« L’art de poser de (bonnes) questions, et d’y répondre, est donc une compétence indispensable à la pratique démocratique. Ainsi, l’école, lieu où l’on apprend à interroger le réel avec le maximum de rigueur que peut apporter la fréquentation des différentes sciences, est un lieu privilégié d’apprentissage démocratique. » Luis Miguel Lloreda (1)
Eveiller l’esprit critique des jeunes est une des principales missions de l’école. Même si elle ne figure pas en ces termes dans les objectifs généraux fixés par le décret « Missions » de l’enseignement. En effet, à nos yeux, il ne peut être question de « préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures » sans les aider à questionner les idées prémâchées de la pensée unique. Très bien, mais comment faire ? Concrètement, en classe, quelles questions poser aux élèves ? Quels problèmes leur soumettre ? Quelles clés, quels leviers actionner ? Quels virus leur inoculer ? Comment les aider à fabriquer des anticorps qui les protégeront de la toxicité des discours mensongers et égoïstes ? Voici quelques propositions. Nous n’avons pas la prétention d’être exhaustifs. Ni d’être en la matière très créatifs. Juste de vous livrer quelques grilles de lecture de la réalité, que chacun aura à cœur d’adapter à ses cours. Et nous profitons de l’occasion pour vous rappeler que les colonnes de notre journal et de notre site sont largement ouvertes à toute suggestion qui nous permette de progresser.
Etudier des documents signifiants
Nous pouvons veiller à ne retenir pour nos cours que des documents signifiants.
Par exemple, pour apprendre à lire des graphiques et des statistiques, on peut travailler sur les rapports du PNUD (indice de développement humain), sur les données démographiques (mesurer l’écart entre le fantasme de l’invasion des étrangers et la réalité notée par l’Institut National des Statistiques), l’évolution des accidents de travail, les taux de réussite scolaire selon l’origine sociale, etc. …plutôt que sur des données anecdotiques.
Comprendre le monde…à travers ses contradictions
Vous trouverez dans ce dossier un petit article spécifiquement consacré à cette méthode.
Identifier les enjeux matériels
Quelle que soit la question étudiée, plutôt que de tourner en rond dans l’impasse de la morale individuelle et idéaliste (« le monde ne changera que quand chacun-e aura pris conscience de ses responsabilités » NDLR : sans nier l’importance vitale de la morale, force est de reconnaître que l’attente risque d’être encore longue … et mortelle pour ceux qui n’ont pas eu la chance de naître où il fallait), nous trouvons plus pertinent de rechercher les enjeux matériels, économiques, politiques, militaires, électoraux ou culturels. Par exemple, la conquête de l’Irak s’explique bien mieux par les enjeux énergétiques, militaires et électoraux que par un quelconque choc entre le Bien et le Mal ou entre deux « civilisations ».
Quand on aborde la question des camps de concentration nazis, pourquoi se contenter – même si c’est un passage obligé – d’apprendre ce qui s’est passé, d’entendre le récit de la souffrance des êtres broyés par l’histoire ? Il faut, si l’on veut vraiment que « plus jamais ça » ne se reproduise, aller beaucoup plus loin, s’interroger sur les causes et les mécanismes de l’horreur. Quels en étaient les enjeux économiques ? Qui a financé la montée en puissance des nazis ? Pour défendre quels intérêts ? Qui a tiré profit de l’exploitation de la main d’œuvre ainsi fournie ?
Poser la question des conséquences
Le monde est actuellement conduit par la logique économique. Une logique qui se prétend mathématique, scientifique et qui en a tout l’air … tant qu’on ne tient pas compte de ses conséquences !
Un exemple, puisé dans l’étude des stratégies du capitalisme. L’une d’elles consiste à chercher l’organisation du travail la plus rentable. C’est ainsi qu’à la fin du XXème siècle, on a vu les entreprises stocker de moins en moins de marchandise (ça coûtait cher et ça présentait le risque de rester avec beaucoup d’invendus sur les bras) et préférer faire appel à des sociétés de transport les servant « just in time ». Si l’on s’en tient à une description neutre de cette stratégie, elle paraît innocente. Si l’on pose la question des conséquences, on verra apparaître les ravages qu’elle cause : la multiplication des vols de nuit avec toutes les nuisances que l’on sait, l’omniprésence des poids lourds sur nos routes avec des nuisances non moins graves, la dégradation des conditions de vie et de travail des ouvriers (ils sont sollicités en fonction des commandes, donc leur vie de famille connaît des hauts et des bas imprévisibles), etc.
