incompétence, etc.) sont eux-mêmes souvent reléguer du général dans les sections professionnelles! Autrement dit une fois qu’on est tombé en section professionnelle, on à de fortes chances d’y rester pour longtemps. Rêvons peut-être, mais actuellement bien des éléments constituant l’enseignement professionnel vont à l’encontre de la promotion sociale.
> Un projet ambigu !
J’ai lu avec intérêt les textes de Jean-Pierre Kerckhofs, Gielen et FGTB. Les craintes qui m’habitaient, et dont j’avais fait un projet de carte blanche que Le Soir n’a pas publiée, se vérifient : la contrainte de la structure globale imposée par la ministre et les auteurs du document est respectée par tous, APED incluse ; et chacun s’empresse de pinailler sur des points de détail (latin, etc.) sans relever que le document NE RÉPOND EN RIEN aux carences mises en évidence par les enquêtes PISA.
> Un projet ambigu !
je ne comprends pas bien votre critique. En quoi l’Aped soutient-il les contraintes de structure imposées par la ministre ? Nous sommes les seuls, que je sache, à réclamer à la fois:
– le tronc commun jusqu’à 16 ans
– la suppression des marchés scolaires (c.à.d la suppression des réseaux et la limitation de la liberté de choix des parents)
– un refinancement de l’enseignement à 7% du PIB
> Un projet ambigu !
Je reviens sur ma critique d’ensemble. C’est celle qui, d’ailleurs, se trouve dans la proposition de Carte blanche que j’ai adressée au Soir (mais concentrée, ainsi que l’exige un texte dont la longueur est limitée).
Mme Arena, et avec elle, tous les signataires de la “déclaration” de novembre (c’est-à-dire toutes les “entités” qui détiennent quelque influence sur l’organisation du système éducatif), ont voulu un grand « machin », intangible dans sa structure, couvrant l’ensemble de l’enseignement obligatoire. Preuve (extrait de la p. 4) :
Nous vous invitons à lire le Contrat stratégique pour l’Education en tenant compte de sa structure et des perspectives tracées par les orientations. C’est un projet à considérer dans son ensemble. Certaines mesures, prises isolément, ou sans référence aux conditions nécessaires à leur mise en œuvre, pourraient être mal interprétées.
Ceci s’inscrit dans le prolongement d’une entreprise qui a débuté, de mon point de vue, avec la création de Conseils généraux des enseignements fondamental, secondaire, supérieur. Auparavant, des conflits opposaient l’une à l’autre certaines de ces “entités” (un réseau à un autre, les syndicats aux P.O., etc.) ; actuellement, tous les documents (dont les décrets communautaires) sortent de ces Conseils sous la forme de consensus mou, les angles – quand il en existe encore, et pour ceux qui ont trouvé bon de sortir de leur léthargie – ayant été rognés, et le public de destination ignorant les éventuels débats sous-jacents.
Ça revient à dire que les oppositions ont été muselées, et que quelque tireur de ficelles doit noyauter les Conseils. Jusque naguère, rien, ni dans les textes ni dans les échos, ne m’avait amené à démasquer ce “père Joseph” ; le rôle conféré, dans le contrat, à la Commission de pilotage semble cette fois apporter une réponse tout à fait plausible à mon interrogation.
Tout le monde donne dans ce panneau : on s’attache à des aspects ponctuels du document, en fonction d’intérêts particuliers, du niveau où l’on exerce ses activités, etc. Et le « machin » suit tranquillement son chemin…
Je crois que le problème N° 1, pour la manière dont L’École démocratique réagit, c’est que Nico Hirtt et Jean-Pierre Kerckhofs sont des enseignants du secondaire, connaissant mal le niveau de l’enseignement fondamental. Votre préoccupation essentielle, classée non dans les “mesures timides”, mais dans les “mesures dangereuses”, c’est la refondation des enseignements qualifiants. Ne pensez-vous pas que ce problème ne se poserait plus si les élèves amorçant leur enseignement secondaire maitrisaient les compétences de base de l’école fondamentale ? [Je n’ignore pas les lances qu’a rompues L’École démocratique en faveur d’une distinction entre connaissances et compétences, ni votre condamnation, au nom de ce combat, du principe des socles de compétences. À mes yeux, c’est pure logomachie : une connaissance qui n’est rien d’autre qu’une restitution mnémonique n’a d’autre valeur que de conférer un vernis d’érudition dans un jeu télévisé ; si une connaissance est vraiment fonctionnelle, elle est susceptible de jouer un rôle dans un contexte structuré, ce qui revient à dire qu’elle est une compétence] La réponse me parait évidente. Il faut donc que tous les élèves achèvent l’enseignement fondamental en ayant conquis le CEB (pas un CEB au rabais, évidemment !).
