Dominique Bar nous propose ses notes de lecture du rapport Thélot.
Le rapport s’intitule : « Vers la réussite de tous les élèves », il est issu de la « réflexion » de la COMMISSION DU DÉBAT NATIONAL SUR L’AVENIR DE L’ÉCOLE présidé par Claude Thélot (.Rapport provisoire Août 2004). Son enjeu est clair : « éclairer les choix du gouvernement sur les principales lignes d’évolution possibles et souhaitables du système éducatif français pour les quinze prochaines années dans le cadre de la préparation de la prochaine loi d’orientation ».
La stratégie du gouvernement est en quatre temps. La première phase a consisté en une parodie de débat à travers le «débat national sur l’avenir de l’école », la seconde en une synthèse intitulée le « miroir du débat », le présent rapport précède l’adoption de la loi d’orientation 2005 de l’éducation nationale abrogeant celle de 1989.
Ce rapport est dans la droite ligne de la loi d’orientation de 1989 concernant l’organisation de l’éducation nationale (décentralisation/territorialisation/autonomie), il en est à son opposé quant aux concepts de base justifiant sa mise en œuvre (ce qui pourrait faire douter de la franchise pédago-philosophique de la loi d’orientation Jospin !).
Les mobiles du rapport Thélot :
La pierre angulaire de la loi d’orientation de 1989 était de « mettre l’enfant au centre du système », celle de la commission Thélot est d’y substituer le « marché de l’emploi ».
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L’adaptation de la formation à l’emploi : une tâche difficile et incertaine. Les performances économiques futures de la Nation dépendront de la richesse du « capital humain », ce qui conduit à justifier l’ambition d’accroître le niveau de formation et de qualification des individus ; mais l’incertitude de l’avenir conduit à souhaiter que cet accroissement ne se produise pas lors de la « formation initiale » : il devrait au contraire résulter de l’essor de la formation tout au long de la vie ;
– la part des emplois « peu qualifiés » ou requérant une qualification d’ordre « comportemental» ou « relationnel » demeurera considérable dans l’avenir : certains domaines d’activité (vente, services à la personne, etc.) devraient donner lieu à une création d’emplois importante ; dans les métiers d’employés et d’ouvriers peu qualifiés , la destruction des emplois sera plus que compensée par la nécessité de remplacer les départs massifs à la retraite qui vont intervenir à partir de 2005 . La mission première de l’École de demain sera d’assurer le socle commun qui devrait permettre à tous non seulement de s’insérer professionnellement et socialement mais aussi d’apprendre à apprendre tout au long de la vie . Cette seconde fonction du socle est essentielle dans la perspective de la montée en puissance de la formation tout au long de la vie.
L’article 3 de la loi d’orientation de 1989 énonçait des objectifs quantifiés -« conduire d’ici dix ans l’ensemble d’une classe d’âge au minimum au niveau du certificat d’aptitude professionnelle et 80% au niveau du baccalauréat » – qui n’ont pas été atteints, surtout le second. La Commission considère que le défi que l’École devra relever à l’horizon des deux décennies à venir peut difficilement se traduire en termes de niveaux d’étude, ou même de diplôme, atteints par telle ou telle proportion d’une classe d’âge . Il vaudrait mieux s’assurer que l’ensemble d’une classe d’âge maîtrise, à l’issue de la scolarité obligatoire, les compétences nécessaires (notamment comportementales) à une vie personnelle et à une intégration sociale réussies.
Que faut-il entendre par « réussite de tous les élèves » ?
La notion de réussite pour tous ne doit pas prêter à malentendu. Elle ne veut certainement pas dire que l’École doit se proposer de faire que tous les élèves atteignent les qualifications scolaires les plus élevées . Ce serait à la fois une illusion pour les individus et une absurdité sociale puisque les qualifications scolaires ne seraient plus associées, même vaguement, à la
structure des emplois.
L’École de la réussite doit être une École efficace dans la mesure où elle mobilise ses ressources de façon rationnelle et maîtrisée.
le monde de l’entreprise – à travers son insistance sur les règles de socialisation dans le processus de formation d’actifs qualifiés – paraît plus demandeur en « éducation » que d’autres
acteurs ou partenaires de l’École. P16
Les emplois d’avenir du capitalisme libéral se situent dans le tertiaire précaire sous-qualifié, Thélot nous dit qu’il serait irrationnel – économiquement parlant – de dépenser plus qu’il ne faudrait pour former les futurs jeunes travailleurs : les qualifications scolaires doivent être associées à la structure des emplois. Si besoin est, le surcroît de qualification peut être acquis au sein de l’entreprise par le biais de la formation tout au long de sa vie ( notion revendiquée par le PS et issue du patronat à travers l’ERT -European Round Table- groupe de pression des patrons européen – ). Le bagage de chaque élève se trouverait ainsi compressé au maximum et réduit au « socle de compétences : lire- écrire- compter-et compétences comportementales (politesse de base associée à une attitude de soumission).