Une des « ficelles » que nous pouvons employer pour conscientiser nos élèves, c’est d’attirer systématiquement leur attention sur les conséquences des décisions politiques, économiques et sociales. Et tout particulièrement auprès des populations les plus fragiles et les plus démunies.
Rappeler l’existence des classes sociales
Contrairement à ce qu’affirment ceux à qui profite ce mensonge, les classes sociales n’ont pas disparu. Ce n’est pas parce que les patrons ont habilement rebaptisé leurs « ouvriers » en « collaborateurs » que les conditions de travail, l’espérance de vie et les salaires de ces derniers s’alignent sur ceux des cadres, des PDG et des actionnaires de leur entreprise. Lire les événements au travers de la grille des classes sociales reste tout à fait pertinent et éclairant. Un exemple : les conséquences de l’utilisation de l’amiante sur la santé des travailleurs des chantiers navals (émission Thalassa, France 3, 19 janvier 2001). On peut regarder ce reportage en classe, distinguer les différents acteurs sociaux – ouvriers, familles endeuillées, patrons, médecins du travail, épidémiologistes, hommes politiques, etc. -, noter la position et les arguments de chacun d’eux. Qui a gagné quoi ? Qui a le plus gagné ? Qui a le plus perdu ? Pourquoi tient-on tel discours dans telle catégorie sociale et tel autre ailleurs ?
Situer les comportements dans leur contexte
Une des stratégies des classes dominantes consiste à répéter que si les pauvres sont pauvres, c’est de leur faute. Que si les enfants des pauvres réussissent moins bien à l’école, c’est parce qu’ils manquent d’éducation et que leurs parents s’en désintéressent. Que si les pauvres sont au chômage, c’est que, « chez ces gens-là », on n’est pas courageux, on aime être assisté. Etc. Etc. Etc.
L’intérêt de ce refrain lancinant, – qui marche, puisque, même dans les classes moyennes et les classes les plus démunies, nombreux sont ceux qui l’ont repris à leur compte – est de nous désigner des boucs émissaires et d’ainsi nous distraire de la terrible responsabilité des classes dirigeantes dans les mécanismes de la misère.
Notre rôle consistera dès lors à toujours convoquer dans la réflexion en classe, sur quelque question que ce soit, les facteurs qui influencent la vie des gens, leurs conditions de vie, leur environnement familial, économique, social et culturel.
Placer les événements dans une perspective historique
Les élèves font fréquemment écho au discours dominant : « De toute façon, m’sieur, le monde est comme il est. On ne peut rien y changer. Il y a toujours eu des forts et des faibles …. ». Est-il vrai que, dans l’histoire de l’humanité, toutes les tentatives de changement, toutes les luttes pour un monde plus juste ont échoué ? Et si même ce fut souvent le cas, quels facteurs – internes et externes – les ont fait rater ? L’étude de l’histoire des droits de l’Homme – et des victoires féministes -, des mouvements ouvriers, ou encore de la Commune, de 1a révolution d’octobre en Russie, de Cuba, des républiques initiées par des Jésuites en Amérique latine au XVIIème siècle, etc. mérite une attention particulière.
Autre leitmotiv de la pensée unique : « Si l’on veut du bien-être, il faut la paix sociale, c’est-à-dire plus de travail, moins de grèves, moins de syndicats, moins de manifestations… »
Pourtant, dans l’histoire du XXème siècle, on observera que ce sont les années 60 qui ont vu le sort d’une majorité d’habitants de la planète s’améliorer substantiellement (surtout celui des ouvriers et des peuples du tiers-monde). Années 60 marquées par la rivalité explosive entre deux grands blocs, de grandes grèves, des guerres d’indépendance nationales et des nationalisations …
Qui a dit ça ?
Qui dit que « le monde a toujours été ainsi »? Qui claironne que, « mis à part quelques réformettes à but humanitaire et médiatique, on n’y changera rien » ? Qui gagne à nous faire accepter l’inacceptable ?