Mais qu’est-ce que l’enseignement fondamental ? Celui qui, comme au XIXe siècle, compte six années, de 6 à 12 ans, sous le nom d’enseignement primaire ? Non : la charnière inférieure n’étant pas taboue, on y a ajouté les trois années de l’école maternelle. Mais personne, jusqu’ici, n’a osé commettre le sacrilège de toucher à la charnière des 12 ans : ce qui suit, c’est l’enseignement secondaire ! Cette conception séculaire est pour moi totalement anachronique.
L’enseignement fondamental, c’est la période au cours de laquelle TOUS LES ÉLÈVES, à l’exception des handicapés mentaux modérés ou sévères, doivent acquérir et maitriser les compétences de base. C’est la période du tronc commun, 1er cycle de l’enseignement secondaire inclus, à l’issue de laquelle chacun reçoit le CEB. C’est la « Grundskola » des Scandinaves.
Reste alors à organiser, sur une période de quatre années, un enseignement secondaire qui, sur la base des compétences communes, organise un enseignement différencié conduisant les uns à une compétence professionnelle, et préparant les autres à poursuivre leur formation dans l’enseignement supérieur.
APPELER « TRONC COMMUN » CONTINU UNE PÉRIODE DE FORMATION CASSÉE EN DEUX :
– UN “AVANT 12 ANS” À L’ISSUE DUQUEL EST CONFÉRÉ (À CERTAINS, ET EN RECOURANT À FORCE STRATAGÈMES !) UN CERTIFICAT D’ÉTUDES DE BASE ;
– UN “APRÈS 12 ANS” OÙ, VAILLE QUE VAILLE, ON RÉPARE LES DÉGÂTS (NOTAMMENT CEUX CONSÉCUTIFS À LA LOI DE 1983 SUR L’OBLIGATION SCOLAIRE) ;
N’EST RIEN D’AUTRE QU’UNE DUPERIE.
Je ne comprends pas que L’École démocratique se fasse complice d’une telle duperie en la classant dans les mesures qu’elle qualifie de timides.
1er cycle primaire : les études sur la réduction du nombre d’élèves par classe n’ont d’effets que si elles sont ciblées sur certaines populations. (Citer ces études dans les “fondements théoriques de l’orientation” comme si elles corroboraient la mesure a quelque chose de scandaleux !)
Pourquoi soutenez-vous le contrat sur ce point (considéré comme un cheval de bataille !) alors qu’il applique la mesure de manière linéaire ? Je n’ignore pas que la plupart des enseignants sont convaincus de la pertinence d’une telle mesure. Mais ils se trompent. Et la ministre, en cette matière témoigne d’une démagogie que je ne puis accepter, et qui aboutira – futur simple, car cette mesure démagogique, elle, sera d’application ! – à dépenser en pure perte d’énormes ressources que l’on pourrait utiliser plus rationnellement.
Remédiation ? Non ! La remédiation est une thérapeutique, elle intervient lorsqu’un mal s’est manifesté. Et le mal ne se manifeste que si l’enseignement est frontal, et les contrôles – fussent-ils des épreuves standardisées – périodiques. Une pédagogie de la réussite ne peut que se fonder sur une évaluation formative. Ni dans le décret École de la réussite, ni dans la brochure sur les socles de compétences, ni dans le contrat stratégique, on ne fournit aux usagers une réponse à la question « Quels sont les critères permettant de déclarer qu’un élève déterminé a atteint le seuil au-delà duquel telle compétence doit être considérée comme maitrisée ? »
Le contrat, qui soutient timidement, du bout des lèvres, l’enseignement différencié, ne propose pratiquement rien (la commission de pilotage y pourvoira…) pour que les enseignants qui ne sont pas aguerris à la pédagogie des Freinet et autres Decroly disposent des outils permettant sa pratique (à l’heure de l’électronique !).
