Lors de la publication, en juin 2003, de l’étude « la catastrophe scolaire belge », certains nous avaient reproché de nous en tenir au constat, sans véritablement proposer d’alternative. Le grief n’était que partiellement fondé : notre étude ne se limitait pas à répercuter le constat – établi par les grandes enquêtes internationales sur les compétences des élèves – que les écarts de résultats et, surtout, leur détermination sociale, sont plus élevés chez nous que dans la plupart des autres pays industrialisés. Nous démontrions surtout, indices statistiques à l’appui, que l’inégalité sociale à l’école est fortement corrélée à trois facteurs : le sous-financement de l’enseignement primaire, la sélection précoce en filières hiérarchisées et l’obligation faite aux parents de choisir l’école de leurs enfants sur un marché scolaire (la mal nommée « liberté de choix »). Ces pistes d’explication indiquaient, automatiquement, des pistes de réflexion pour une autre école : mieux financée, unique, publique.
Mais il est vrai qu’indiquer des orientations générales ne suffit pas pour faire une alternative. D’autant que les problèmes qui se posent en matière d’enseignement ne se limitent pas à la question de l’inégalité sociale (même si celle-ci marque profondément l’ensemble des problématiques scolaires) : n’avons nous donc rien à dire sur les contenus ? Sur les pratiques pédagogiques ? Sur la souffrance des élèves ? Et celle des enseignants ?
A. Des choix politiques
Formuler des choix en matière d’éducation n’est jamais neutre. Les choix éducatifs sont éminemment politiques, conditionnés par cette simple question : qu’attendons-nous de l’enseignement ? Selon la place que nous occupons, selon nos expériences, selon nos inclinations personnelles, nous répondrons diversement à cette question. Mais derrière cette diversité des choix subjectifs se cachent, en dernière analyse, des besoins objectivement différents, voire contradictoires, selon les groupes sociaux auxquels chacun appartient : sexe, ethnie, nationalité, classe sociale, communauté linguistique, lieu d’habitation (par exemple :ville ou campagne), etc. De ces diverses appartenances, la plus pertinente est, à mes yeux, la classe sociale. Parce qu’elle transcende la plupart des autres catégories et qu’elle est, d’un point de vue historique, la source des principales contradictions qui font et défont les sociétés.
Regarder l’école du point de vue des classes dominantes, c’est-à-dire du point de vue de ceux qui ont matériellement intérêt à la préservation de la société telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, c’est plonger d’emblée dans une contradiction complexe : l’instruction – l’instruction obligatoire, celle du peuple, la seule dont il sera question ici -est à la fois un instrument indispensable à la reproduction des conditions d’existence de cette société et un danger pour elle. Indispensable, elle l’est à quatre titres : (1) comme lieu de socialisation (où l’on apprend simplement ce qu’il faut pour vivre en société et y occuper sa place : communiquer, être poli et discipliné, consommer, se soigner, utiliser un terminal bancaire, etc.), (2) comme appareil idéologique d’Etat (Jules Ferry disait que la seule mission de l’enseignement public était d’« assurer l’Etat de certaines valeurs qui importent à sa conservation »), (3) comme instrument de reproduction et de légitimation des inégalités sociales (« tout le monde ne peut pas être intellectuel, il faudra bien qu’il y ait toujours des exécutants et des décideurs ») et (4) comme (re)producteur du capital humain, c’est-à-dire de la main d’œuvre adéquatement et diversement formée, dont l’économie et l’administration de l’Etat ont besoin. Ces quatre besoins sont incontournables et aucune société capitaliste avancée ne saurait subsister sans les remplir. Ce qui ne signifie toutefois pas qu’on les remplit bien ou pleinement : la socialisation, par exemple, est fort négligée dans l’école actuelle.