Exemple : quand Sarkozy montre soudain tant de sollicitude envers les « petites gens » (qui seraient les principales victimes de l’insécurité dans les « quartiers »), la France « d’en bas » selon Raffarin …, faut-il prendre ses déclarations pour argent comptant ? Ou plutôt s’interroger sur l’origine sociale de celui qui dit ça, la (l’absence de) politique sociale réellement menée par son gouvernement en faveur de ces mêmes « petites gens » et l’intérêt – électoraliste et carriériste – qu’il trouve à tenir ces propos ?
Autre exemple : si on vous dit qu’ « il faut que la croissance reprenne », ou que « nous devons accepter des sacrifices pour rester compétitifs », posez toujours la question suivante : qui dit ça ? Qui gagne à ce qu’il en soit ainsi ?
A qui profite le crime?
«Le chômage de masse est essentiellement dû au manque de courage d’assistés sociaux qui profitent du système ». « Celui qui veut vraiment travailler et qui est courageux, il trouvera toujours du boulot. » Deux des « vérités » du prêt à penser néo-libéral.
Pourquoi ne pas faire venir en classe d’anciens élèves, si possible parmi les meilleurs des promotions récentes, qui viennent témoigner des difficultés qu’ils rencontrent pour trouver un emploi digne de ce nom. Les patrons attendent que le jeune ait plusieurs mois de chômage pour l’engager – et mieux l’exploiter – dans un des multiples sous-statuts créés pour résorber le chômage (qu’ils disent). Qui tire profit de la situation ? Qui est le principal profiteur dans l’histoire ? Une société de plein emploi serait-elle aussi profitable pour les propriétaires d’entreprises ? D’ailleurs, retour à la case « placer les événements dans une perspective historique », dans les années 60, les conditions étaient exceptionnelles pour qui choisissait de profiter du chômage : presque pas de contrôle, allocations plus élevées, pas de réduction des allocations pour chômeurs cohabitants, etc. Or, peu de travailleurs en profitaient. La cause du chômage serait-elle à chercher ailleurs ?
Poser la question de l’obéissance à l’autorité
Un constat : les plus grands génocides ont été perpétrés par de « bons citoyens », au nom de l’obéissance à l’autorité et à l’ordre établi. L’étude des mécanismes d’un de ces génocides devrait figurer dans le cursus de tout étudiant. Autre suggestion : visionner et étudier avec les élèves la fameuse expérience de Milgram. Le citoyen n’est donc pas celui qui obéit aveuglément à la loi, ni, d’ailleurs, forcément celui qui commet des incivilités. Un exemple : si, comme citoyen belge, j’accepte, je cautionne, la politique de mon pays en matière de (non) droit d’asile, avec ses centres fermés, le renvoi des candidats réfugiés vers l’horreur de leurs pays d’origine, alors je désobéis à d’autres lois, comme la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ou celle qui sanctionne la non-assistance à personne en danger. La notion d’obéissance est terriblement subjective. Entre 1940 et 1945, chez nous, le citoyen s’appelait « résistant ». Aux yeux des Allemands, c’était un « terroriste ».
Une telle réflexion est forcément dialectique. Quand nous posons la question de l’obéissance, cela ne signifie nullement que nous sommes contre toute forme de discipline et d’organisation. Dialectique, vous avez dit dialectique ?
Privilégier une pensée dialectique
Les médias (« C’est mon choix », « Ça va se savoir », etc.) et le « café du commerce » nous gavent de débats stériles opposant sans nuance deux camps, souvent englués dans le marécage de leurs subjectivités respectives. L’expérience nous porte à privilégier un apprentissage de la pensée dialectique, qui reconnaîtra dans chacune des positions ce qui est fondé et, surtout, cherchera à dépasser les contradictions pour trouver une solution satisfaisant le plus grand nombre. Pour illustrer l’intérêt de cette démarche, un petit exemple. Un débat sur les Restos du cœur ? Si vous nous demandez de prendre position pour ou contre, nous refusons de répondre. Il est bien plus constructif de reconnaître qu’à court terme ces restos répondent à une nécessité. On ne peut qu’admirer l’altruisme et le travail des bénévoles. Mais il est tout aussi vrai que les Restos du cœur ne s’attaquent pas aux causes du problème du quart-monde. Il faut donc aussi mener un combat politique pour que la redistribution des richesses dans la société ne laisse personne en plan. Il faut tout autant se prémunir des effets pervers possibles de l’opération : les restos du cœur peuvent donner au grand public l’impression qu’il n’y a plus de « problème du quart-monde », puisque ces gens peuvent toujours, en cas de besoin, se réfugier au chaud et trouver une table accueillante.
