Claude Thélot a remis son rapport sur l’Ecole au Premier ministre le 12 octobre dernier avec le bon espoir d’en faire un avant projet de la future Loi d’orientation.
Le ministre de l’Education nationale a pourtant tout fait pour donner le sentiment, lors de l’émission « 100 minutes pour convaincre », qu’il se démarquait clairement des propositions contenues dans le rapport Thélot. Il est vrai que ce rapport est un « chef d’oeuvre » des orientations libérales en matière d’école et de service public. Ses ressorts sont purement politiques, économiques et idéologiques (on est très loin des conclusions du débat, pourtant déjà tronqué, qui a eu lieu l’an passé). Il s’agit en fait de proposer les transformations de l’école pour l’adapter aux coordonnées libérales de la société.
Dans sa recherche effrénée du consensus, le ministre a très vite rappelé qu’il maintenait les objectifs de 80% d’une classe d’âge au bac et 100% d’élèves avec une qualification minimale. Il a même affiché le nouvel objectif de 50% de jeunes diplômés du supérieur. Malgré cela, l’équilibre à trouver pour « contenter » tout le monde s’est révélé bien difficile. Sa proposition d’imposer les remplacements entre professeurs d’un même établissement en cas d’absence n’a pas suffi à contenter les parents d’élèves dont les principales fédérations, qu’elles soient de gauche comme de droite, n’ont pas du tout apprécié le discours « passéiste » sur le redoublement et le retour à l’autorité qui s’ajoutait à la possibilité de punir collectivement les élèves.
C’est une offensive de grande ampleur contre l’Education nationale comme service public qui est programmée. Le rapport Thélot ne se contente pas d’esquisser les réformes du système souhaitées par les milieux économiques et patronaux. Il propose une transformation complète de l’Ecole : bouleversement des finalités éducatives, redéfinition restrictive des contours du service public, redéfinition des missions des personnels. Et si Fillon a choisi de se démarquer du rapport Thélot, ces propositions pour une école « plus efficace, plus juste, plus ouverte » reprennent sans vraiment les assumer les principales propositions du rapport.
Comme pour le dossier de l’assurance maladie, le gouvernement ne va sans doute pas aussi loin qu’il le souhaiterait, mais il met en place tous les dispositifs qui permettront à terme d’opérer les changements qu’il projette. D’où l’intérêt de revenir sur le projet initial développé dans le rapport de Claude Thélot.
le cadre européen de la stratégie de Lisbonne
La question de l’éducation, en théorie, n’est pas du domaine de compétence des directives de la commission. Elle reste sous la responsabilité des Etats membres. Mais depuis 1999-2000 a été initié l’objectif de « l’Economie de la connaissance », et a été posé le problème de l’efficacité des différents systèmes éducatifs en lien avec les politiques de l’emploi, afin de faire de l’Union européenne l’économie la plus compétitive et la plus dynamique du monde.
En 2000, sept organisations patronales européennes, dont le MEDEF, ont publié un rapport sur l’éducation scolaire qui résume les critiques patronales à l’égard des systèmes scolaires. Il commence par affirmer que l’émergence de l’économie cognitive signifie que les hommes et les femmes sont devenus la clef de la compétitivité internationale. A partir de là, les changements qu’il faut impulser peuvent se résumer ainsi :
– Les employeurs ne veulent pas d’une éducation commune de haut niveau pour tous.
– L’enseignement primaire doit assurer la maîtrise des compétences de base.
– Le secondaire doit assurer une série de cursus diversifiés en vue d’obtenir une force de travail différenciée et stratifiée.
– La mise en concurrence des établissements d’enseignement supérieur.
Le rapport Thélot s’inscrit complètement dans ce cadre et s’appuie sur une vision duale du marché de l’emploi pour les années à venir : dualité très forte entre, d’une part, des emplois sûrs et valorisés dans le noyau dur de l’économie, et d’autre part une constellation d’emplois périphériques dans le travail temporaire, la sous-traitance, l’externalisation, les statuts précaires, le travail indépendant mais subordonné etc… Cette analyse de l’évolution du marché de l’emploi est en contradiction avec les projections faites par le Plan ou le Haut Conseil à l’évaluation qui prévoient au contraire un besoin en qualification très élevé dans les dix prochaines années.
