Pour rappel : L’AGCS, l’Accord Général sur le Commerce des Services (en anglais « GATS »), a été conclu en 1995 entre les 112 états qui étaient membres de l’OMC à l’époque et s’applique aux 148 états membres actuels. C’est un accord de droit international qui comprend de longues listes énumérant les secteurs dans lesquels les états signataires s’engagent à libéraliser le commerce des services. 156 groupes de services ont été répertoriés en 12 secteurs – des finances à la santé en passant par les transports. L’enseignement y est défini comme un service parmi d’autres.
Merci à Samuel, Catherine et Céline qui ont, indépendamment, réalisé deux traductions pour cet article écrit originalement en allemand. Afin de ne pas faire de jaloux, nous les publions toutes deux, l’une en dessous de l’autre. Mais que cela serve de leçon à tous les autres généreux contributeurs : ne vous lancez jamais dans un tel travail sans nous en avertir au préalable !
Voici la traduction de Samuel Toledo et Catherine Bastyns
A propos du GATS – L’éducation n’est pas une marchandise
Pour mémoire, en 1995 les 149 pays de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) signaient un Accord général sur le commerce de services – AGCS, appelé plus couramment GATS (General Agreement on Trade in Services).
Cet accord comporte une liste détaillant les domaines dans lesquels les États s’engagent à libéraliser le commerce de services. 156 types de services ont été répartis en 12 secteurs, de la finance aux transports en passant par la santé. L’éducation, également définie comme service, y est de ce fait incluse.
En 2000 commençait une nouvelle étape de cette négociation, avec l’objectif de libéraliser encore davantage le commerce de services ; c’est-à-dire que les dispositions et normes nationales en matière de protection de l’environnement, de sécurité sociale et d’exigences de qualité sont envisagées comme des entraves au commerce. Le financement fiscal est considéré comme une subvention illicite, à moins que tous les opérateurs privés n’y aient également accès, y compris ceux émanant d’autres pays.
Ce ne sont pas les gouvernements nationaux qui négocient là, mais bien la Commission européenne. Et les grands consortiums de prestataires de services y sont représentés à travers leurs lobbys opérant dans le monde entier – par exemple Bertelsmann et Siemans pour la RFA.
En 1995, l’UE avait stipulé qu’en l’Europe, l’enseignement public sortait du champ de la Convention parce qu’il était organisé par les Etats. Aux termes de l’accord GATS, cette disposition prévaudrait jusqu’en 2010.
Les spécialistes du droit public international estiment que le GATS est un contrat d’un type inédit, parce que les États signataires se sont engagés à n’effectuer des amendements au contrat que dans une seule direction, à savoir l’élargissement de la libéralisation. Dès qu’un type de service ou un secteur entier a été ouvert, aucun État ne peut revenir sur cette décision et en reprendre l’organisation et la réglementation de manière interne. Le cadre réglementaire de l’OMC organise une procédure de plainte et prévoit de lourdes sanctions en cas de violations de la convention. C’est sur cette base que Boing a intenté une action contre EADS Airbus pour cause de subventions illicites de l’État. On négocie dès lors de la manière suivante : un État propose à un autre État (ou exige de lui) qu’il l’admette dans son « marché », comme cela s’est par exemple produit lorsque les USA, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Japon ont exigé des autres États qu’ils les admettent dans leur « marché » d’études universitaires, de formation professionnelle et de services de « tests de niveau ».
On entre dans un système de contrepartie, par exemple : « Tu ouvres ton marché de la santé à mes entreprises, et en échange j’autorise les tiennes à offrir des services de test dans mon marché ».
Beaucoup de détracteurs d’un tel marchandage, tels l’Internationale de l’éducation, le Syndicat des enseignants allemands (GEW) ou Attac, exigent pour cette raison l’arrêt du GATS ou au moins le retrait de cinq domaines de formation – l’école maternelle, l’école primaire, les cycles secondaires inférieur et supérieur, la formation tertiaire, ainsi que des services connexes (administration, développement, évaluation, etc.). Cette protestation se regroupe sous un mot d’ordre : « L’éducation est un droit de l’homme, pas une marchandise ».
On craint notamment qu’après 2010, la privatisation dans le domaine de la formation augmentera fortement si les grands consortiums implantent partout des écoles et se bousculent sur le marché dès lors ouvert de la formation.
Où en est-on actuellement ?
En fait, les négociations du GATS auraient déjà dû être clôturées en 2004. Pourtant, comme les négociations générales de l’OMC qui se menèrent à Cancun en 2003 ont échoué, celles du GATS ont également tourné court (le GATS est un secteur certes indépendant des négociations de l’OMC, mais qui leur est cependant lié).