Quelques prises de judo pour contrer les discours simplistes
Le prêt-à-penser néolibéral aime aussi les simplifications et les généralisations. Utilisez leur force brute pour la retourner à l’agresseur. Quelques exemples valent mieux qu’un long discours…
Votre interlocuteur abuse des indéfinis. « On a de la chance de vivre en Belgique». Demandez-lui de préciser qui est « on ». Tout le monde a de la chance de vivre en Belgique ?
Il généralise et simplifie. « On a toujours fait comme ça ». « Tout le monde pense que … » « Les élèves ne sont jamais en ordre … ». Répondez : Toujours ? Tout le monde ? Jamais ? Cherchez le contre-exemple : le contraire ne se produit-il jamais ?
« Il n’y a qu’à se motiver. » « Il suffit de le vouloir. » « Il faut qu’on comprenne. »
Votre vis à vis s’ingénie à employer des verbes non spécifiques ? Il étale un art consommé de la langue de bois ? Posez-lui la question qui désarçonne, demandez-lui comment il compte faire, concrètement.
Il vous assomme avec des vérités révélées et massives ? Du genre « un Marocain, c’est bagarreur » ou « toi aussi, si tu étais riche, tu garderais tout ton argent pour toi ». Ripostez en posant la question : comment sais-tu ça ? A quoi le sais-tu ?
Les proverbes, ah les proverbes ! « Qui vole un œuf vole un bœuf ». Ah bon, vraiment ? Et si on essayait « qui vole un œuf, souvent, en reste là » ? « Il n’y a que la vérité qui blesse ». Ah oui, et le mensonge ?
Quelques maîtres à « penser critique » et autres sources d’information alternatives
Que l’on soit à 100 % d’accord avec leur façon de voir et d’agir, ou non, quelques intellectuels et activistes ont indiqué et continuent d’indiquer différentes voies de l’esprit critique.
1/ Nous devons même à quelques-uns d’entre eux des documents audio-visuels dont l’analyse peut aider à systématiser la pratique de ce mode de pensée.
L’Américain Michael Moore (« Roger and me », « The Big One » et « Bowling for Columbine ») ou le Français Pierre Carles (« Pas vu pas pris », « Enfin pris ? », « La sociologie est un sport de combat », et « Attention danger travail ») s’illustrent dans des films alliant documentaire, méthode critique, culot à toute épreuve et humour dévastateur.
2/ La méthode mise au point par Noam Chomsky, pour démonter le discours officiel de l’empire américain, mérite aussi le détour. On peut se l’approprier en lisant un de ses nombreux ouvrages publiés en français (ou, plus courts, ses articles dans le Monde diplomatique).
3/ Dans la famille des intellectuels critiques, on ne peut évidemment passer sous silence Pierre Bourdieu – ses deux petits volumes de « Contre-feux » sont assez lisibles – et ses disciples, à l’origine de la maison d’édition « Raisons d’Agir ».
4/ En Belgique francophone, on a du répondant aussi, avec les De Sélys, Collon, Geuens, Decroly, Morelli, Bricmont, etc.
5/ Quand il s’agit d’étudier le capitalisme sous un angle critique, Marx et Engels restent des maîtres incontestés.
6/ Au rayon des sites internet « décapants » : plpl, indymédia, acrimed, un observatoire des médias, antipub …. De lien en lien, vous en trouverez bien d’autres. A noter que plpl et acrimed s’allient pour publier un « Petit manuel de l’observateur critique des médias ».
7/ Il y a aussi des journaux – et leurs sulfureux dessins – comme Charlie Hebdo ou le Canard enchaîné. Excellent exercice que de les interpréter.