Est-ce réellement une contradiction ? « La société de la connaissance », cadre de référence de l’analyse, est un titre trompeur qui tend à faire croire que le marché du travail exigerait une élévation générale des niveaux de formation. C’est en fait à une recrudescence des emplois non qualifiés que l’on fait face (en 2001, le nombre d’emplois non qualifiés retrouve son niveau de 1982).Cela peut s’expliquer par le développement d’une organisation du travail plus flexible, basée sur la production à flux tendu qui a rendu à son tour nécessaire la délégation de nombreuses tâches de l’industrie vers des entreprises de service.
Fillon s’est nettement démarqué des ces orientations en fixant l’objectif de 50% de jeunes diplômés du supérieur, reprenant sans doute à son compte les travaux du Plan qui tablent sur une augmentation de l’emploi très qualifié de l’ordre de 25 % pour les cadres et 14 % pour les professions intermédiaires dans les prochaines années. Mais surtout il n’a pas voulu assumer l’un des aspects les plus brutaux du rapport Thélot.
Des contraintes budgétaires structurelles
C’est une dimension incontournable du rapport et de toutes les évolutions actuelles. On touche là l’essentiel. Ainsi, on peut lire dans le document de travail du ministre distribué aux organisations syndicales, que l’« on constate une stagnation depuis dix ans environ des résultats de notre système éducatif malgré la baisse des effectifs des élèves et l’accroissement continu des moyens humains et financiers qui lui ont été consacrés ».
La politique de restriction des dépenses publiques est assumée sans complexe, en particulier la réduction des effectifs des agents publics. Et si Fillon a annoncé 150 000 recrutements de professeurs dans les années à venir, il oublie de dire que cela ne suffira pas à remplacer tous les départs à la retraite.
Toutes les mesures envisagées le sont à moyens constants, en augmentant encore la productivité des personnels, par des mesures organisationnelles et structurelles qui permettent les économies d’échelles, en renvoyant au niveau local les responsabilités et une partie des financements. Pire, les ministères sont sommés, via les stratégies ministérielles de réformes, de « procéder à des ajustements structurels » afin de faire des économies.
La mise en place de la LOLF est considérée dans ce cadre comme une opportunité pour favoriser la réforme du système. La nouvelle structuration du budget en programmes, missions et actions obligera à considérer globalement la masse salariale qui sera gérée au niveau des rectorats. Cela aura des conséquences très importantes sur le recrutement et sur les promotions des personnels (définition des règles rectorat par rectorat). Mais surtout, c’est un encouragement à recruter des personnels précaires pour réduire les coûts.
L’hypocrisie consiste à maquiller des choix budgétaires en choix politiques pour l’Ecole. Ainsi de l’introduction d’une part plus grande de contrôle continu dans le baccalauréat (c’est déjà le cas pour l’éducation physique et sportive). La part d’évaluation locale ne permettra pas de garantir la valeur de diplôme national et de premier grade universitaire. Cela entraînera sans aucun doute des inégalités entre bac suivant les établissements, les villes, les quartiers… avec un renforcement des inégalités pour les jeunes des banlieues.
Un point de vue très idéologique
Les membres de la commission Thélot ont cherché à résoudre la contradiction entre, d’une part, une demande sociale d’éducation de plus en plus forte, des besoins économiques d’élévation des qualifications, et d’autre part une société fortement hiérarchisée, dans laquelle les inégalités sociales se renforcent. On pouvait lire par exemple dans le pré rapport : « La notion de réussite pour tous ne doit pas prêter à malentendu. Elle ne veut certainement pas dire que l’Ecole doit se proposer de faire que tous les élèves atteignent les qualifications scolaires les plus élevées. Ce serait une illusion pour les individus et une absurdité sociale puisque les qualifications scolaires ne seraient plus associées, même vaguement, à la structure des emplois ». Les rapporteurs opposent aux qualifications la notion de compétences qui sert à délégitimer la reconnaissance sociale des qualifications pour déboucher sur une gestion individuelle des compétences.
Quant à Fillon, s’il s’est voulu rassurant sur le sujet, il n’a pas éliminé les sujets d’inquiétudes. S’il réaffirme le choix du « collège unique », c’est pour mieux s’en détourner. Il généralise la 3e de découverte professionnelle qui organise une pré orientation des élèves, valorise le développement de l’alternance dès la quatrième. La réussite de tous les élèves repose sur leur « talent », leur « mérite », l’individualisation des parcours. Les 3 heures de soutien pour les élèves en difficultés pourraient être financées par un redéploiement des moyens actuellement attribués à l’éducation prioritaire !