Le redoublement
Citations :
D’autres outils que le redoublement doivent être privilégiés… (p. 15)
D’autres outils que le redoublement permettent de gérer les difficultés d’apprentissage et d’adapter la pédagogie aux rythmes des élèves. (p. 17)
…les enseignants, les conseils de classe et les établissements pourront proposer aux élèves d’autres solutions que le redoublement. (p. 17)
la pratique excessive du redoublement (p. 28)
On sait pourtant combien le redoublement ne constitue pas la solution efficace. (p. 40 On renvoie par une note à Crahay 2000 & 2003. Ce qui laisserait supposer que Crahay considère tout de même le redoublement comme une solution !)
Je n’ignore évidemment pas que toute mesure décrétale d’interdiction du redoublement serait vouée à l’échec. De là à admettre que le Contrat continue de le ranger parmi les “outils pédagogiques”, il y a une marge que je me refuse à franchir ! Et je trouve dérisoire la formulation de la page 17 : “leur proposer d’autres solutions que le redoublement” ; il s’agit de faire réussir les élèves par le recours à des didactiques appropriées. Le redoublement, dans l’enseignement fondamental, n’a strictement rien d’une mesure pédagogique : l’école, en toute bonne conscience, pérennise la stratification sociale en déclenchant le processus de l’exclusion ; et, pour comble, ignorante des dégâts qu’engendre l’“effet Pygmalion”, elle parvient à obtenir l’acquiescement de la plupart des victimes.
La mixité sociale, la dualisation, la concurrence
Je ne vois pas d’autre solution que l’école pluraliste – seule manière de promouvoir la démarche interculturelle – pour rencontrer ces carences légitimement dénoncées. Ne serait-il pas temps de clouer au pilori, sans relâche, une ségrégation que l’on assimile dans d’autres domaines à du racisme ? Au nom de quoi peut-on, dans une société qui se prétend démocratique, accorder des subventions à des PO qui n’ont d’autres motivations, avec la sauvegarde d’un pouvoir largement abusif, que de protéger de toute “contamination” les enfants de leur communauté ? Toutes les mesures proposées pour contrer la dualisation et la concurrence ressortissent au plus pur incantatoire.
« De la même manière, il est clair que devant l’ampleur du défi, il nous semble logique de mettre en place une stratégie qui ne pourrait nécessairement porter ses fruits que dans quelques années. L’échéance 2013 ne nous effraie donc pas en tant que telle. »
Cet extrait de votre “chapeau” m’abasourdit !
Le premier argument à la promulgation du Contrat stratégique pour l’éducation, c’est la médiocrité des résultats de nos élèves de 15 ans aux épreuves internationales standardisées PISA. En 2013, cette épreuve trisannuelle aura connu trois nouvelles applications. Parmi la multitude des mesures énumérées dans le Contrat, aucune ne constitue une thérapeutique adaptée à la situation carentielle justement dénoncée. Je suis fermement convaincu que nos résultats ne seront pas meilleurs en 2006, en 2009 et en 2012.
En conclusion, L’École démocratique, à l’instar des innombrables usagers qui acceptent de répondre à la consultation de Mme Arena, s’est laissé piéger par ce « machin prétentieux » destiné à domestiquer davantage une gent enseignante déjà trop moutonnière. Je le regrette très vivement, car les efforts que vous prodiguez pour rendre le système plus équitable recueillent d’ordinaire ma complète adhésion.
Soyez assurés de mes tout bons sentiments,
> Un projet ambigu !
Cher Marcel Leurin,
J’ai pris connaissance de votre courrier avec beaucoup d’intérêt. Permettez mois d’apporter quelques éléments supplémentaires à ce débat.