Le résultat étant une économie en moyens (quel que soit l’opérateur futur, Etat, communes, privé) donc une économie pour le patronat ( le _ de leurs impôts allant à l’Education Nationale), et une manière de plus d’assujettir les travailleurs à la botte patronale ( les travailleurs se formant au cœur de l’entreprise).
Monsieur Thélot, bonne âme, se pare du bonnet de conseiller d’orientation de masse en augurant du contexte de l’emploi de demain :
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CRÉER ET VALORISER DES FORMATIONS CONDUISANT AUX MÉTIERS
PARA-MÉDICAUX ET DE L’ACCOMPAGNEMENT DES PERSONNES
L’allongement de la durée de vie, l’éclatement de la cellule familiale et l’élévation du niveau de vie font du secteur des services à la personne, qui recouvre une multitude d’activités, un des secteurs d’avenir les plus porteurs en termes d’emploi pour les prochaines décennies. Cette opportunité de débouchés conjuguée à l’appétence des jeunes pour ce domaine amène la Commission à préconiser l’identification, tant au sein de la voie professionnelle qu’au sein de celle qui conduit à des études supérieures courtes, de voies et de séries spécialisées dans les services à la personne, la santé et l’action sociale, qui devraient s’ouvrir plus qu’aujourd’hui aux jeunes filles mais aussi aux jeunes hommes. Dans le domaine professionnel , la voie naturelle est bien celle menant d’abord au BEP sanitaire et social , puis aux formations et diplômes
proposés par le ministère de la Santé . Parce qu’il est porteur d’emploi…
Concernant l’AIS :
Le corps des instituteurs spécialisés, après la réforme du CAPASH, est tout bonnement supprimé:
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La Commission estime que l’aide à apporter aux élèves qui éprouvent des difficultés et la prise en compte de leur diversité relèvent du travail quotidien de l’équipe pédagogique dans la classe , dans le cycle et dans l’école. Le fait d’isoler un élève ou un groupe d’élèves pour lui apporter une
aide spécifique, sans continuité avec les activités conduites en classe, ne lui semble pas constituer une réponse efficace à la difficulté. Aussi la Commission propose-t-elle de répartir , entre les écoles, les enseignants qui exercent actuellement dans les réseaux d’aide aux élèves en difficulté . À l’avenir, aucun enseignant ne devrait donc être cantonné à telle ou telle mission (élèves en difficulté, consolidation, etc.) ; tous seront des spécialistes du traitement de l’hétérogénéité des élèves et contribueront à la collégialité des pratiques pédagogiques dans le contexte de décloisonnements à l’intérieur des cycles.
Les collègues spécialisés apprécieront !
Concernant la laïcité :
Dans la continuité du collège, la Commission estime important que les lycéens bénéficient, quelle que soit la voie choisie, d’une « formation de la personne et éducation du citoyen » : éducation à la vie dans notre société, apprentissage de la vie et du monde. Les enseignements qui contribueraient à cette formation sont ceux dévolus jusqu’ici à l’enseignement civique, juridique et social (ECJS), auxquels il conviendrait d’intégrer des éléments de droit et d’économie, de sciences politiques, ainsi que l’enseignement du fait religieux .
Là aussi, une surprenante continuité avec la politique de Jack Lang.
L’organisation de l’école primaire :
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L’organisation de l’école primaire doit impérativement évoluer.
Pour ce faire, la Commission propose de transformer progressivement les écoles et les réseaux d’écoles en établissements disposant d’un statut propre , administrés sous l’autorité d’un conseil d’administration et dirigés par un chef d’établissement responsable.
Ils supposent au contraire l’élaboration d’un nouveau cadre légal ouvert et souple qui devrait reposer sur trois orientations :
– une structure administrative et financière relevant de la commune ou de l’intercommunalité ;
– un conseil d’administration associant parents, élus et enseignants ;
– un chef d’établissement recruté, formé et nommé par l’autorité académique, qui assure la direction pédagogique de l’école, en particulier la répartition des ressources humaines et matérielles décidées par le conseil d’administration dans le cadre d’un contrat pluriannuel.