Enfin, le discours de Fillon reste centré sur les valeurs d’autorité, de comportements. Il propose, non sans démagogie, d’inscrire la liberté pédagogique dans la future loi d’orientation, mais dans le même temps il crée un Conseil pédagogique dont la fonction est précisément … d’encadrer cette liberté.
Dans le détail du rapport
Le rapport comporte trois volets concernant les finalités éducatives, les missions des personnels et l’organisation du système.
Un bouleversement des finalités éducatives
Le rapport s’appuie sur la crise profonde de l’Ecole, la conscience partagée qu’il faut la transformer et de la difficulté à atteindre les objectifs de la loi d’orientation de 1989.
Difficile de nier aujourd’hui que le système éducatif patine. Après une période spectaculaire de massification, un tournant s’est opéré à partir de 1995 : arrêt de la progression du nombre de bacheliers, avec une diminution significative des bacheliers des filières générales ; un nombre de jeunes qui sortent sans qualification du système éducatif qui semble incompressible (8%, 60000). Les objectifs majeurs de la loi d’orientation de 1989 (80 % au niveau bac et tous les jeunes qualifiés au moins au niveau 5) semblent inaccessibles.
Ainsi :
– le rapport Thélot rejette explicitement la politique de massification scolaire qui a prévalu ces dernières années.
Il oppose à la réussite de tous, la possibilité pour chacun d’avoir une réussite individuelle : « L’Ecole doit s’adresser à des individualités ». L’objectif premier de l’école est la maîtrise d’un socle commun de connaissances et d’aptitudes « en vue d’une intégration sociale et d’une vie personnelle réussie ». Il recycle la notion de compétence de base qui a court dans les milieux économiques européens. Nul n’est tenu d’atteindre des objectifs que l’on fixerait pour tous, à chacun selon ses possibilités ! A la notion d’égalité des chances (égalité d’accès aux études, droit d’entrer dans la compétition scolaire), le rapport substitue la notion d’égalité des résultats qui peut sembler plus progressiste. Mais cette égalité de résultats s’appuie sur des parcours individuels. Du coup : « L’égalité de résultats ne signifie pas que les élèves obtiennent les mêmes résultats mais que chacun réussisse selon ses talents, ses goûts et ses efforts ».
A chaque fois, la question de la civilité est première. Elle est même un préalable, une « condition de l’acte d’enseigner » et non une conséquence. Ce n’est plus ce qui doit être enseigné qui est premier mais le comportement des élèves. Il s’agit d’« éduquer à vivre ensemble » et non d’apprendre ensemble. « Le socle commun se décline en termes de connaissances, de compétences et de règles de comportement ».
Le contenu de cette éducation est édifiant : on est dans le respect des règles, dans la civilité, dans la maîtrise de soi, pas dans l’esprit critique, la compréhension du monde. D’outil pour apprendre, la civilité et la citoyenneté deviennent des objectifs en soi.
Le socle commun de l’indispensable se résume à la maîtrise de la langue et des opérations mathématiques, des compétences à valoriser (l’anglais de communication « internationale », la maîtrise des TICE, l’éducation à vivre ensemble). Le suivi des enseignements obligatoires du CE2 à la 6ème est conditionné à l’acquisition du socle commun. Outre ce socle de base, les enseignements obligatoires comprennent l’art, l’EPS, le travail et la culture générale qui n’est pas définie. On ose à peine espérer que la culture générale comprendra les sciences, l’histoire, la géographie… De la 5ème à la 3ème, les matières optionnelles recoupent tous les enseignements obligatoires. Pour préciser à travers un exemple : un élève de 5e qui « maîtrisera » la langue pourra suivre un cours facultatif de littérature.
– Le rapport revient sur le mouvement pluriséculaire de progression du droit à une éducation commune.
La formation initiale commune serait réduite aux deux extrémités du système : la scolarisation obligatoire commencerait à partir de la grande section de maternelle (quid des deux premières années de maternelle ?) et serait réduite au collège à la sixième, la diversification commençant dès la 5e.