8/ Sur les principales (in)conséquences des politiques dominant le monde actuellement, le monde associatif met régulièrement à notre disposition des outils pédagogiques à la fois rigoureux et critiques. Qui sur le saccage de l’environnement, qui sur la dette du tiers-monde, qui sur les dessous peu reluisants des marques, qui sur la peine de mort, qui sur l’abandon de l’Afrique par l’industrie pharmaceutique, etc. La force des ONG est souvent leur spécialisation, l’attention particulière qu’elles portent au problème qui les préoccupe.
9/ Pensez aussi à quelques dossiers précédents de l’Ecole démocratique : la pub à l’école (ED n° 4), jeunes et médias (ED n° 10), participation (ED n°13). Plusieurs articles sont disponibles sur notre site.
Bonne pioche !
(1) « Changer le rapport au savoir pour changer le rapport au pouvoir », l’un des très intéressants articles parus dans Apprendre la démocratie et la vivre à l’école, de la Confédération Générale des Enseignants (devenue entre-temps CGé, à savoir ChanGements pour l’Egalité) et des éditions Labor, Bruxelles, 1995.
> Exercer l’esprit critique
Bonjour,
Je suis enseignant en classe de CM1 (9 ans 10 ans) en France, dans un secteur proche de Lyon.
Je souscris complètement à cet article, pour entreprendre un travail sur ce point. J’ai commencé à faire réfléchir les enfants sur les OGM en leur donnant des documents contradictoires.
Le problème que je rencontre, c’est le manque d’échange de pratiques.
Il me semblerait intéressant que nous créions un groupe de réflexion pour savoir comment améliorer nos pratiques sur des thèmes qui pourraient nous être communs.
J’ai proposé les OGM, mais il pourrait y en avoir beaucoup d’autres, comme le travail des enfants, l’environnement.
Les programmes de géographies nous demandent de parler de la mondialisation.
A nous de nous mettre en réseau. Personnellement, je ferai cette proposition à la prochaine réunion de la conférence des comités locaux d’Attac France.
Bien cordialement,
Patrice Martinot
OGM au primaire
N’ets-il pas un peu prématuré de faire travailler des enfants si jeunes sur les OGM, alors que même les scientifiques ne peuvent se départager quant à leur toxicité ? Quels sont vos références ? vos sources ?
> Exercer l’esprit critique
Je prends connaissance assez tardivement de l’article de MM. Schmetz et Dell’Aquila (magie des archives sur Internet !) mais je ne peux m’empêcher d’y réagir , sans avoir véritablement d’illusion sur la portée de ma « réponse ».
Etant moi-même enseignant en lycée (en France, département d’Outre Mer), je ne peux qu’être sensible à la thématique de l’esprit critique et de l’éducation à la complexité. En effet, en un temps où les représentations simplistes dominent dans trop de média et jusque chez des gens supposés instruits, il est réconfortant de voir MM Schmetz et Dell ‘Aquila rappeler quelques vérités premières.
Ceci étant posé, et passé l’approbation qui fut la mienne à la lecture des premiers paragraphes, je n’ai pu m’empêcher d’éprouver très vite une sensation de malaise qui persista jusqu’à la fin de l’article. En effet, celui-ci se modifie peu à peu au point de devenir tout simplement un manifeste partisan qui a bien peu de rapport avec l’apprentissage de l’esprit critique à l’Ecole. En effet, intercalées entre de véritables pistes pédagogiques (« poser des documents signifiants », « poser la question des conséquences », « privilégier la pensée dialectique »), se trouvent des éléments relevant de l’engagement militant et non de l’apprentissage d’une citoyenneté critique : le paragraphe intitulé « identifier les éléments matériels » est une vulgate marxiste évidemment réductrice prétendant expliquer le fonctionnement du monde par des enjeux économiques. Non que les éléments économiques d’un fait soient négligeables, loin de là, mais on ne saurait réduire tout phénomène à sa seule dimension matérielle et économique, ni même parfois, considérer cette dimension comme la plus pertinente, le nec plus ultra de l’explication causale. A cet égard, certains exemples choisis prêtent lourdement à la critique, comme l’exemple du nazisme pour lequel l’explication en terme d’économie n’est qu’une des explications, pas la seule et peut-être pas la plus pertinente (voir les ouvrages de Philippe Burrin et de Ian Kershaw). De même le rappel de l’existence des « classes sociales » paraît relever d’avantage de l’idéologie que d’une quelconque réalité, si l’on considère avec Marx qu’une classe se définit par la conscience qu’elle a d’elle-même : qu’il y ait encore des ouvriers (regroupés statistiquement sous le vocable de « classe ouvrière ») et, de façon plus générale des catégories exploitées, voilà qui ne fait guère de doute ; qu’on parle de « classe sociale » (au sens sociologique du terme), c’est-à-dire d’entités constituées ayant un « esprit de classe », voilà qui mériterait d’être discuté.
