Les associations Appel Pour une Ecole Démocratique (APED) et Résistance à l’Agression Publicitaire (RAP) réagissent à la circulaire n° 1026 du 27/12/2004 de la Ministre de l’enseignement Marie Arena, concernant la « publicité dans les établissements scolaires et matériel didactique diffusé par les firmes commerciales »
A la lecture de cette courte circulaire, il apparaît que madame Arena pratique l’art difficile de l’équilibriste, entre les exigences de l’autorité publique (qu’elle représente) et celles de l’économie du libre-échange qui régule de plus en plus la vie politique et sociale. Elle rappelle – opportunément – aux chefs d’établissement (entre autres) la loi du 29 mai 1959 « interdisant toute activité commerciale dans les établissements scolaires », tout en ménageant des brèches dans lesquelles les entreprises ne manqueront pas de s’engouffrer. Ainsi, elle croit bon d’ajouter « Cependant, cette disposition ne règle pas tout, car il n’est pas aisé de déterminer ce qui constitue une activité commerciale dans un établissement d’enseignement. ». Madame Arena voudrait préparer le terrain à l’entrée des firmes commerciales dans les écoles qu’elle ne s’y prendrait pas autrement.
Autre morceau choisi parmi sa rhétorique, qui monte d’un cran dans le dévoilement de la manœuvre : « La distribution de colis, d’échantillons ou de dépliants publicitaires tombe bien sous le coup de cette interdiction, mais c’est moins clair lorsqu’il s’agit d’ouvrages ou de matériels didactiques financés ou diffusés par des firmes commerciales. » Ignore-t-elle que ce « matériel didactique » (sic) est non seulement un prétexte à présenter des produits sous une forme scolairement « acceptable » (néanmoins avec le renfort de logos placés par-ci par-là), mais que sa qualité pédagogique intrinsèque doit, pour le moins, être sujette à examen critique ? (1) D’autre part, fait-elle si peu confiance à la capacité de ses enseignants à réaliser ou à choisir eux-mêmes leur propre matériel pédagogique ?
Continuons. Madame Arena poursuit sous forme interrogative, feignant de lancer le – faux – débat : « Faut-il refuser toute initiative d’origine commerciale, même lorsqu’elle peut apporter un petit plus aux écoles ? ». Il faudrait savoir : soit de la publicité, soit pas de publicité dans les écoles. Dans le premier cas, il aurait été inutile de rappeler la loi, puisqu’il s’agirait en fait de la contourner. Dans le second cas, pourquoi alors reconnaître cette possibilité, si menue soit-elle (le « petit plus » est-il d’ailleurs chiffrable ? A partir de quel montant cela devient-il un « grand plus » inacceptable ?). Il y a là aussi un aveu déguisé : que l’enseignement est insuffisamment financé.
Plus loin, Madame Arena se défausse de son propre pouvoir puisqu’elle dit faire confiance aux enseignants « pour adopter l’attitude la mieux appropriée dans chaque cas » en matière de publicité à l’école. On savait depuis longtemps que seul le principe de la dérogation ne souffrait d’aucune dérogation dans l’administration ! Que ces dérogations soient les plus fréquentes possibles – avant de devenir la règle – est peut-être le souhait intime de madame Arena.
Alors que la Politique se doit d’être une force de transformation positive du monde, madame Arena, fataliste, accepte et nous met devant le fait accompli : « Ne nous voilons d’ailleurs pas la face : la publicité fait partie de l’environnement quotidien des enfants et des adultes. » Face à cela, elle ne voit comme parade que le développement « d‘une attitude critique face au matraquage publicitaire. » Se consolera-t-on en se disant que c’est mieux que rien dans le contexte de la real politique qui consiste à laisser faire la force des choses ?
Enfin, Madame Arena clôt sa circulaire en restreignant encore un peu plus sa responsabilité : « je me limiterai dès lors à inviter les enseignants à développer particulièrement les activités disciplinaires ou transversales qui permettront à l’enfant ou à l’adolescent d’acquérir son autonomie et sa liberté face au message publicitaire » ; celui-ci sera-t-il, à moyen terme, massivement présent dans les écoles ? On peut le craindre. Si, pour le secteur privé, le feu n’est pas (encore) passé au vert franc, il est déjà à l’orange clignotant pour les pouvoirs publics.