Cela se ferait par le biais d’une individualisation extrême des parcours (dès le CE2), tout cela au nom du droit à la différence, credo favori des libéraux. D’où la référence aux « goûts » et aux « talents » des élèves. Cette individualisation des parcours était déjà présente dans la loi d’orientation de 1989, symbolisée par la célèbre formule de « l’élève au centre du système éducatif ». Le système est organisé en fonction des rythmes et des aptitudes des élèves : cycles d’apprentissage, diversification des contenus. L’orientation future des élèves serait déterminée à partir du cycle de détermination. Dans ce « cycle de diversification », le collège aide le jeune à élaborer un projet « éclairé » qui conditionne les enseignements qu’il va suivre : « Les enseignements obligatoires et optionnels validés permettraient de construire une hiérarchie des disciplines presque individuelle parce que fortement liée au projet de chaque élève ».. Le rapport résout la contradiction actuelle entre les exigences et les performances des élèves, les inégalités d’accès au savoir et l’échec massif, il les supprime : chaque élève se réalise selon ses goûts, ses talents et ses efforts et ceux qui ne maîtrisent pas le socle commun réussiront « plus tard » dans le cadre de la formation tout au long de la vie (FTLV).
Le lycée est organisé en trois voies étanches (« Trois ensembles de voies définis par leur finalité ». « Des voies diversifiées en séries typées à partir de la première »). Le passage au lycée assuré pour tous les élèves quelle que soit la voie choisie. Il est conditionné à l’acquisition des enseignements obligatoires et optionnels que tous les élèves ne suivront pas. En effet, en fin de scolarité obligatoire, les élèves qui auront réussi « le certificat de maîtrise du socle pourront poursuivre leurs études à condition qu’ils aient validé d’autres enseignements en correspondance avec leur projet de formation » (p.44). On est bien dans la filiarisation à partir de la 5ème.
La destinée scolaire et sociale des élèves en fonction de leurs origines n’est jamais posée..
– L’objectif de l’élévation du niveau de qualification pour tous est abandonné.
Il est à noter qu’en 1989, la loi d’orientation Jospin enregistrait plus qu’elle ne l’initiait le mouvement général d’élévation des qualifications. Dans un monde où l’environnement économique est instable, où le travail évolue rapidement et où l’emploi doit être avant tout flexible, la formation initiale est recentrée sur la « capacité d’apprendre à apprendre », de se mouvoir dans la sphère du travail. Les connaissances et compétences sont acquises surtout dans le cadre de l’activité.. C’est donc une formation initiale réduite à un socle commun indispensable que nous propose le rapport Thélot avec le développement d’une formation tout au long de la vie ultérieure, dont l’utilité est clairement associée à la flexibilité.. Le rapport admet même l’idée de sorties sans que le socle minimum lui-même ait été atteint, à charge pour la FTLV de combler ces lacunes de départ. Cette logique de « voie de recours » conduirait en réalité à exclure définitivement une fraction des jeunes de tout accès à une culture polyvalente de haut niveau et risque d’entraîner une augmentation du nombre de sorties sans qualification.
Le rapport prévoit la création d’un statut du lycéen professionnel, notamment par un dispositif de rémunération, pour revaloriser l’enseignement professionnel. Cette rémunération est « justifiable par la pratique de l’alternance », contrepartie de l’activité durant les périodes de passage en entreprise. Cette proposition est contestable à plus d’un titre : d’une part parce qu’elle fait du lycéen un salarié d’entreprise ; ensuite parce que le résultat risque d’être une orientation vers l’enseignement professionnel des enfants des familles les plus modestes pour des raisons économiques. Enfin parce que devrait être posé le statut de tous les lycéens, et à partir de là le problème des allocations d’études (sphère de l’école et pas de l’entreprise) et la gratuité réelle de l’enseignement (lutter contre le problème des petits boulots, qui ne touche pas que les lycéens en LP).
La gestion et le pilotage du système
« L’Ecole de la réussite doit être une Ecole efficace ».
– Un renforcement de l’autonomie des établissements
« Pour assurer la mobilisation des volontés, des énergies et des compétences, l’échelle la plus appropriée est bien celle de l’établissement ». Tout est dit : il faut renforcer la capacité d’action et la responsabilité des établissements scolaires. La collégialité au sein des établissements, que la « commission appelle de ses voeux », et le renforcement de l’autorité et de la responsabilité du pôle de direction passent par un renforcement des pouvoirs du chef d’établissement, l’autonomie pédagogique et de gestion. Cela se traduit par la nomination de multiples intermédiaires entre les personnels et le chef d’établissement. (Direction de la vie éducative, direction des études, direction technique, direction administrative et financière). C’est le règne des petits chefs et de l’arbitraire ! En fait, une nécessité pour assurer « le sentiment d’appartenance à une équipe et la cohésion au sein des établissements ». Les personnels de l’éducation se révèlent bien trop réfractaires aux projets qui leurs sont présentés !