C’est qu’en même temps, l’instruction du peuple ne manque pas d’être une contrainte coûteuse sur le plan budgétaire ou parce qu’elle retarde l’entrée des jeunes sur le marché du travail (ce fut, au 19e siècle, l’un des freins majeurs à l’introduction de l’école primaire obligatoire). L’instruction peut aussi s’avérer dangereuse à certains égards. A trop instruire le travailleur, il finit par devenir exigeant et revendicatif. Une population composée exclusivement, ou même majoritairement d’intellectuels universitaires serait totalement incompatible avec la division sociale du travail, si fondamentale dans notre société (à quoi bon être riche si ce n’est pour s’épargner les tâches d’exécution pénibles et profiter du travail d’autrui ?) L’excès d’instruction des enfants du peuple peut encore constituer, aux yeux des parents bourgeois ou petit-bourgeois, une concurrence dangereuse pour leur propres enfants. C’est l’une des motivations majeures – même si elles ne se l’avouent guère – des stratégies de choix d’école des familles aisées.
Cette contradiction fait que, de tous temps, la bourgeoisie n’a même pas donné au peuple le minimum d’instruction qui était requis par ses propres intérêts étroits. Mais c’est aussi cette même contradiction qui fait de l’école un enjeu concret de luttes de classes.
Changeons de classe, changeons de point de vue. Regardons l’école avec les yeux de ceux que le capitalisme opprime et exploite : ceux que l’on jette à la rue quand les taux de profit sont jugés insuffisants, ceux que l’on contraint aux emplois précaires, ceux que l’on entasse dans les clapiers surchauffés ou les maisonnettes sans chauffage. Changeons même de lieu. Regardons l’école – chez nous – avec les yeux des milliards d’êtres humains que ce système plonge – ailleurs – dans la survie avec moins d’un euro par jour, sans soins de santé, quand l’eau potable est un luxe et le logement un rêve ; regardons avec les yeux des victimes des guerres et des rapines de l’impérialisme, les peuples chassés de leur terre, spoliés de ses richesses et de leur propre culture.
Ici, le point de vue s’inverse. La question majeure n’est plus : comment préserver ce système ?, mais bien : comment le changer ? Quels savoirs et quelles valeurs l’éducation doit-elle transmettre – et à qui les transmettre – pour accélérer la mort de ce système social anarchique et injuste, qui conduit l’humanité à la ruine ? Quels savoirs et quelles valeurs sont nécessaires pour changer le monde ?
L’importance de cet enjeu se trouve accrue par la complexification croissante du monde et des luttes : de la lutte sociale circonscrite au niveau de l’entreprise au 19e siècle, on est passé à la lutte politique contre le capitalisme et, aujourd’hui, à la lutte globale, mondiale contre un système impérialiste complexe, où interfèrent des facteurs culturels innombrables, des enjeux économiques diversifiés, des déterminants technologiques et d’inextricables pesanteurs historiques.
De plus, la construction d’une société nouvelle exigera un homme nouveau, instruit et critique, capable d’exercer pleinement ses devoirs démocratiques, privilégiant l’intérêt commun sur son intérêt individuel, afin de faire fonctionner une économie et une société qui soient au service de tous.
A côté de cette question fondamentale, il en est une autre, non moins importante, mais à plus court terme : de quels savoirs avons-nous besoin pour vivre malgré tout dans le système actuel, pour y survivre aussi dignement que possible (et donc, aussi, pour y travailler) ? On rejoint là, dans une certaine mesure, le besoin, pour la bourgeoisie, de socialiser les enfants du peuple et de former des travailleurs qualifiés et disciplinés. Mais nous verrons plus loin que la convergence n’est que superficielle.
L’école qui répond à ces besoins-là, à cette double attente, est celle que nous appelons « l’école démocratique ». C’est elle que nous voulons développer, dès maintenant, c’est ce projet qu’il nous faut concrétiser.