1) L’Aped et moi-même défendons depuis plusieurs années une vision des réformes nécessaires dans l’enseignement qui, me semble-t-il, rejoint assez largement la vôtre. Lorsque nous plaidons, en particulier, pour un tronc commun jusqu’à 16 ans, il s’agit bien du concept d’un continuum scolaire, par opposition à l’actuelle coupure organisée à 12 ans (je vous renvois pour cela au dernier chapitre de mon livre « l’école de l’inégalité »).
2) Le ton de notre réaction, qui vous semble à l’évidence trop positif par rapport au plan Arena, était dicté par les considérations suivantes. Lors des débats dans les écoles, dans les syndicats, dans les rencontres publiques organisées par Arena, l’essentiel des réactions négatives provient de ce que je crois pouvoir qualifier de l’aile droite. Elles sont le fait de professeurs (souvent du secondaire) attachés à leurs habitudes, parfois corporatistes, allant souvent jusqu’à contester le principe même de l’ « éducabilité de tous ». Nous ne souhaitons certes pas cautionner une réforme qui est vouée à l’échec; mais nous ne souhaitons pas davantage faire chorus avec ceux qui affirment l’impossibilité de démocratiser l’école. Peut-être ne l’avons nous pas toujours bien formulé et notre prudence apparaît-elle à vos yeux pour de l’opportunisme. Nous veillerons donc à être plus clairs la prochaine fois.
3) la conception des compétences que vous défendez me satisfait assez bien. Le problème c’est qu’elle est à des lieues de celle qui a présidé à la rédaction des nouveaux programmes.
4) Là où nos opinions semblent réellement diverger, par contre, c’est sur la question des moyens et des taux d’encadrement. Les pays scandinaves, que vous citez en exemple, ne se caractérisent pas seulement par une espèce de « culture de la réussite » qui serait tombée du ciel, mais aussi par des moyens matériels qui soutiennent cette culture. Leurs dépenses par élèves, dans l’enseignement « primaire » (selon la classification OCDE) sont supérieures aux nôtres de 40 à 70% ! Cela se traduit évidemment pour l’essentiel par des taux d’encadrement plus favorables. L’étude STAR américaine a démontré que le passage de 25 à 15 élèves par classe, dans les premières années d’enseignement, était un moyen efficace de réduire les inégalités de résultats (dans les compétences en lecture, écriture et calcul).
5) Je ne comprends pas bien votre remarque sur notre position par rapport à une réforme de longue durée. C’est précisément parce que nous plaidons pour une école commune de 10 ou 11 années, comme issue à la catastrophe actuelle, parce que nous croyons que cette structure (et la lutte contre les marchés scolaires et le refinancement) sont les conditions préalables pour que tous accèdent réellement aux compétences d’un « CEB de haut niveau à 16 ans », c’est pour cela que nous croyons qu’une véritable réforme DOIT s’étaler sur 10 ans. Entre temps, avec ceux qui sont déjà aujourd’hui arrivés au terme de l’enseignement primaire, on peut tout au plus faire de la « remédiation » (et sans doute faut-il la faire).
Voilà. Excusez le caractère un peu rapide de cette missive, mais je dispose malheureusement de peu de temps pour l’instant.
Nous sommes en recherche de solutions et nous ne croyons pas disposer de réponses absolues et définitives. C’est pourquoi nous voulons engager le débat avec tous ceux qui, comme vous, font du combat pour une démocratisation de l’enseignement leur priorité.
Cordialement,
Nico Hirtt
> Un projet ambigu !
Cher Monsieur Hirtt,
Point 1
Je me réjouis de votre position sur le « tronc commun » CONTINU (et je ne manquerai pas de lire ce que vous avez écrit à ce propos). Mais je râlais d’autant plus de ne pas vous voir condamner cette partie du Contrat que personne ne semble y être attentif. C’est ce qui m’avait d’ailleurs amené à passer au bazooka, sur votre site, la réaction de Joëlle Milquet à votre « déclaration provisoire ». Je suis évidemment conscient des bouleversements qu’amènerait une telle révolution structurelle… et culturelle !