Le renforcement de l’autonomie des EPLE et le renforcement du pouvoir des chefs d’établissement visent à reporter sur le local des choix et décisions qui devraient relever du plan national. Cela favorise le désengagement de l’Etat et va dans le sens du credo libéral qui consiste à réduire l’intervention de ce dernier par une redéfinition restrictive des contours du service public d’éducation.
C’est un bon moyen de réduire les coûts. Mais c’est aussi un moyen d’externaliser des missions de service public, et donc de rapidement les privatiser (cantines scolaires, gardiennage, nettoyage…). L’expérience du lycée de Blois qui a embauché des vigiles pour pallier le déficit de MI-SE et d’assistants d’éducation illustre parfaitement ce fait.
L’autonomie sert la mise en concurrence des établissements publics, entre eux et aussi avec le privé : « Présenter à l’élève et à ses parents systématiquement et sur un même plan toute l’offre de formation pour un choix donné, qu’elle relève d’établissements publics, privés, agricoles, du domaine de santé et de l’action sociale ou de centre de formation d’apprentis ». Le rapport n’hésite d’ailleurs pas à satisfaire les consommateurs (pas tous, ceux qui connaissent bien le fonctionnement du système scolaire et ne sont pas captifs de leur lieu d’habitation) : la proposition est faite d’ « ouvrir les possibilités de choix des familles sur un espace scolaire où la mixité sociale est réelle ».
L’autonomie doit être renforcée dans le cadre d’ « une démarche contractuelle avec l’autorité académique et la collectivité territoriale », la contractualisation étant présentée comme unique solution à une nécessaire diversification pour faire réussir tous les élèves.
En réalité, l’autonomie des établissements et la décentralisation n’ont d’intérêt que s’il y a partage des compétences. D’où la démarche contractuelle. Mais celle-ci n’a de sens que s’il y a contractualisation des « différences » (sinon cela rentre dans le cadre « normal » des missions de services public), ce qui tend à la réduire à un « service minimum » : l’individualisation des situations est partout : prise en compte des spécificités des élèves, des établissements, des territoires… Or, en contractualisant la différence, on induit des logiques d’éclatement du service public.
Ainsi, la dotation horaire globale (DHG) serait définie à partir de trois corbeilles (toujours au nom de la nécessaire diversification des parcours) : une dotation identique pour assurer les enseignements communs ; 8 à 10 % de la DHG laissés au libre usage contractualisé de l’établissement ; une dotation supplémentaire (de 0 à 25 % de la DHG) « définie sur critères spécifiques de manière à promouvoir la mixité sociale ». Il est donc clairement envisagé de contractualiser les moyens supplémentaires (moyens spécifiques liés aux caractéristiques de la population scolaire), en proposant une liberté d’action sur le terrain qui aurait pour contrepartie une évaluation des résultats obtenus. Loin de reconnaître les effets pervers engendrés par la décentralisation et par l’autonomie des établissements (concurrence entre établissements, pressions consuméristes et utilitaristes des familles, renforcement des difficultés pour les établissements les plus fragiles, révision à la baisse des exigences communes…) la réforme les accentuerait davantage. Le risque de définition de normes et objectifs adaptés à l’établissement au nom du réalisme local est pourtant bien réel et nullement combattu. Les ghettos scolaires ont de beaux jours devant eux !
La lutte contre les discriminations et la ségrégation sert de prétexte à l’introduction de la déréglementation totale pour certains établissements, au renforcement de la contractualisation des moyens et des pouvoirs hiérarchiques pour tous. Le caractère propre des établissements sort renforcé des mesures préconisées.
– Un modèle de gestion managérial
Le rapport ressort toutes les orientations en matière de gestion managériale : « Passer du gouvernement par les règles au pilotage par les objectifs et les résultats ». L’idée de base assénée est que seul le mode de gestion managériale (le modèle du privé) est source d’efficacité, permet un pilotage rationnel. En fait, c’est la mise en concurrence qui pousse à gérer l’entreprise publique comme une entreprise privée.
Les problèmes pédagogiques et professionnels sont assimilés à des problèmes techniques. Cette vision managériale n’est pas nouvelle et est de plus en plus répandue dans l’administration de l’éducation.