La question qui se pose d’emblée est celle de la faisabilité de principe. Cela a-t-il du sens d’imaginer que l’on puisse voir naître, au sein de la société capitaliste, un système éducatif qui favoriserait la lutte contre ce même système ? Poser le problème en ces termes exclusifs c’est ne pas comprendre la complexité dialectique de l’école actuelle.
Le capitalisme ne peut pas socialiser, endoctriner, former, il ne peut même pas sélectionner, sans également instruire. En constituant une nombreuse classe ouvrière disciplinée, le capital forge son propre fossoyeur, disait Marx. Mais il fait mieux que cela. En apprenant au fossoyeur à reproduire sa force de travail dans la société moderne, l’école lui apprend aussi à lire, à écrire ; en lui inculquant l’amour de la patrie ou le respect de la démocratie bourgeoise, elle lui fait découvrir la géographie et l’histoire, brisant ainsi l’idée que les relations économiques et sociales seraient immanentes et éternelles ; en lui transmettant les connaissances et les compétences qui en feront un travailleur productif, elle lui apprend les sciences qui forgent une vision du monde rationnelle et matérialiste ; en le formant aux technologies modernes de la communication, afin de le rendre productif et bon consommateur, elle lui permet aussi d’utiliser ces technologies pour organiser les luttes.
En d’autres termes, l’école démocratique n’est pas qu’un idéal théorique. Elle est, d’ores et déjà, l’un des termes incontournables de la contradiction de l’école sous le régime du capitalisme. En ce sens, l’école démocratique existe déjà en germe au sein même de l’école capitaliste. C’est cela qui fait que des marges de manoeuvre sont possibles et que notre combat a du sens.
B. Quels sont les enjeux ?
Le premier enjeu des luttes dans le champ éducatif est celui des savoirs.
Même dans le domaine étroit de la socialisation, l’école actuelle est loin d’apporter à tous – et en particulier aux enfants des classes populaires – les connaissances de base qui sont indispensables pour vivre « normalement » dans cette société. Ainsi n’apprend-on rien, à l’école, ou presque, sur le droit et les lois sociales, sur la santé, la médecine, l’hygiène, la sécurité domestique, les techniques et technologies de la vie quotidienne. On n’y apprend pas davantage à élever ses enfants. L’école se soucie encore moins d’instruire les enfants de l’immigration dans leur langue maternelle et leur culture d’origine. La connaissance du code de la route, qui est pourtant un élément de socialisation incontournable dans les sociétés modernes, est laissé aux bons soins – et au large profit – de société privées. Bref, on accède à la vie adulte sans mode d’emploi et débrouille toi comme tu pourras.
Pour autant, la situation n’est pas meilleure dans le domaine des savoirs réputés « nobles », ceux qui donnent force pour comprendre le monde et pour le transformer.
Les savoirs scientifiques et technologiques sont totalement absents de nombreuses filières, largement insuffisants dans beaucoup d’autres. Dans l’enseignement général on forme de véritables analphabètes technologiques. Or, ces savoirs sont essentiels à la compréhension des bases matérielles de l’infrastructure sociale et économique (les moyens de production, dont le développement conditionne toute l’évolution de la société) ; ils permettent d’acquérir une approche rationnelle et scientifique du réel ; ils conditionnent la compréhension des enjeux politiques liés au développement des sciences et des techniques (environnement, modes de vie, questions éthiques).
Les sciences humaines – histoire, géographie humaine, économie, sociologie – ne sont pas beaucoup mieux loties. Combien de jeunes sortent de l’école sans connaître le passé qui, pourtant, éclaire le présent ; sans connaître et encore moins comprendre l’origine des problèmes de société majeurs qui se posent aujourd’hui à l’humanité : les inégalités nord-sud, l’exploitation, l’instabilité économique, l’accès à l’eau et au logement, etc. Les enfants issus de l’immigration passent 12 ans à l’école sans pratiquement avoir appris quoi que ce soit sur leur propre culture ou l’histoire de leur peuple.
