Ayant pris connaissance de la Déclaration commune en vue d’un « Contrat stratégique pour l’Education », l’Appel pour une école démocratique (Aped) se réjouit de constater que l’extrême disparité de niveaux,entre élèves et entre établissements soit enfin reconnue comme le problème majeur de l’enseignement en Communauté française (que viennent d’ailleurs de rappeler les résultats de l’enquête PISA-2). Si l’on peut regretter que la dimension sociale de cette ségrégation soit absente du constat, nous en reconnaissons néanmoins le caractère globalement lucide et courageux.
Notre déception est d’autant plus grande en lisant les propositions d’action formulées dans la Déclaration. Non seulement celles-ci sont largement insuffisantes, mais elles vont même, souvent, dans le sens opposé de ce qu’il conviendrait de faire.
1. La déclaration commune affirme d’emblée que la Ministre et ses partenaires vont « conjuguer leurs efforts pour permettre au système éducatif de remplir ses missions dans (le) cadre budgétaire(actuel) ». Or, le sous-financement de notre enseignement est l’une des premières causes de la catastrophe. Depuis 1980, les dépenses publiques d’enseignement sont tombées de 7% du PIB à 5,2%. Nos dépenses par élève, dans l’enseignement primaire, se situent entre 20% et 70% en dessous du niveau des pays scandinaves (qui affichent les meilleurs résultats moyens et la plus faible discrimination sociale selon les tests PISA). Dans ces conditions, il est matériellement impossible de mettre en place une politique de remédiation efficace.
2. La deuxième cause majeure de ségrégation sociale est le caractère précoce de la sélection en filières hiérarchisées. Or, au lieu de préconiser la mise en place d’un tronc commun d’enseignement général et polytechnique jusqu’à l’âge de 16 ans, comme le recommandent la plupart des experts, la déclaration propose au contraire de renforcer le caractère professionnalisant de l’enseignement de qualification et d’introduire, dès l’école primaire, des mécanismes d’orientation prétendument « positive ». Cela diminuera peut-être les taux de redoublement, mais au prix d’un nouveau renforcement de la dualité sociale de l’école.
3. Le troisième facteur d’inégalité est l’organisation de notre enseignement sur la base d’un « quasi-marché », qui favorise les phénomènes de concentration sociale et de dualisation en écoles « élitistes » et écoles « ghettos ». Le projet de contrat stratégique ne propose aucune mesure sérieuse pour mettre fin à ces mécanismes. L’organisation en bassins scolaires ne répond nullement à cet objectif puisqu’on ne touche ni à la sacro-sainte « liberté de choix » des parents, ni à la division de notre enseignement en réseaux.
4. Les mécanismes de différenciation entre établissements se trouvent démultipliés par le « flou artistique » des nouveaux programmes et de l’approche « par compétences ». A cet égard, la Déclaration commune se contente d’en appeler à un renforcement des apprentissages de base (que nous reconnaissons comme nécessaire) alors que c’est toute la cohérence des programmes, du fondamental au secondaire supérieur, qu’il conviendrait de reconstruire.
Par conséquent, l’Aped invite les organisations représentatives des enseignants et des parents à la plus grande prudence dans la négociation du Contrat stratégique. Nous refusons un enseignement socialement inégal, répondant uniquement aux attentes d’un marché du travail dualisé. Notre projet d’une école démocratique et émancipatrice est, au contraire, d’amener tous les futurs citoyens à la maîtrise d’une vaste culture commune, qui leur permette de comprendre le monde et de participer à sa transformation. Elle implique la mise en place de l’école commune jusqu’à 16 ans, des programmes clairs et ambitieux et un refinancement à hauteur d’au moins 7% du PIB.