Par ailleurs, la bibliographie , regroupée sous le titre « quelques maîtres à penser critiques » me laisse fortement songeur : en effet, les références données sont des « maîtres à penser critiques », mais il semble avoir échappé à MM. Schmetz et Dell’Aquilla que la critique de ces auteurs ne s’exerçait que dans un sens, toujours le même, qui est celui du rejet des Etats-Unis, de la mondialisation et du libéralisme (confondu opportunément avec le néolibéralisme reaganien ou thatchérien). Que cette critique soit salutaire et indispensable, j’en suis le premier à en convenir ; mais elle ne saurait cependant remplacer l’analyse distanciée de la réalité, la recherche du « vrai », lequel est toujours beaucoup plus complexe que ne veulent le dire les auteurs cités. Le cas des Etats-Unis est particulièrement intéressant, puisque 10 ans de lecture du Monde diplomatique ne m’ont à aucun moment permis de savoir si ce pays avait un jour accompli des actions qui ne soient pas moralement répréhensibles ! Or, qu’il soit un des pays qui n’ait jamais connu de dictature ; qu’il continue à faire rêver des gens dans le monde entier au point que l’immigration ne se tarit pas, qu’il invente toujours l’antidote de ses poisons politique (puritain mais inventeur de la révolution sexuelle ; agressif, mais en pointe dans les mouvements pacifistes ; pollueur, mais le premier à avoir mis en place des parcs nationaux, dès le 19° siècle, dangereux, mais sous contrôle des juges et des Sénateurs –pour faire court – ) tout cela, donc, ne me sera jamais appris ni par Ramonet, ni par Daniel Mermet, ni par Chomsky, gens que j’admire et écoute (ou lit) mais qui ne rendent comptent, une fois de plus que d’une partie du réel.
La mondialisation est un autre exemple qui pourrait être développé pour montrer à quel point l’on peut être critique des processus en cours sans pour autant vénérer José Bové (voir notamment le mensuel « Alternatives Economiques » et Cl.-A. Michalet)
On a toujours à apprendre à « limer son esprit avec celui des autres » (Montaigne) et il me semble que la vraie liberté consiste moins à se complaire dans le cercle des gens , peut-être lucides, mais qui pensent « comme nous », qu’à se frotter un peu aux thèses « de l’adversaire ». Un peu de largeur d’esprit nous montrera vite que loin d’être des « petits satans, », ces adversaires peuvent parfois avoir des vues qui éclairent les notres (ce qui n’implique nullement de se rallier à leurs thèses, bien entendu) . L’apprentissage de la complexité, dont nos élèves ont tant besoin, ne peut se faire qu’au prix d’un réel « dépaysement » de notre pensée » et non d’un stérile onanisme intellectuel.
> Exercer l’esprit critique
Enseignant en école primaire près de Paris, je ne peux que souscrire à la nécessité d’un enseignement à l’esprit critique. J’approuve donc cet article par son désir de pragmatisme dans une analyse de pratique de classe.
MAIS, l’opposition entre « esprit critique » et autorité me semble fondamentale.
Il ne s’agit pas de former des contestataires systématiques, mais des adultes susceptibles de construire des jugements éclairés. Cela ne va pas sans une structuration de l’esprit, et tout du moins sans une capacité à s’astreindre à une démarche cognitive structurée.
Dès lors, plus les données seront contestées, plus les références seront bousculées… et plus il faudra mener de front un travail sur le respect des règles.
Cette nécessité de dualité parait même l’expression d’une autocritique du maître sur l’enseignement qu’il dispense. Proposer le choix entre deux alternatives, deux modes de fonctionnement opposés doit être un soucis constant.