Ceux qui, aujourd’hui, sont précocement orientés vers les filières professionnelles sont privés de l’accès aux outils de la mathématique, de la logique et de l’informatique (comme instrument qui nous permet de traiter de l’information et non seulement comme vulgaire outil de bureautique). Or, ces savoirs-là sont éminemment importants pour développer la capacité d’abstraction, la rigueur du raisonnement et comme passage obligé vers la connaissance scientifique.
L’accès à une formation littéraire et philosophique est devenu l’apanage exclusif de ceux qui fréquentent les établissements réputés « d’élite ». Et encore… Pourtant, la maîtrise des Lettres devient vite une porte d’accès incontournable aux autres savoirs, à l’analyse, à l’abstraction, à la formulation précise d’idées complexes et donc à la complexité elle-même. Il en va de même des multiples formes d’expression artistique.
Dans le domaine des langues et de la littérature étrangères, un poids excessif est donné à l’Anglais – langue de la mondialisation capitaliste – au détriment des langues pratiquées majoritairement par les peuples : espagnol, arabe, chinois, russe. Plus de diversité dans ce domaine encouragerait davantage les contacts et les échanges entre les peuples et les cultures. Il s’agit aussi de permettre aux jeunes issus de l’immigration d’accéder à une réelle connaissance de leur langue et de leur culture d’origine.
Le deuxième enjeu est celui des valeurs.
Par nos pratiques pédagogiques et nos options en matière de fonctionnement de l’école, nous pouvons privilégier les valeurs qui permettent d’orienter l’utilisation des savoirs énumérés ci-dessus dans le sens du progrès historique. Certaines de ces valeurs ont, jadis, été promues par la bourgeoisie elle-même, quand elle croyait y trouver son intérêt à long terme. Elle sont aujourd’hui largement sacrifiées au veau d’or du profit immédiat. Nous entendons éduquer à la solidarité, au respect et non à l’individualisme, à la coopération et non à la compétition, à l’internationalisme et à la multiculturalité et non au nationalisme xénophobe, au travail rigoureux, discipliné et non au parasitisme, à la lutte et non à la soumission, à la curiosité scientifique et non à l’obscurantisme, et à l’abrutissement.
Troisième enjeu : celui de la démocratisation des études
Cette problématique est évidemment étroitement lié à la première: les contenus enseignés ne sont pas les mêmes dans toutes les filières, loin s’en faut.
Nous combattons tout ce qui, dans les structure du système scolaire ou dans les méthodes d’enseignement, tend à renforcer les mécanismes de hiérarchisation des formations et de sélection sociale.
Aujourd’hui l’enseignement obligatoire est loin d’être égal pour tous. Quelle différence entre ceux qui suivent la voie royale de l’enseignement secondaire général, ouvrant les portes de l’université, et ceux – issus surtout des classes populaires – qui entrent à 12 ans dans une « première B », avec pour seule perspective l’enseignement professionnel dès 13 ans ! Et entre ces deux extrêmes, toute la hiérarchie des filières et des orientations précoces en passant éventuellement par les redoublements à répétition.
Or, cette sélection est pour l’essentiel une sélection sur base de l’origine sociale, comme l’a encore montré notre enquête de 1996 en province du Hainaut.
L’existence de filières hiérarchisées (enseignement général, technique et professionnel) surtout avec une sélection à un âge souvent précoce est inadmissible. Elle induit, dès l’école primaire, l’idée que tous ne devront pas suivre les mêmes apprentissages et qu’il n’est donc pas grave que tous n’atteignent pas les mêmes niveaux de maîtrise : la perspective de la sélection est, dès l’enseignement fondamental, un facteur agissant dans l’inégalité des résultats. Or, cette perspective est très largement déterminée par la perception qu’a l’enfant (et ses parents) de son destin social probable, c’est-à-dire de son origine de classe. Ensuite, les différences de programmes entre les diverses filières, loin de tenter de combler les écarts, les creusent d’année en année.