En conclusion, l’APED et RAP réclament à la Ministre de l’enseignement l’application stricte de la loi, sans aucune dérogation possible. Toute dérogation fait office de cheval de Troie de la privatisation. L’intrusion de la publicité à l’école fait partie des stratégies de l’ERT (Table Ronde Européenne) visant à marchandiser l’enseignement. L’école, pas plus que les services publics, ne sont à vendre !
Un enseignant qui se contenterait d’utiliser telle quelle cette propagande déguisée serait coupable d’une faute intellectuelle et professionnelle.
—–
Résistance à l’Agression Publicitaire – Belgique (RAP)
Site: [http://www.antipub.be]
courriel: rap@antipub.be
Tél: 0472.62.38.41
Appel Pour une Ecole Démocratique (APED)
Site : [http://www.ecoledemocratique.org]
Courriel : aped@ecoledemocratique.org
Tél : 02.735.21.29
———
Circulaire N°1026 du 27/12/2004
Objet : Publicité dans les établissements scolaires et matériel didactique diffusé par les firmes commerciales.
Réseaux : tous
Niveaux et services : FOND/SEC/CPMS
Période : Année scolaire 2004-2005-01-25
Madame, Monsieur,
II a été récemment beaucoup question de la distribution dans les écoles d’un jeu pédagogique financé par une grande marque de céréales, jeu intitulé « miam, la forme ! ». Au-delà de l’intérêt du matériel qui propose une approche ludique de l’éducation nutritionnelle, chacun conviendra qu’il s’agit avant tout d’une opération publicitaire.
Il n’est pas inutile de rappeler que l’article 41 de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l’enseignement établit que toute activité commerciale est interdite dans les établissements d’enseignement organisés par les personnes publiques et dans les établissements d’enseignement libre subventionnés. Cependant cette disposition ne règle pas tout, car il n’est pas aisé de déterminer ce qui constitue une activité commerciale dans un établissement d’enseignement.
La distribution de colis, d’échantillons ou de dépliants publicitaires tombe bien sous le coup de cette interdiction, mais c’est moins clair lorsqu’il s’agit d’ouvrages ou de matériels didactiques financés ou diffusés par des firmes commerciales. Faut-il refuser toute initiative d’origine commerciale, même lorsqu’elle peut apporter un petit plus aux écoles ?
Constatant que les enseignants et les responsables scolaires ont toujours fait preuve de la plus grande circonspection par rapport à l’intrusion de la publicité dans l’école, je continuerai à leur faire confiance pour adopter l’attitude la mieux appropriée dans chaque cas particulier.
Ne nous voilons d’ailleurs pas la face : la publicité fait partie de l’environnement quotidien des enfants comme des adultes. Les enseignants ne sont-ils dès lors pas bien placés pour former les enfants et les adolescents à développer une attitude critique face au matraquage publicitaire ? Je le pense.
Nous disposons de ressources dans cette matière. Dans l’enseignement fondamental, la lecture critique de messages publicitaires fait partie de l’éducation aux médias. Dans l’enseignement secondaire, on développe cette compétence notamment dans les activités du cours de langue maternelle, mais aussi de manière plus transversale dans d’autres disciplines.
Je me limiterai dés lors à inviter les enseignants à développer particulièrement les activités disciplinaires ou transversales qui permettront à l’enfant ou à l’adolescent d’acquérir son autonomie et sa liberté face au message publicitaire.
Convaincue de la conscience et du bon sens de chacun, je vous remercie de votre collaboration.
Madame la Ministre-Présidente,
Marie Arena
> Non à toute forme de pub à l’école
Madame Arena a pourtant bien raison.
Il faut arrêter de vouloir être plus catholique que le Pâpe…
Si une grosse boite qui donne du travail aux honnêtes gens offre du matériel de qualité que nos écoles sont bien incapables de se payer, je prends. Je ne manquerai pas l’occasion ! Il est assez naïf de croire qu’on puisse « échapper » à la pub, ou protéger les enfants de certaines images, de certaines choses… Y a marre d’être le dernier endroit où rien ne fonctionne comme dans le « vrai » monde. Pas étonnant que les enfants n’accrochent plus. Il faut pluôt les préparer à prendre une place dans la société dans laquelle ils vivent. Et si cette société ne vous plaît pas, ce n’est pas en instrumentalisant l’école comme dernier fer de lance de l’anti-pub que vous allez la changer.