– L’établissement, un partenaire pour son environnement
Le partenariat avec l’entreprise est présenté sous un jour avantageux : il peut permettre « la connaissance du monde du travail, des métiers et des débouchés prévisibles », aider les « élèves à construire un projet éclairé de formation », en fait un projet professionnel. Les professionnels des entreprises et des métiers sont étroitement associés à l’éducation aux choix (brevet acheté par l’UIMM, rappelons-le) tandis que les conseillers d’orientation y participent « en tant que de besoin ».
Dans les faits, il y a de plus en plus de conventions passées entre des rectorats et le …MEDEF.
Les partenariats entre la police, la justice et l’éducation nationale sont appelés à être généralisés.
La gestion des ressources humaines
– Mission et service des enseignants
« Renouveler les missions et faire évoluer le service des enseignants ». Ce sont les deux tâches qu’assigne la commission. L’objectif est clair : profiter du renouvellement de la moitié du corps enseignant pour transformer le métier.
La prééminence des thèmes de la vie éducative, du vivre ensemble, de la cohésion sociale nécessite d’intégrer à la définition du métier toutes les tâches périphériques à l’acte d’enseigner. C’est une revendication des personnels : reconnaître l’ensemble des tâches autres que l’enseignement. Mais dans le cadre des restrictions budgétaires et de la suppression de dizaines de milliers d’emplois d’adultes dans les établissements (suppression des MI-SE, des aides éducateurs en particulier), cela passe nécessairement par un alourdissement des tâches des enseignants, qui en quelque sorte feraient tout : éduquer, orienter, instruire, remplacer les personnels absents…. D’où la proposition d’augmenter dans le secondaire le service de 4 à 8 heures suivant l’établissement. Le rapport propose la reconnaissance et la rémunération de ces tâches. Le risque est grand de voir les professeurs les plus jeunes accepter, parce qu’ actuellement dans les faits le travail est réalisé gratuitement.
On peut très bien voir aussi un objectif plus politique dans la redéfinition des tâches des enseignants: occuper toute la semaine les enseignants et ils auront moins de temps pour revendiquer et s’opposer aux transformations en cours.
Dans le premier degré, ces tâches se feraient par une augmentation de la productivité (impossible d’aller au-delà des 28 heures actuelles). [Travail en équipe et nouvelles relations avec les parents lors de la 27e heure, suivi individualisé des élèves lors de la 26e heure devant élèves].
On imagine mal comment le statut enseignant pourra rester longtemps national alors que le service dépendra des établissements.
Toutes les fonctions qui ne sont pas directement liées à l’acte d’éduquer (au sens restrictif) ou d’enseigner sont rejetées hors de l’Education nationale : assistantes sociales , infirmières, médecins scolaires, psychologues. A charge pour les enseignants de repérer les difficultés extrascolaires et de renvoyer sur les services sociaux et de santé. C’est un moyen clair de réduire les coûts, mais ce peut aussi être un moyen de privatiser certaines missions.
– Formation et recrutement
Tous les projets qui ont été combattus ces dernières années ressortent :
° Recrutement de professeurs bivalents pour le second degré (épreuves sur deux matières) avec entretien d’aptitudes, spécialisation des professeurs des écoles qui exercent dans le cycle des approfondissements. Les propositions de Fillon de double certification et la possibilité pour les personnels des lycées professionnels d’enseigner en 6e sont un moyen d’introduire à terme une bivalence très contestée par les professeurs des lycées et collèges.
° Formation professionnelle initiale des enseignants étalée sur deux ans, mais conçue comme moyen de remplacement.
° Formation continue obligatoire sur le temps de travail mais hors du temps d’enseignement, ce qui signifie dans le cadre des 4 à 8 heures supplémentaires !
° « Reconnaître la réussite individuelle et collective des enseignants pour la valoriser et détecter les carences individuelles et d’équipes pour y remédier ». C’est l’introduction du mérite…
° Régionalisation des recrutements et des affectations pour le second degré.
Fillon a jugé bon, pour sa grande émission de télévision, de ne retenir que peu de chose de la cohérence du Rapport Thélot. Celle-ci n’en existe pas moins, disponible pour qui voudra imposer la logique du libéralisme à l’éducation. Prochain épisode : la loi d’orientation, le débat parlementaire et les réactions des enseignants…