A cela viennent s’ajouter, particulièrement en Belgique, les mécanismes de marché scolaire. Avec la dualisation croissante du système éducatif, la prétendue « liberté de choix » des parents s’avère de plus en plus être une « obligation de choix », un parcours du combattant dans une jungle inextricable d’établissements, de réseaux et de filières, où seuls les mieux informés, les familles intellectuelles et bourgeoises, parviennent à tirer leur épingle du jeu. Quand ce ne sont pas de véritables procédures d’exclusion financière et culturelle qui frappent les enfants du peuple. La ghettoïsation sociale est un fait incontournable dans l’enseignement belge.
Sur le plan des pratiques pédagogiques l’enseignement est aussi loin d’offrir les mêmes possibilités de développement à tous les enfants. Certaines pratique, dites « traditionnelles », en privilégiant un rapport bourgeois au savoir – le savoir pour le savoir, comme symbole d’appartenance sociale et donc coupé de toute fonction instrumentale -, démotivent l’élève d’origine populaire qui attend du savoir qu’il serve à quelque chose. A l’inverse, certaines pratiques dites « modernes », négligent l’importance cruciale du travail régulier, de la discipline d’apprentissage, de la rigueur. Quand elles ne vont pas jusqu’à mépriser le savoir lui-même au nom, tantôt d’un relativisme creux, tantôt d’un hypocrite souci de ne pas « imposer » les savoirs à l’enfant. On le voit, ce n’est pas tant de méthodes pédagogiques qu’il s’agit, mais plutôt de philosophie de l’enseignement. Il n’y a pas de mal à ce que l’enfant ou le jeune soit confronté, au cours de sa carrière scolaire, à des méthodes fort différentes : de l’exposés ex cathedra – pourvu qu’il soit brillant – aux séances d’auto-construction des savoirs sur des chantiers de problèmes – pourvu qu’elles soient productives. Le dogmatisme pédagogique, de quelque bord qu’il soit, ne produit jamais rien de bon. Toute l’expérience pédagogique des dernières décennies montre qu’il n’est pas une unique méthode que l’on pourrait généraliser à toutes les disciplines. L’uniformité dans ce domaine produit l’ennui, la routine et, au final, un bien mauvais enseignement. Que cent fleurs s’épanouissent !
Et quelles que soient les méthodes, il manque toujours à l’institution scolaire les moyens d’assurer l’encadrement individualisé que requiert l’apprentissage, surtout chez les plus jeunes. Seuls réussissent finalement ceux qui trouvent à la maison ce que l’école ne leur apporte pas : motivation d’apprendre, méthode rigoureuse, encadrement, selon le cas.
Tout cela pose évidemment la question de la formation des enseignants, largement insuffisante, mais surtout celle des moyens pour assurer l’encadrement nécessaire et des conditions de travail satisfaisantes.
Le quatrième et dernier enjeu est de mettre fin à la souffrance des élèves et des enseignants.
La peur de l’échec, le stress permanent, l’échec scolaire à répétition, les rythmes scolaires inhumains, les conditions matérielles physiquement insupportables et moralement dégradantes, l’ennui, les brimades de condisciples et de certains enseignants, tout cela n’est pas une fatalité et ne se justifie à aucun point de vue dans une école du XXIe siècle, dans un pays riche et économiquement développé.
Ces situations génèrent immanquablement la violence dans les établissements scolaires, dont les victimes sont les enseignants et, souvent, les élèves eux-mêmes.
C. Nos propositions
On l’aura compris, l’idéal d’une école démocratique impose des ambitions élevées. Elles ne pourront être atteintes dans les conditions actuelles : il faudra, pour élever les contenus disciplinaires et pour forger les valeurs que nous avons indiquées, adapter les structures, augmenter le « temps d’école », changer les rythmes scolaires, diversifier les modes d’apprentissage. Seule la mise en œuvre simultanée de diverses pistes d’action sera garante de succès.
