L’idée de Pierre Hazette d’imposer aux enseignants issus de l’enseignement libre une formation à la neutralité suscite l’ire des représentants du monde politique et syndical de la famille chrétienne, qui crient, de manière fort prévisible, à la discrimination. Quant à moi, je m’étonne…
Je m’étonne tout d’abord de constater que Pierre Hazette puisse, sans rire, exiger de l’enseignement libre confessionnel une neutralité qu’il serait bien en peine de respecter, étant par définition non neutre ! La mission évangélisatrice de l’enseignement confessionnel – qui, dans l’immense majorité des cas, est un enseignement catholique – figure en effet toujours au fondement de ce dernier. Et il faut être naïf pour ne pas voir derrière les déclarations de Monsieur Hazette les désolantes contorsions d’un homme qui voudrait bien, sans doute, s’attaquer à l’épineux problème des réseaux d’enseignement en Belgique, mais qui ne peut le faire de front, tant la question reste taboue.
Je m’étonne ensuite de la piètre estime dans laquelle Pierre Hazette semble tenir la neutralité. À en croire son projet de décret, en effet, vingt petites heures de cours suffiraient à un enseignant issu de l’enseignement confessionnel pour qu’il recouvre sa virginité philosophique, si tant est d’ailleurs que ce concept ait un sens. Voilà qui devrait susciter l’inquiétude des représentants officiels de l’enseignement libre confessionnel : vingt petites heures, et hop ! tous leurs efforts d’évangélisation seraient réduits à néant… Diable !
Je m’étonne enfin de ce mot : « neutralité ». S’il s’agit du simple respect des convictions philosophiques, idéologiques ou religieuses des élèves et de leurs parents, cela me semble le strict minimum à exiger de l’enseignement, quel qu’il soit, dès lors qu’il est subventionné par l’Etat, et je m’étonne de ce que le décret « Missions » de 1997 semble laisser à chaque école le droit d’adhérer ou non à ce sain principe. Principe qui a cependant des limites, lui aussi, car que signifie « rester neutre » face à un adepte de Faurisson, d’Hitler, de Staline ou du Temple Solaire ? Il me semble que l’engagement, plus qu’un droit, est parfois un devoir, dans le chef des enseignants comme dans celui de tout citoyen.
C’est pourquoi, plutôt qu’une formation à la neutralité, je préférerais de loin une formation au libre examen, qui correspond bien plus, à mon sens, à ce que chaque enseignant devrait mettre en œuvre dans sa classe et transmettre à ses élèves : le libre examen, c’est-à-dire la gymnastique intellectuelle qui consiste à n’accepter pour vrai que ce qui a préalablement été librement examiné, autrement dit, passé au crible de la raison. Mais non : le libre examen, à en croire Monsieur Charlier, vice-Président CDH du Parlement, semble être l’apanage des sans-Dieu, des mécréants de l’ULB…
Soyons sérieux : si les défenseurs de l’enseignement confessionnel ne sont pas disposés, à l’aube du vingt-et-unième siècle – dont on a pu dire qu’il serait religieux ou qu’il ne serait pas, soit, mais dont je constate qu’il est, sans me résoudre pour autant au retour des sectarismes – à laisser entrer la libre pensée dans leurs murs, qu’ils acceptent une fois pour toute l’évidence : leur école n’est pas l’école de tous les enfants, elle poursuit un but essentiellement prosélyte et est organisée selon des critères corporatistes – la foi en un même Dieu -, et elle n’a donc pas à être doublement financée par chacun d’entre nous : par le biais de généreux subsides d’une part, et via l’impôt du culte d’autre part.
Car enfin la libre pensée, qui est hélas trop souvent mal comprise à la fois des croyants et des tenants de la laïcité organisée, ne signifie en rien le refus de Dieu : elle est simplement l’effort de chacun de déterminer en toute indépendance ce qu’il croit. L’enseignement officiel, loin d’être le nid d’antéchrists que fantasment certains, n’est donc que le lieu ou chacun est engagé à déployer sa réflexion le plus largement possible, sans barrière ni tabou. N’est-ce pas là un projet formidable, à encourager sans réserve et à généraliser de toute urgence dans une société toujours menacée par les avatars modernes du fanatisme ?
Nadia Geerts,
Professeur de morale laïque et animatrice du site internet RésistanceS