Nous touchons à une constante des politiques d’éducation depuis la loi d’orientation de 1989 et le rapport Mauroy sur la décentralisation : donner à un rassemblement territorial d’ écoles la personnalité juridique en leur appliquant le statut « d’établissement ». Ces « établissements locaux d’enseignement » ou « réseaux d’écoles », acquièrent une autonomie pédagogique, financière et juridique, les agents y travaillant ne tarderont pas à perdre leur statut « d’agent de l’Etat » pour devenir « agents territoriaux ou plus simplement encore employés de l’EPCI (Etablissement Public de Coopération Intercommunale) avec contrat de travail par objectif et embauche sur « profil ».
La volonté des gouvernements étant de passer d’une école de la République à une école de la territorialité au sens le plus restreint du terme : gestion locale (financière, réglementaire, pédagogique) sous tutelle des partenaires locaux (intercommunalité, entreprise, et parents d’élèves pour le vernis « démocratie locale »).
Former avec des partenaires
L’organisation des activités péri-scolaires, en particulier, ainsi que leur articulation avec les activités proprement scolaires lorsque cela paraît nécessaire, ont vocation à s’inscrire dans un projet local d’éducation susceptible de donner lieu à une contractualisation entre la ville, l’établissement, les parents et les associations. L’expérience des contrats éducatifs locaux, qui permettent une prise en charge éducative des élèves(pour l’essentiel des écoles mais aussi des collèges) hors du temps scolaire, représente à cet égard une voie qu’il faudrait développer.
Les partenaires institutionnels : police et justice
Là encore, le partenariat efficace est celui qui se fonde sur la compétence spécifique de chacun des acteurs. L’important dans la prévention de la violence au sein des établissements est que les élèves comprennent que les adultes sont prêts à opposer la loi à la violence ; ce doit être un des éléments du plan de prévention et de réaction de l’établissement pour lutter contre la violence et les incivilités
La Commission estime nécessaire le développement d’un partenariat entre l’École et l’entreprise ,
d’après une analyse de l’Observatoire des PME, les trois quarts des élèves ont vocation à travailler dans le monde de l’entreprise ; cette réalité doit être reconnue et justifie que l’École s’efforce de produire une description objective du fonctionnement de l’entreprise, sans a priori idéologique ;
Il n’y aura cependant pas de véritable engagement des professionnels sans partenariat local entre l’établissement et l’entreprise – partenariat qui doit se développer aussi bien en bilatéral, en fonction de la politique de l’établissement, qu’au niveau du bassin d’emploi et de la collectivité d’éducation .
Aux niveaux académique et national, la Commission souhaite redonner du sens et de la vigueur aux instances existantes. Il s’agit : – d’ appliquer avec rigueur le principe de subsidiarité qui permet d’éviter les doublons : les décisions arrêtées par la collectivité d’éducation ne sont plus reprises, modifiées ni remises en cause par le niveau supérieur (sauf recours formellement demandé et illégalité constatée lors du contrôle de légalité) ;
Le nouveau concept de « communauté d’éducation » justifiant le régime dérogatoire des établissements par la simple vertu de la « subsidiarité ».
Régime dérogatoire et enseignement :
Agir de façon dérogatoire dans les établissements très difficiles
Dans les écoles et collèges très difficiles, de l’ordre de quelques centaines, une politique de discrimination même renforcée risque de ne pas suffire à surmonter efficacement les handicaps de l’environnement et des élèves. La Commission recommande alors de ne pas hésiter, dans ces cas, à l’accompagner de mesures dérogatoires : nominations (de chefs d’établissement, d’enseignants, de personnels ATOSS), pratiques pédagogiques (réduction du service des enseignants, concentration sur quelques points du programme, individualisation et mise en œuvre de dispositifs spécifiques, etc .), partenariats renforcés (avec les élus, avec les entreprises, avec la police et la justice, etc.) sont les principaux domaines où des dérogations doivent, quand elles apparaissent indispensables, être apportées. La constitution d’équipes pédagogiques motivées et stables est, on le sait, une des conditions de la réussite dans ce genre de contexte. Elle doit donc être rendue prioritaire, même si, ce faisant, on déroge aux règles standards de mutations et d’affectations. Par exemple, le chef d’établissement doit pouvoir émettre une préférence sur l’ensemble des personnes amenées à travailler dans l’établissement , ou émettre un avis défavorable sur un départ précoce qui romprait l’équipe pédagogique . En contrepartie, il est indispensable de valoriser par des primes spécifiques élevées et surtout des avantages substantiels de carrière le fait, pour les personnes, d’avoir travaillé dans ces établissements durant plusieurs années. Enfin, au niveau de l’académie, il serait judicieux de constituer une équipe volante d’enseignants chevronnés prêts à aider les équipes des établissements concernés en tant que de besoin.