Structures et fonctionnement de l’école commune
Tous les jeunes fréquentent pendant 10 ans (de 6 à 16) la même « école commune », publique, gratuite et obligatoire.
[Remarque : au terme de cette formation commune, les jeunes entrent au lycée pour y recevoir, obligatoirement, pendant deux ou trois ans, une préparation aux études supérieures ou une formation qualifiante. Mais à ce stade, une large part reste réservée à la formation générale. Le présent texte ne traite que de l’école commune, mais le socle de culture commune qui y est décrit ne sera pleinement atteint qu’au terme du lycée]
L’élève fréquente l’établissement qui lui est assigné. Cette assignation se fait en fonction de la proximité géographique mais aussi en de manière à assurer une certaine hétérogénéité sociale dans chaque établissement (en fonction des revenus et professions des parents). [il n’y donc pas de lien automatique entre le lieu d’habitation et l’école fréquentée, ceci afin d’éviter les stratégies migratoires des parents aisés qui minent la « carte scolaire » à la française]
Un même établissement scolaire peut être constitué de diverses implantations, généralement voisines, où sont accueillis les élèves d’une même tranche d’âge. Le découpage en âges et implantations peut varier d’un établissement à l’autre, selon la disponibilité des locaux. [Ceci est nécessaire afin de permettre l’utilisation rationnelle des bâtiments existants]
La scolarité, y compris la fourniture du matériel scolaire, les repas et la participation aux activités extrascolaires, est entièrement gratuite. Les livres scolaires sont mis à disposition, contre versement d’une caution.
Les contenus disciplinaires obligatoires sont strictement fixés par l’Etat. Des tests centralisés et des inspections organisées à tous les échelons permettent de vérifier la progression des élèves et de contrôler le respect des exigences par les établissements et par les enseignants. En revanche, chaque établissement et chaque enseignant doit disposer d’une grande liberté sur le plan des méthodes strictement pédagogiques. La suppression de la concurrence entre écoles permettra de stimuler une saine émulation des pratiques, sans risque de tomber dans le piège du marché scolaire. [Ceci va en sens inverse de la pédagogie dite des « compétences », où les contenus disciplinaires sont déterminés de manière fort lâche, alors que l’on tente d’imposer à toute force des méthodes pédagogiques parfois peu adaptées à certains contenus]
Les subsides de fonctionnement ainsi que les budgets d’investissement sont alloués aux établissements en fonction de leur population, de leur environnement social et en fonction d’une évaluation objective des besoins, établie par les services de l’inspection scolaire.
L’école, lieu de vie
Education et instruction doivent être intégrés dans le processus même de la vie. L’école commune doit donc être une véritable « collectivité éducative », le lieu central d’éducation et de vie des enfants. Ceci ne peut cependant se faire au détriment des apprentissages : il faut donc plus de temps et de moyens à l’école.
Les élèves participent directement à l’organisation et à toutes les tâches que requiert la vie quotidienne de la collectivité éducative : entretien et embellissement des bâtiments, nettoyage, cuisine, encadrement des plus jeunes par les aînés, etc. La liaison de l’éducation au travail doit être une réalité de la vie scolaire et non une excroissance « professionnelle » de l’école. Le degré de responsabilité, notamment dans la participation à la prise de décisions, doit augmenter avec l’âge.
L’école doit être ouverte en dehors des heures de « cours ». Des activités y sont aussi organisées en soirée, le week-end, le mercredi et durant les vacances. Les élèves doivent avoir l’occasion d’y prendre leurs repas froids et chauds. Des dortoirs sont mis à la disposition des élèves, éventuellement de façon occasionnelle, lorsque des activités vespérales les retiennent à l’école. Des lieux de détente sont également disponibles.
L’école est la plaque tournante des activités culturelles, sportives de bricolage, etc (cela ne se fait pas nécessairement dans l’école, mais peut être co-organisé par elle : offre, inscription, stimulation, transport et encadrement des élèves, etc). Toute association subventionnée se doit de participer à cette offre sur le plan local.