Les pays en voie de développement qui font partie de ce qu’on appelle le G20, emmenés par le Brésil, l’Afrique du Sud, la Chine et l’Inde, ont exigé l’ouverture du marché agraire des USA et de l’UE et le retrait de leur protectionnisme en matière d’investissements. Les USA et l’UE n’étaient pas disposé à cela, et toutes les négociations capotèrent.
Depuis, on a reparlé en sous-main, entre gouvernements, UE et consortiums, de reprendre les négociations officielles, qui elles non plus ne sont pas publiques.
Tous les directeurs de l’OMC furent remplacés. Début août 2004, tous les Etats se sont accordés sur un planning. Les pays industriels s’engagèrent à supprimer les subventions aux exportations agricoles, les pays en voie de développement à réduire les droits de douane pour les produits industriels et à lever les limitations quant aux prestations de services. 37 pays ont déjà fait des offres relativement aux domaines de services pour lesquels ils renonceraient à réglementer l’accès et admettraient des prestataires privés internationaux. Parmi ceux-ci, 10 libéralisent le domaine de l’éducation : Taiwan, la Turquie, l’Italie, la Chine, Israël, l’Afrique du Sud, la Grèce, l’Irlande, l’Espagne et la Suède. On trouve là des offres telles que l’autorisation d’un partenariat privé-public pour les écoles ; le retrait de l’interdiction d’opérateurs étrangers dans l’enseignement, en particulier dans la formation professionnelle, les universités ; l’abandon de la régulation des certifications et accréditations. Les USA, la Nouvelle-Zélande, le Japon et l’Australie ont demandé à l’UE d’ouvrir à leurs entreprises privées la formation professionnelle, les bilans de compétences et la formation universitaire. Et l’UE a demandé aux USA d’en faire de même pour ses universités, et exige en outre de 111 pays 146 ouvertures de marché bien précises dans le domaine des services. Les USA demandent de plus à la Suède, à la Finlande et à l’Autriche que ces pays marquent leur bonne volonté pour ouvrir leur marché de formation, comme l’UE l’avait déjà fait en 1995. (Ces pays ne faisaient alors pas partie de l’UE.)
En tout, l’UE a reçu jusqu’à maintenant 30 demandes d’ouverture de marché, parmi lesquelles 10 dans le domaine de la formation, surtout en ce qui concerne les tests d’évaluation, les universités privées et la formation professionnelle.
A cet égard, le Japon demande que ses entreprises puissent être bénéficiaires de subventions (c’est ainsi que l’on nomme le financement fiscal au GATS) pour les types de services ne relevant pas des tâches d’enseignement ordinaires. Vu qu’il n’a pas été clarifié jusqu’à présent ce qu’on entend par « autres prestations dans le domaine de la formation » et ce qui est à considérer comme « tâche étatique », les observateurs estiment qu’il existe un risque important pour que les droits gouvernementaux à réglementer la culture et l’éducation soient sacrifiés à la mercantilisation. C’est ce qui a suscité l’intervention de l’UNESCO, qui s’efforce de limiter les dégâts.
L’Internationale de la formation estime qu’on en est arrivé à un tel point que c’est cette année-ci que se décidera si la formation s’établit au plan mondial en tant que marchandise à vendre ou si elle s’ancre durablement en tant que bien public et droit social.
La Commission Européenne s’est jusqu’à présent abstenue d’établir une liste de ce qui ne peut pas être privatisé – ce que les syndicats européens du service public avaient pourtant exigé. La Cour de justice des Communautés européennes a décidé que ce qui avait été ouvert une fois à la privatisation ne pourrait revenir à la souveraineté nationale. Sur ce point, Susan George (attac-France) estime qu’une libéralisation des services interne à l’UE risque d’aboutir plus rapidement, via l’adoption de la directive Bolkestein, que les négociations de longue haleine du GATS.
Reste la question de savoir sur base de quelle conception de la démocratie les autorités fédérales de la RFA, et aussi les Länder et les Communes, peuvent mener avec tant de cachotteries des négociations internationales dont les décisions auront une incidence profonde sur notre vie future. Là se perdent des droits obtenus de haute lutte, là la formation devient une marchandise, et tout cela sans qu’il y ait une large discussion quant à savoir si le droit à la formation, le droit à l’eau, à la santé,… peuvent vraiment être vus sous l’angle de leur rentabilité, s’il s’agit vraiment là de biens monnayables.
Que l’on puisse discuter de toutes ces questions avec la population, les initiatives de mobilisation populaire contre la privatisation des hôpitaux, des écoles professionnelles et de la distribution d’eau à Hambourg l’ont déjà montré.