Le chef d’établissement devient le « grand chef » et gère les « ressources humaines » en fonction
du profil des postes à pourvoir. Les principes de base assurant l’égalité de chaque agent dans le cadre des mutations sont niés à la faveur du « profil ».
Evaluation des enseignants :
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Une évaluation renouvelée et utile.
L’évaluation des enseignants doit s’inscrire dans le cadre de l’évolution de leurs missions. Elle devrait être considérée comme une pratique normale, et répondre à deux finalités :
– la régulation du fonctionnement du système éducatif et de sa qualité, à savoir contribuer à favoriser l’atteinte des ses objectifs et porter remède à ses points faibles ; la gestion des ressources humaines , à savoir reconnaître la réussite individuelle et collective des enseignants pour la valoriser et détecter les carences individuelles et d’équipes pour y remédier.
L’évaluation individuelle des enseignants s’inscrit dans le contexte de l’établissement , de ses élèves, de son contrat et de ses moyens. L’évaluation individuelle, articulée avec celle des établissements, doit être progressivement considérée comme un outil privilégié pour gérer les carrières et les promotions des professeurs. Ses conclusions et recommandations doivent être véritablement mises en œuvre , tant en matière de formation continue, que de déroulement de carrière, d’éventuelles reconversions et évolutions vers d’autres fonctions , ou encore, le cas échéant, de sa sanctions .
Nous retrouvons ici une double notion : 1- « l’accompagnement d’équipe d’école » où chaque enseignant est jugé par la participation active qu’il prend au fonctionnement de l’école – voir l’expérience menée par l’IA des Hautes-Alpes.
2- la notion de « seconde carrière » qui s’impose avec l’allongement des annuités obligatoires et le régime des décotes pour annuités non effectués.
Quel que soit l’engagement des professeurs et la qualité de leur réussite, le métier d’enseignant doit pouvoir être valorisé et déboucher sur des missions et des métiers plus diversifiés. Un des objets de l’évaluation renouvelée serait d’objectiver cette valorisation de l’expérience professionnelle ou cette forme « d ‘usure » si souvent évoquée. C’est ainsi que, très classiquement, peut se constituer un vivier de formateurs et de personnels d’encadrement, mais c’est aussi ainsi que l’institution doit envisager, dans un cadre interministériel, un éventail d’adaptations et de reconversions possibles vers d’autres métiers , concrétisant l’idée de deuxième carrière .
Je vous laisse réfléchir à la dangerosité de cette notion si nous devons perdre notre statut d’agent de l’Etat !
Nouvelle organisation de l’école commission européenne et OMC:
La commission européenne ne reconnaît pas la notion de Service Public, mais y substitue celle de Service d’Intérêt Général, à la différence près qu’un SIG peut être rendu par un opérateur public ou privé, le tout sur un marché fonctionnant en libre concurrence.
L’Organisation Mondiale du Commerce, par le biais des traités AGCS (accord général sur le commerce des services), exige que tous les prestataires de services soient mis en libre concurrences. Chaque état membre a émis une liste de « services protégés », mais la protection est limitée dans le temps et doit arriver à échéance prochainement.
Les services d’enseignement sont dans le collimateur de l’OMC (1/4 du budget de l’Etat), ce budget échappant à la libre concurrence, échappe aux marchés financiers,… pour l’instant !
Nouvelle organisation de l’école et Loi Organique relative à la Loi de Finance (LOLF) :
La prochaine loi d’orientation sur l’éducation est un des volets de la mise en œuvre de la LOLF, pièce maîtresse de la réforme de l’Etat (décentralisation /régionalisation).
Pour conclure :
Le rapport Thélot se place clairement dans le cadre de la réforme de l’Etat engagée par le rapport Mauroy, entrepris par Jospin-Chirac par l’adoption de la nouvelle LOLF et continué par Raffarin -Chirac.
Rappel des objectifs :
Désengagement de l’Etat des services publics
Transformation des services publics en services d’intérêt général
Mise en concurrence des services d’intérêt général
Diminution le montant des charges aux entreprises
Contrôle par les entreprises de l’offre de formation
Compression de la formation initiale
Formation interne aux entreprises
Individualisation des formations pour une individualisation des contrats d’embauche