L’école est implantée dans un quartier, une commune. Elle participe à la vie de ce quartier, de cette commune.
Les élèves des lycées continuent eux aussi à fréquenter leurs anciennes écoles pour y participer à des activités sportives, culturelles, technologiques… ou pour en animer.
Si l’école doit devenir le lieu central d’éducation des enfants, alors il faut que les parents y soient étroitement associés. Afin de rendre possible cette implication des parents dans la vie scolaire, ceux-ci doivent pouvoir disposer d’une demi-journée de congé par mois, aux frais de leur employeur et sur présentation d’une demande de l’établissement scolaire.
Il va sans dire que tout ceci implique une redéfinition totale du rôle, mais aussi de la composition et du volume, des équipes éducatives. Les enseignants et éducateurs doivent disposer de temps pour le travail d’équipe, de coordination, de réalisation de projets.
Gestion
Outre les contenus disciplinaires et les réglementations générales, qui relèvent du ministère, chaque école est dirigée par un Conseil d’école, constitué d’enseignants, d’éducateurs, de parents, d’un inspecteur (représentant le ministère) et d’un représentant de l’administration communale.
Le Conseil d’école n’est pas un organe de gestion quotidienne, mais un lieu d’échange, où se discutent et se décident les grandes orientations, les problèmes généraux.
Les établissements sont tenus de se doter de structures appropriées, permettant d’impliquer étroitement les élèves et les parents dans la vie et la gestion quotidienne de l’école. Les formes précises de ces structures sont laissées à l’appréciation de chaque établissement.
C’est l’assemblée des enseignants et éducateurs qui élit (ou révoque) le chef d’établissement et qui désigne (ou révoque) ses représentants au Conseil d’école.
Les enseignants, une fois nommés, jouissent d’un statut qui garantit leur emploi. Cependant, une procédure doit être prévue permettant à l’inspection de muter ou de lever temporairement ou définitivement de ses fonctions un enseignant dont il est établi qu’il ne peut ou ne veut remplir ses obligations. Une telle décision est toujours soumise à l’avis du Conseil d’école.
Réussite scolaire et pilotage
L’école vise l’éducation et l’instruction de tous. La première condition pour y parvenir, c’est de disposer de conditions de travail convenables : des programmes clairs, des manuels et du matériel pédagogique de qualité, des groupes de petite taille (de 15 chez les petits, à 20 chez les grands), des locaux aérés et bien équipés, etc.
L’école est tenue de tout mettre en œuvre pour assurer que les élèves en difficulté soient suivis et qu’ils puissent récupérer leur retard : heures de rattrapages obligatoires en petits groupes, suivi individualisé, encadrement des devoirs, séances de remise à niveau pendant les congés scolaires ou le week-end, etc. (en lieu et place des « examens de repêchage » ou des « cours particuliers »).
Cette aide doit être mise en œuvre avant que les difficultés ne s’accumulent : c’est là une responsabilité cruciale des enseignants et des établissements scolaires.
La notion d’année scolaire et donc de « redoublement » disparaît. Sauf situation exceptionnelle (qui devra être reconnue par une procédure particulière), l’élève reste toujours solidaire du groupe d’élèves de son âge.
Les élèves participent régulièrement à des tests centralisés qui permettent de les situer (et aussi de situer chaque établissement).
A la fin de l’école commune, un examen central donne accès à un certificat et permet l’entrée au lycée. Les résultats dans les différentes disciplines serviront à conseiller l’élève et ses parents en matière d’orientation.
Une année de rattrapage est proposée aux élèves dont les résultats au certificat de l’école commune sont insuffisants pour leur permettre d’entrer dans la filière de lycée de leur choix.