De plus, le sens critique ne peut s’exercer que si l’individu possède les éléments pour l’alimenter. L’ignorance anéantit toute capacité de positionnement. On ne peut donc raisonnablement pas demander à un élève d’argumenter s’il ne possède pas déjà un savoir important sur le sujet. Il me semble donc essentiel de travailler sur le statut de « vérité » de ses propres savoirs… sans avoir peur d’en acquérir !
> Exercer l’esprit critique
Bonjour
je m’appelle Richard Monvoisin, je suis chargé de cours d’initiation à l’esprit critique à la faculté des sciences de Grenoble. Je viens vous signaler que dans le champ des sciences, la démarche critique est souvent nécessaire, en particulier vis-à-vis des thèmes générateurs de fantasmes ou de demande sociale, comme la frontière des sciences, le paranormal, le surnaturel, les thérapies dites alternatives, la réconcialiation science et religion, etc. Une association grenobloise dont je suis membre, l’Observatoire Zététique, a entrepris de diffuser la démarche scientifique critique, la zététique, et de proposer aux lecteurs de faire leurs propres choix, mais en connaissance de cause, sur les thèmes sur lesquels la désinformation est la plus criante (je pense notamment aux thèmes générateurs d’un marché, comme le bien-être et le développement personnel). Un laboratoire universitaire, le laboratoire zététique dirigé par H. Broch, oeuvre également dans ce sens. Je laisse donc les adresses pour les personnes intéressées.
Bonne quète d’infos
Richard Monvoisin
l’Observatoire Zététique http://www.observatoire-zetetique.org
le laboratoire de Zététique http://www.unice.fr/zetetique/labo.html
> Exercer l’esprit critique
Le sens de la zététique a été totalement dévoyée par les deux organismes cités plus haut.
C’est ainsi que vous pourrez découvrir sur leurs sites, et leurs forums, que Jésus n’a pas éxisté, que le big bang n’est pas à l’orignie de l’univers ou autres trouvailles nées de leur lutte contre la désinformation.
> Exercer l’esprit critique : toutes les associations qui se présentent comme zététiques ne sont pas équivalentes
En fait il ne me semble pas que l’Observatoire zététique et le Laboratoire de zététique de l’université de Nice-Antipolis aient émis des doutes sur l’existence de Jésus ou le Big-bang. Ces dérives irrationelles sont défendues en fait par une autre association, le Cercle zététique (dont les turpitudes ne s’arrêtent malheureusement pas là d’ailleurs ; leur cite web fait aussi par exemple la promotion de charlatans niant les événements du 11 septembre).
en passant des principes a l’implementation, a quoi peut-on arriver ?
Pour rebondir sur la reaction d’anabase, combinant approbation des principes et desaprobation des exemples pratiques:
A la lecture de l’article, j’ai reagi d’une facon comparable, en adherant aux principes (« etudier des documents signifiants », « identifier les enjeux materiels », « poser la question des consequences »,…), mais avec un enorme doute sur la facon dont ils peuvent etre implemente’s en pratique.
Car ici (comme dans le cas d’autres articles que l’on peut trouver sur des sites de mouvements « alternatifs »), il est tres facile d’interpreter a sa sauce lesdits principes quels que soit sa couleur politique, de l’extreme-gauche a l’extreme-droite:
un fachiste, un scientologue, un communiste, un ultra-liberal, peuvent tous etre sincerement d’accord avec la methode proposee, tout en ayant une vision totalement differente de quels sont les documents signifiants, les enjeux essentiels, les consequences graves, etc.
Qu’il s’agisse de proposer une methode d’enseignement de l’esprit critique, ou de donner des conseils pratiques pour le militantisme d’une cause, il me semble que si le conseil peut tout aussi facilement etre mis a profit par la cause adverse, c’est a minima qu’il manque un gros morceau (au mieux, laisse’ implicite, au pire, mal pose’) dans la presentation de la methode.
– Est-il possible de preciser quelques guides approximatifs permettant de reperer quels sont les documents signifiants, les enjeux essentiels, les consequences graves, sans dependre trop des sensibilite’s propres de l’enseignant ?