> Non à toute forme de pub à l’école
Vous devriez arrêter de regarder la télévision ! croire que le « vrai monde » c’est être des moutons de panurge, dirigés par des multinationales qui ne pensent qu’a l’argent, est une preuve du début d’une lobotomisation passive !!! Laisser les enfants croire au père Noël !
> Prochaine étape : la neutralité commerciale de l’Ecole
Bonsoir,
En France nous sommes confrontés aux interventions des entreprises en milieu scolaire depuis plusieurs années. Il faut croire que notre pays à de « l’avance » sur la Belgique. En effet, en mars 2001 notre Ministère de l’Education nationale, sous l’autorité de Monsieur Jack Lang (socialiste), a quasiment légiféré en la matière. Certes, il ne s’agit que d’une circulaire, mais alors quelle circulaire ! Aussi belle qu’un traité international tel l’AGCS… elle en a les relents. Intitulée «Code de bonne conduite des interventions des entreprises en milieu scolaire», elle permet dès son intitulé les interventions des entreprises dans les écoles. Ensuite, dans son contenu elle établit un nouveau cadre juridique pour les établissements scolaires avec le principe de neutralité commerciale de l’Ecole en son article 1er : «Le principe de neutralité du service public de l’éducation nationale, rappelé notamment par l’article L. 511-2 du code de l’éducation, s’entend aussi de la neutralité commerciale.» Tout le reste des dispositions tient compte de ce nouveau cadre juridique.
Depuis la publication de cette circulaire il n’est plus un projet pédagogique sans démarche commerciale plus ou moins voilée à la clé. Bientôt ils vont inventer des projets pédagogiques uniquement dans le but de répondre aux besoins des entreprises en quête de supports publicitaires ou autres propagandes idéologiques. Ce n’est pas de l’exagération. Nous avons connu le jeu-concours le plus malsain qu’il soit dans nos établissements scolaires : «Les masters de l’économie» du groupe bancaire CIC. Ce jeu boursier pour boursicoteurs en herbe avait le triple caractère commercial, publicitaire et idéologique. Tout le contraire de la neutralité scolaire… mais conforme à la « neutralité commerciale de l’Ecole » selon le Ministère de l’Education nationale qui n’y voyait pas matière à discuter. Voilà pourquoi en France nous luttons pour obtenir l’abrogation de ce « Code de bonne conduite. »
Grâce à Gilbert Molinier – professeur de philosophie qui s’est battu pendant quatre ans contre ces «Masters de l’économie» – un tribunal administratif a apporté de l’eau à notre moulin en juillet 2004 en déclarant illégal ce jeu-concours. Pour cela il s’est appuyé sur le principe de neutralité scolaire rappelé par les circulaires qui ont précédé le « Code de bonne conduite » tout en ignorant totalement celui de « neutralité commerciale de l’école » de ce même « Code ». Cette décision n’ayant été frappée d’aucun recours, fait jurisprudence. Reste à la faire appliquer systématiquement dès qu’un « partenariat » commercial pointe son nez dans les écoles… Il y a encore du travail, la cause n’étant pas encore totalement acquise notamment par les syndicats enseignants majoritaires.
Voilà « l’avance » de nos écoles françaises sur les écoles belges, vous avez donc de la chance. Préparez dès maintenant votre prochaine étape : la neutralité commerciale de vos établissements scolaires. Pour vous en convaincre, je vous invite à consulter notre document, à l’adresse ci-dessous, intitulé «Code de bonne conduite – Historique et contexte.» Relatif aux interventions des enreprises en milieu scolaire. Il explique l’évolution de ce phénomène européen dont Madame Edith Cresson en a été la roue en 1997 au sein de la Commission européenne lorsqu’elle était Commissaire européen à l’Education.
Bon courage à vous.
Jean-Marc Fiorese,
membre du Collectif Attac IDF Education