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Voici la traduction de Céline Letawe
L’AGCS aujourd’hui – L’enseignement n’est pas une marchandise
Pour rappel : L’AGCS, l’Accord Général sur le Commerce des Services (en anglais « GATS »), a été conclu en 1995 entre les 112 états qui étaient membres de l’OMC à l’époque et s’applique aux 148 états membres actuels. C’est un accord de droit international qui comprend de longues listes énumérant les secteurs dans lesquels les états signataires s’engagent à libéraliser le commerce des services. 156 groupes de services ont été répertoriés en 12 secteurs – des finances à la santé en passant par les transports. L’enseignement y est défini comme un service parmi d’autres.
En 2000, les négociations ont repris afin d’élever le niveau de libéralisation du commerce des services ; plus concrètement : il fallait supprimer les lois nationales et les normes concernant la protection de l’environnement, la sécurité sociale et les exigences en matière de qualification qui représentaient un obstacle pour le commerce. Le financement public risque de ne plus être toléré comme moyen de subvention que s’il est accessible de la même manière à tous les « fournisseurs de service », y compris des fournisseurs privés ou étrangers. Ce ne sont pas les gouvernements nationaux qui négocient mais bien la Commission Européenne. Néanmoins, les grands fournisseurs de services comme Bertelsmann et Siemens en Allemagne sont aussi représentés par leurs lobbys qui opèrent au niveau mondial. En 1995, l’Union Européenne avait fait inscrire dans l’AGCS que l’enseignement officiel en Europe ferait exception à la règle. Cette mesure reste en vigueur jusqu’en 2010.
Pour les experts en droit international, l’AGCS est un accord d’un genre nouveau parce que les états signataires se sont engagés à n’entreprendre des modifications de l’accord que dans un sens : vers une plus grande libéralisation du commerce des services. Aucun état n’a le droit de revenir sur l’ouverture d’un secteur ou d’un service et de réglementer ce secteur ou ce service de façon interne. Les directives générales de l’OMC précisent qu’il est possible de « porter plainte », un processus qui débouche sur de lourdes sanctions pour toute violation de l’accord. Par exemple, Boeing a intenté un procès à EADS Airbus pour cause de subventions publiques non-autorisées.
Voici, très schématiquement, comment se passent les négociations. Un état exige certaines choses d’un autre état, par exemple, les États-Unis, l’Australie, la Nouvelle Zélande et le Japon ont demandé à tous les autres états que leur soit octroyé l’accès à leur marché des services dans le secteur de l’enseignement supérieur, de la formation professionnelle et des services ayant trait aux tests de niveaux. Alors, les autres pays peuvent revendiquer d’autres choses en retour : l’Union Européenne a exigé des États-Unis en contrepartie l’ouverture de leur marché des services pour l’enseignement supérieur. Et ainsi de suite : « Si tu ouvres ton marché de la santé à mes entreprises, alors j’ouvre à tes entreprises le marché des tests de niveaux ».
C’est pourquoi de nombreux groupes opposés à l’AGCS comme l’Internationale de l’Éducation, le GEW (Gewerkschaft Erziehung und Wissenschaft) ou attac demandent que l’on supprime l’AGCS ou que l’on en retire par exemple les cinq secteurs qui concernent l’enseignement (préscolaire, primaire, secondaire inférieur, secondaire supérieur, supérieur ainsi que les autres services liés à l’enseignement (administration, formation continue, services ayant trait aux tests de niveaux etc.). Ces groupes affirment que « l’enseignement est un droit, pas une marchandise ».
En effet, il est à craindre que le niveau de privatisation n’augmente de manière considérable dans le secteur de l’enseignement après 2010 si les grosses entreprises liées à ce secteur ouvrent partout des écoles etc. et s’imposent sur le marché de l’éducation.
La situation actuelle
En fait, en 2004, les négociations de l’AGCS devraient déjà être terminées. Mais vu que les négociations de l’OMC à Cancun en 2003 ont échoué, celles de l’AGCS sont elles aussi interrompues – car l’AGCS, bien qu’indépendant, reste lié aux négociations de l’OMC. Les états du « G20 », les pays en développement, conduits par le Brésil, l’Afrique du Sud, la Chine et l’Inde, ont exigé l’ouverture du marché agricole des États-Unis et de l’Union Européenne ainsi que le retrait de leur exigence sur la protection des investissements. Mais les États-Unis et l’Union Européenne n’étaient pas prêts à accepter une telle demande – et les négociations ont échoué.