Point 2
31 années d’inspection n’ont pas réussi à me faire acquérir des qualités stratégiques. Je sais cependant que l’on peut obtenir parfois davantage en n’affrontant pas sans nuances ceux que l’on veut convaincre. Le problème, c’est qu’il est difficile de fixer les limites au-delà desquelles il convient de ne pas aller. Je lis comme vous, dans des forums et sur des sites les positions rétrogrades que prennent des directeurs et des enseignants, surtout du secondaire et surtout du libre. Mais faut-il leur faire des concessions ? S’ils n’ont pas encore compris que, évidemment dans certaines limites, l’intelligence n’est pas innée, mais l’aboutissement d’une lente et persévérante construction, je crains que leur cas soit désespéré. Abandonnons-les à leur triste sort, et plaignons les enfants qui leur sont confiés. Ils doivent être de ces classes, et parfois de ces écoles entières, où les élèves ne se servent pas de leur intelligence une minute par jour ; et n’ont la chance de la développer que s’ils sont stimulés dans d’autres lieux. Triste.
Ceci écrit, il ne m’était pas venu à l’esprit de vous taxer d’opportunisme.
Point 3
Vous avez raison. Mais je crois, une fois de plus, que c’est consécutif au « consensus mou » que j’ai dénoncé à propos des Conseils supérieurs ; ça tourne à la collusion.
Point 4
J’ai vu, dans les années 70 je crois, la ville de Charleroi (avant les fusions de communes) subventionner à ses frais 21 instituteurs primaires dans le seul but de réduire le nombre d’élèves au premier cycle. Tout le monde s’imaginait que le taux de redoublement allait baisser considérablement. Pas du tout : les titulaires avaient intériorisé une norme – le niveau d’expectation de nos collègues américains – qui les amenait à mettre en échec la même proportion d’élèves.. Par contre, il était rarissime, lorsque j’étais instituteur et pratiquais une éducation fonctionnelle à la Freinet, que certains de mes élèves redoublent (même lorsque le cycle comportait deux années scolaires).
Bien sûr, ces deux cas sont exceptionnels, et ce n’est pas sur une telle base que l’on construit des règles. Et je souhaiterais aussi que nos écoles disposent des mêmes moyens que les scandinaves. Mais, dans une enveloppe étriquée, choisissons bien nos cibles. Et personnellement, je compte davantage sur la formation que sur les structures.
Point 5
Je vous suis pleinement pour ce qui concerne les réformes structurelles : elles exigeront du temps. Mais c’est le « gros machin » que je condamne justement. Il faut se livrer à une analyse fine, question par question, des réponses fournies par nos élèves à tous les items et répondre d’urgence aux carences relevées.
D’un examen sommaire auquel j’ai procédé sur les items dont je disposais, je conclus qu’il faut lutter contre la simple restitution mnémonique, apprendre aux enseignants à bombarder leurs élèves de stimulations intellectuelles.
Et je trouve scandaleux – je pèse mes mots – que la moitié des élèves au moins viennent à l’école pour y perdre leur temps ; les uns parce que ce qu’on leur enseigne est trop difficile, les autres parce c’est trop facile et qu’ils s’ennuient. Et ceci à l’heure où il faut six années de scolarité pour disposer en temps de ce qui représentait cinq années en 70. Il faut proscrire l’enseignement frontal !
Je n’ai pas le temps de relire.
Bien cordialement à vous,
> Un projet ambigu !
Juste une précision concernant votre point 2 où je crains que nous ne nous soyons mal compris. Si j’invoquais les réactions de la droite chez les enseignants, ce n’était pas pour justifier une timidité à leur égard mais au contraire pour dire, comme vous, qu’il faut s’y opposer avec force et donc ne pas donner l’impression que notre critique du projet Arena serait sur la même longueur d’onde que la leur. Eux, ils reprochent à Arena de faire un « premier degré commun » parce qu’ils nient la faisabilité d’une démocratisation de l’enseignement. Nous, nous disons au contraire qu’Arena ne va pas assez loin, qu’elle nous propose son timide « tronc commun » là où nous attendions l’école commune jusqu’à 16 ans. Eux ils disent: « sélectionnez plus fort, sélectionnez plus tôt ». Nous nous disons: à bas la sélection.