Sans tomber dans l’erreur du dogmatisme pédagogique, on encouragera la diversité de pratiques pédagogiques axées sur le sens et la motivation : la liaison à la pratique, le développement de projets, l’implication des aînés dans l’instruction des jeunes, l’intégration de l’instruction à la vie de la communauté éducative.
La « remédiation » et la quête de sens prennent du temps. L’instruction aussi. Une politique de réussite scolaire ambitieuse nécessite donc qu’on l’on dispose de plus de temps d’école : des écoles ouvertes plus tard et plus souvent, une scolarité plus longue (10 + 3 ans).
Les enseignants doivent disposer d’importantes opportunités de formation continuée. Au total, 5 à 10% de leur temps de travail devrait y être consacré (sous forme de « semestre sabbatiques », par exemple).
Moyens
Tout ceci implique une augmentation considérable des moyens mis à la disposition de l’enseignement. Sans doute faudra-t-il passer de 5% du PIB à plus de 7%, peut-être même jusqu’à 10% du PIB si on inclut une politique de massification et de démocratisation de l’enseignement supérieur.
Mesures transitoires
La transition se fera progressivement, en 8 années : on commence avec trois générations (6, 7, 8) et on monte ensuite d’année en année. Les premières années, les élèves de l’école commune fréquenteront des établissements ne recevant que les plus jeunes élèves. Les zones de recrutement seront donc, au début, assez grandes (ce qui est une bonne chose, car cela garantit leur hétérogénéité et empêche donc le système d’évoluer d’emblée vers une stratification sociale).
A l’inverse, durant la période de transition, les écoles « anciennes » vont se faire de plus en plus rares et seront peuplées uniquement des élèves les plus âgés. Cela imposera aux élèves de la « dernière génération » de changer fréquemment d’établissement.
Les premières nouvelles écoles seront constituées d’enseignants volontaires, recrutés sur base d’examens. Le passage progressif vers la nouvelle école unique s’accompagnera d’une revalorisation barémique des enseignants. Durant les années de transition, les professeurs et éducateurs « pionniers » seront amenés à changer fréquemment d’établissement pour en démarrer de nouveaux.
Les actuels bâtiments scolaires des écoles des réseaux subventionnés sont expropriés. Si les bâtiments appartenaient à l’école elle-même, à une commune ou à une province, cette expropriation se fait sans indemnisation. S’ils appartenaient à une congrégation religieuse ou à un autre propriétaire privé, le montant du remboursement ne pourra pas excéder le montant des loyers versés par l’école au cours des cinq années ayant précédé le vote de la loi (dans le cas des congrégations religieuses, celles-ci pourront opter pour une formule de pension individuelle pour les religieux(ses) qui ne sont plus en âge de travailler, en lieu et place du remboursement des bâtiments). Durant la période transitoire, les bâtiments expropriés restent gratuitement à la disposition des établissements.
> Changer l’école, pour changer le monde
Je suis hereux de trouver cet article. A mon avis, aussi, pas de changement dans l éducation sans changement de l´école. surtout il faut considerer les eleves en tant que acteurs, auteurs de sa formation, en tant que sujets. Il faut transformer l´ecole dans un espace de vie. Amitiés, Rogerio.
> Changer l’école, pour changer le monde
je suis marocain et je veux allez a la begique alore
> Changer l’école, pour changer le monde
Je viens de lire attentivement cet article. Je me dis que si on veut qu’en Afrique il y ait des changements rapides, il faudrait intégrer dans les structures scolaires la politique et la pratique de l’école démocratique. Ainsi le futur dirigeant qui aura épousé ces valeurs pourra les vivre et les faire vivre dans son milieu. Tous les acteurs de l’éducation devront se mettre à l’oeuvre. Alors, il y aura plus de liberté, plus d’épanouissement ou de bonheur, d’égalité ou plus de développement et de droit dans les pays africains. Dans le cas contraire, nous risquons d’assister en Afrique à la même situation que toutes les nations du monde déplorent aujourd’hui.