Entre temps, les différents gouvernements, l’Union Européenne et les grosses entreprises ont poursuivi leurs discussions de manière bilatérale et à huis clos pour relancer les négociations officielles – à huis clos elles aussi. Tous les directeurs de l’OMC ont été remplacés. Début août 2004, tous les états membres de l’OMC se sont mis d’accord sur un programme de travail. Les états industriels ont promis de supprimer les subventions sur les exportations agricoles, les pays en développement ont promis de diminuer les droits de douane pour les produits industriels et de supprimer les limitations sur les services. 37 états ont fait des propositions quant aux secteurs de services pour lesquels ils veulent supprimer les réglementations nationales limitant l’accès et ouvrir le marché aux fournisseurs privés internationaux ; parmi ces 37 pays, 10 ont fait des offres concernant le secteur de l’enseignement : Taiwan, la Turquie, l’Italie, la Chine, Israël, l’Afrique du Sud, la Grèce, l’Irlande, l’Espagne et la Suède. Parmi ces offres, il y a par exemple l’autorisation de partenariat privé-public dans les écoles, la suppression de l’interdiction des sociétés étrangères dans l’enseignement, principalement dans la formation professionnelle et l’enseignement supérieur, la suppression des réglementations concernant l’octroi de licences et l’accréditation. Les États-Unis, la Nouvelle Zélande, le Japon, et l’Australie ont exigé de l’Union Européenne qu’elle ouvre les services ayant trait à la formation professionnelle, aux tests de niveaux et à l’enseignement supérieur à leurs firmes privées, l’Union Européenne demande aux États-Unis de faire de même pour l’enseignement supérieur et exige en outre de 111 pays 146 ouvertures de marché bien précises dans le domaine des services. De plus, les États-Unis demandent à la Suède, à la Finlande et à l’Autriche qu’ils soient prêts à ouvrir l’enseignement aux fournisseurs étrangers, ce que l’Union Européenne a déjà fait en 1995 (ces trois pays ne faisaient alors pas encore partie de l’Union Européenne). En tout, l’Union Européenne a reçu jusqu’ici 30 demandes d’ouverture de marché, dont 10 dans le secteur de l’enseignement, principalement pour les tests de niveaux, les hautes écoles privées et les formations professionnelles. Ainsi, le Japon demande que ses entreprises puissent profiter des subventions (tel est le nom donné aux financements publics dans l’AGCS) pour « divers services dans le secteur de l’enseignement », donc par exemple l’administration, les tests etc. Étant donné qu’on n’a pas encore défini ce qu’on entend par ces « divers services » et ce qui est à considérer comme « devoir de l’état », les observateurs craignent que les réglementations nationales concernant le culture et l’éducation ne soient sacrifiées au mercantilisme. Cela a provoqué l’intervention de l’UNESCO, qui essaye de limiter les dégâts.
Selon l’Internationale de l’Éducation, on décidera cette année si l’enseignement est une marchandise qu’on peut acheter ou un bien public et un droit social. La commission européenne a jusqu’à présent refusé de dresser une liste reprenant les secteurs qui ne peuvent pas être privatisés, tel que l’avaient demandé les syndicats européens des services publics. La cour de justice européenne avait décidé que tout secteur ou activité de service ayant fait l’objet d’une offre de privatisation ne pouvait plus être remis sous l’aile de l’état. Susan George (attac France) n’est pas la seule à penser que l’adoption de la directive Bolkestein au sein de l’Union Européenne atteindra les objectifs que les négociations laborieuses de l’AGCS n’ont pas encore pu atteindre.
Il est clair que l’on peut se poser des questions sur le sens de la démocratie qui a amené l’autorité compétente en Allemagne (le ministère fédéral de l’économie), mais également tous les Länder et les municipalités, de laisser se poursuivre de la sorte les négociations internationales et leurs cachotteries tout en sachant que les décisions qui sont prises sur ce plan international ont une profonde influence sur notre vie future. C’est ainsi que des droits obtenus au terme de longs combats sont perdus, que l’enseignement, voire même le monde, devient une marchandise et qu’il n’y a aucune discussion à grande échelle sur la question de savoir si le privé c’est aussi sensationnel qu’on le dit et si le droit à l’éducation, à l’eau, à la santé doit vraiment être associé à l’argent. Les initiatives populaires organisées autour de la privatisation des hôpitaux, des centres de formation professionnelle et des services des eaux à Hambourg ont rencontré un franc succès et montrent que l’on peut débattre de toutes ces questions avec la population.
(Sources: Newsletter de l’Internationale de l’Éducation (Bruxelles), Junge Welt du 2 août 2004, divers exposés présentés lors du 3ème Forum Social à Londres et débats sur place, discussions avec des participants et des observateurs lors des négociations au sein de l’AGCS entre l’Allemagne, le Danemark et la France. E-mail: elie.jouen@ei-ie.org Web: http://www.education-is-not-for-sale.org et diverses expertises et informations du „Network against merchandisation of education“)